Cesaria Evora : mort d'une affranchie Publié le 19/12/2011, 12h24 par Justine Boivin

Elle chantait la mélancolie, la solitude et le mal d'aimer. Cesaria Evora s'est éteinte samedi à l'hôpital Baptista de Sousa, à Mindelo, sur son île natale de São Vicente, au Cap Vert.

Trois mois après avoir pris sa retraite de la scène, la "diva aux pieds nus" a succombé à une insuffisance respiratoire, un œdème pulmonaire et une tension cardiaque élevée. Elle avait 70 ans.

A bout de souffle

Cesaria Evora avait annoncé le 23 septembre dernier la fin de sa carrière, consciente de ne pouvoir honorer les concerts qu'elle devait donner à l'automne. Fragile, fatiguée, elle avait enchaîné les déboires médicaux comme cet accident vasculaire cérébral après un concert à Melbourne en 2008 et une opération à cœur ouvert, en 2010.

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© Anthony Voisin/Maxppp Cesaria Evora à Lisbonne, en 2001.
Revanche

Rationnée, diabétique, souffreteuse, mais toujours boulimique d'amour et d'aliments interdits, l'interprète indisciplinée ne s'est jamais raisonnée. Chips salées ingurgités par poignées, cigarettes, alcool, elle a compensé des années de manque en consommant ses plaisirs à l'excès, rapporte "Le Temps".

Vengeance

Privée dans son enfance -son père, violoncelliste, décède lorsqu'elle a 7 ans, sa mère, cuisinière sans ressources la confie alors à un orphelinat-, l'adolescente au timbre de velours se réfugie dans les bars et se fait payer en verres de rhum. Elle grille clope sur clope, multiplie les conquêtes, se forge un caractère de marin, entre blagues salaces et vague à l'âme.

Célébrité 

Charmé par la madone solide et triste, un cheminot exilé à Paris, José da Silva, crée le label, Lusafrica et fait découvrir à la France sa musique. Elle est la reine de la Morna : un blues traditionnel des anciennes colonies mâtiné d'exubérance portugaise. Le grand public découvre cette dame burinée, sauvage et chaleureuse à la fois en 1992, grâce à la parution de l'album, "Miss Perfumado". Le succès, tardif pour cette femme alors âgée de 50 ans, ne se démentira plus jamais, propagé à travers le monde grâce à "Sodade", berceuse lancinante qui parle d'éloignement et arrache des larmes aux plus insensibles. Silhouette lourde, emprunte d'une langueur triste, sourire las et regard absent, Cesaria Evora était une anti-star, avare d'interviews. Son combat était ailleurs : donner à entendre la pauvreté des enfants de son pays, des sans-abri, des plus défavorisés. Caresser les oreilles de ceux qui venaient l'écouter, consoler les "esclaves", les émigrés...

Hommage

Bernard Lavilliers, qui avait enregistré un duo avec elle, a salué sa mémoire: "Cesaria Evora était unique (...), des comme ça, dans un siècle, il n'y en a pas deux (...) Elle avait beaucoup d'humour et elle draguait les garçons. On a dansé ensemble à Paris dans le XVIIIe, elle me dit : Tu peux me serrer plus fort, les vieilles, ça s'accroche pas".

Abasourdie par la violence de son archipel de l'Atlantique, éreintée par la graisse et la fumée, Cesaria Evora s'en est allée. A nous de pleurer.

Justine Boivin, Journal des Femmes
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