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Dossier
23/02/2007

Karine Arabian : "Il ne faut pas souffrir pour être belle : un soulier doit être confortable."

Karine Arabian Ses chaussures à bouts ronds font fureur, son prêt-à-porter a remporté tous les suffrages. En moins de 10 ans, Karine Arabian a su se faire une place en or sur le marché de l'accessoire. Retour sur le parcours de cette artiste du soulier.
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SOMMAIRE
Chaussures

La couture a-t-elle toujours été une évidence pour vous ?

Je suis née dans la couture, mon père était tailleur. Par contre, je n'ai pas pris le trajet habituel. En règle générale, on commence par le vêtement puis on vient à l'accessoire. Dans mon cas, j'ai gravi un à un les échelons, en créant d'abord des bijoux, puis des sacs, des chaussures et enfin du prêt-à-porter. C'est plutôt rare que l'on s'attaque d'abord à l'accessoire mais pour moi, cette démarche s'inscrivait dans un concept global : habiller la femme en partant des détails.

Vous avez commencé par créer des bijoux. Etait-ce un choix ou une question de convenance ?

En réalité, je n'y ai pas réfléchi. J'ai fait des bijoux pendant 6 ans parce que j'aimais ça. Très concrètement, c'était une façon de faire quelque chose avec mes mains. Le bijou, contrairement au vêtement, est un produit abouti qu'on peut maîtriser de A à Z soi-même. En plus, c'est un univers à part qui permet d'utiliser beaucoup de techniques différentes - les métaux, les bois, les résines - et donc de se faire la main tout en explorant. Créer des bijoux m'a aussi permis de démarrer sans avoir beaucoup de moyens...

Vous avez fait vos armes chez Chanel. Que vous a apporté cette grande maison ?

En réalité, j'ai commencé par travailler avec Swarovski, qui m'a demandé de créer une collection après m'avoir repérée sur le salon Première Classe. Puis, j'ai enchaîné avec Chanel pendant 2 ans et demi.

 

Cabas oversize de Karine Arabian
Un cabas oversize signée Karine Arabian © Serge de Rossi

J'étais en charge de la création de certaines collections mais aussi de leur production. J'étais d'autant plus fière que c'est une tâche qu'il ne délègue habituellement pas à leurs créateurs. Je n'étais pas intégrée à la maison, j'ai donc pu créer tout en profitant d'une certaine liberté. Que m'a apporté cette expérience ? Je dirais d'abord, un certain respect des gens. J'ai pu remarquer que plus une maison est petite, moins elle a d'égard envers les petits créateurs. La maison Chanel m'a accueillie avec respect. C'était pour eux une question de politesse. Chanel m'a aussi inculqué une nouvelle façon de travailler. J'ai appris ce que signifiaient les délais de livraison, le respect d'une charte qualité très stricte. Il était aussi intéressant de voir comment Chanel privilégiait toujours l'artisanat français. Chanel n'est pas une grande maison pour rien : elle a un véritable amour du luxe. C'est un de ces grands dinosaures qui laissera toujours son empreinte, je suis fière d'avoir pu y participer à mon échelle.

 

Votre griffe, créée en 2000, est toute jeune. Comment définiriez-vous votre style ?

Je dirais que c'est un mélange de classicisme et de détournements. J'aime beaucoup les indémodables et le style des grandes maisons comme Chanel. J'aime l'idée de pièces indémodables, de modèles purs, pas trop chargés, qui n'en mettent pas plein la vue. Je ne suis pas l'auteur d'une mode tapageuse : j'aime mettre la femme en valeur sans l'écraser sous une tonne de strass ou de fleurs, même si je sais aussi faire des choses extravagantes. Ma surenchère, je l'emprunte au passé sans référence évidente. J'aime surtout brouiller les pistes.

Pour vous, qu'est-ce qu'une bonne chaussure ?

Une bonne chaussure, c'est quelque chose dans laquelle on se sent bien et séduisante. Pas une basket, un vrai modèle féminin. Je ne crois pas à l'adage "il faut souffrir pour être belle". Il faut qu'une chaussure soit confortable. Je travaille inlassablement sur les talons, la cambrure et je teste tout moi-même. Je suis super exigeante. Les créateurs de chaussures sont souvent des hommes qui ont une vraie conscience de la beauté du produit mais pas de sa portabilité. Je reste convaincue qu'entre une chaussure extrêmement belle qui reste dans un placard et une belle création qu'on porte au quotidien, on opte toujours pour la seconde solution.

Vous vous êtes imposée avec des chaussures à bout rond au moment où l'on ne jurait que par des bouts pointus. Comment expliquez-vous ce succès ?

J'avais intégré, à ma première collection automne-hiver, quelques modèles à bouts pointus mais je me suis vite ravisée. Quand je suis arrivée sur le marché de la mode, personne ne m'attendait, il me fallait être différente.

 

Botte à bout rond
Botte à bout rond, collection printemps-été 2007 © Serge de Rossi

La chaussure ronde s'est naturellement imposée. C'était aussi question de goût personnel. Dans les années 1990, on avait le choix entre porter des baskets ou des talons démesurément hauts. J'ai donc pris le parti de créer une chaussure tout aussi féminine mais moins haute. Pour ma première ballerine, je me suis inspirée d'une Nike, un modèle avec un pouce proéminent. A l'époque, on m'a prise pour une folle mais la mode a fini par me conforter dans ma position. Mais avant cela, j'ai dû trimer pendant 6 ou 7 ans.

En matière de chaussures, quelles marques ou créateurs portez-vous?

Je mets mes chaussures, tout simplement ! Si je fais des chaussures, c'est pour les porter. D'ailleurs, je n'ai pas les moyens de porter les griffes que j'apprécie. La vie d'une créatrice n'est pas du tout "plumes et paillettes". Quant aux créateurs que j'aime, cela dépend un peu des saisons. J'aime Prada et tout particulièrement la collection de cet été qui est sublime. J'admire aussi Pierre Hardy pour ses modèles architecturés même s'ils sont complètement importables. Il y a aussi Michel Vivien : il aime et respecte les femmes, tout en travaillant un certain clacissisme que j'aime bien.

En tant que jeune créatrice, comment avez-vous fait pour vous imposer sur un marché de l'accessoire de plus en plus concurrentiel ?

Rien n'est gagné car il faut avoir beaucoup de courage pour fonder une PME en France. Quand j'ai voulu créer mon entreprise, on m'a prise pour une barjot car le métier de créateur n'est pas très respecté. Et pourtant, c'est du travail ! C'est d'autant plus difficile que dans mon secteur, il faut se remettre en question constamment, tout revoir tous les 6 mois. Il faut y croire et je crois que c'est ma passion qui me pousse, depuis 7 ans, à y croire encore. Il faut surtout être très organisée. Aujourd'hui, on ne peut plus être une créatrice foldingue. Il faut être un chef d'entreprise, être constamment en adéquation avec la réalité du marché. Pour cela, j'ai la chance d'être associée à un véritable entrepreneur qui s'occupe notamment de la gestion de ma maison.Travailler en binôme facilite vraiment les choses.

Vous avez récemment lancé votre ligne de prêt-à-porter. Pouvez-vous revenir sur ce projet ?

Avec cette ligne, je crois que je peux dire que la boucle est bouclée. Lui donner naissance a été une sorte de parcours initiatique qui m'a permis de revenir à mes origines, au vêtement. Cette ligne n'est pas encore commercialisée, elle est avant tout destinée à la presse et aux catalogues. C'est mon dernier espace de liberté créative.

 

Robe bulle de Karine Arabian
Robe bulle dorée de la nouvelle ligne de prêt-à-porter de Karine Arabian © Serge de Rossi

Pour le moment, je m'essaye, je fais de belles images et quand j'aurai trouvé un vrai partenaire, je me lancerai. Mon entreprise est encore trop jeune et trop incertaine pour se lancer dans le prêt-à-porter à grande échelle. Il me faut trouver une réseau de fabrication et de commercialisation avant de pouvoir envisager un vrai développement de la ligne de vêtements.

Vous organisez une exposition hommage aux Arméniens dans la mode. Que vous apporte ce projet ?

2007 est l'année de l'Arménie en France et je voulais m'y investir : je suis Française d'origine arménienne. J'ai saisi l'occasion qui m'était offerte quand la conservatrice du musée m'a donné carte blanche pour exposer ce que je désirais. Il y avait déjà tout un travail en amont . Nous sommes allées en Arménie : j'y ai organisé un défilé. Cet "aller-retour" était important pour moi. De retour en France, nous avons organisé l'exposition qui se divisera en 2 temps. Au premier étage, on retrouvera les Arméniens dans la mode depuis le 17e siècle, leurs apports, leur expertise. Au second, on présentera mon travail. Ce sera un panorama sur mon trajet, sur ce que vit un créateur au jour le jour. C'était un vrai challenge pour moi de mettre en avant mes racines de la sorte. Cela relevait presque de l'inconscient.

Et aujourd'hui, quels sont vos projets ?

L'exposition me prend beaucoup de temps et beaucoup d'énergie. Elle va durer 4 mois et demi pendant lesquels il faudra créer des évènements, la faire évoluer dans le temps. Pour ma maison, je tiens à la faire grandir harmonieusement, à lui faire passer le cap du succès, à trouver toujours des bons collaborateurs. Je ne suis pas pressée. Ce qui est sûr, c'est que nous projetons d'ouvrir une deuxième boutique en France ou à l'étranger. C'est encore à voir.


En savoir plus L'exposition "Karine Arabian et les Arméniens de la mode" se déroulera du 15 mai au 30 septembre 2007 au Musée de la mode de Marseille. Informations complémentaires : www.espacemodemediteranee.com

Et aussi le site de Karine Arabian : www.karinearabian.com

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Véronique Deiller, Journal des Femmes

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