Interview
 
30/05/2007

Sylvie Corbelin : "J'aime les bijoux mystérieux, ceux dont il faut percer le sens."

Créatrice de la marque de joaillerie qui porte son nom, Sylvie Corbelin réinvente le bijou ancien. L'artiste revient sur sa passion pour l'histoire et son amour des pierres d'exception.
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Comment en êtes-vous venue à la création de bijoux ?

Je me suis d'abord orientée vers la philosophie et le droit, puis vers des études de gemmologie : les matériaux précieux m'ont toujours fascinée. Lorsque j'ai dû travailler, j' ai été embauchée aux Puces par un marchand de meubles et de tableaux anciens. C'est ainsi que j'ai commencé à chiner et à revendre des bijoux... Je découvrais de véritables trésors : de l'or fin, des camées, des cabochons, mais les objets étaient parfois trop abîmés pour être revendus tels quels. C'est avec l'aide d'un ami italien que j'ai commencé à réutiliser ces supports précieux : je dessinais les modèles, il les montait. La marque qui porte mon nom a vu le jour en 2004.

D'où vous vient cette passion pour le bijou ?

 
Broche "Grenouille" en or pavée de diamants, rubis et émeraudes / voir les créations
 

C'est une fascination qui remonte à l'enfance. J'ai toujours aimé les matérieux précieux, leur couleur, leur nom. "Topaze", "rubis" sont des mots qui m'ont bercée lorsque j'étais petite fille. Je dévorais les histoires d'aventuriers et de trésors, comme "La vallée des rubis" de Joseph Kessel. D'ailleurs, ce sont uniquement les bijoux anciens qui m'intéressent : j'aime les objets qui ont une signification, les bijoux mystérieux dont il faut percer le sens. Je n'ai jamais été attirée par le clinquant moderne !

Comment choisissez-vous les pièces à partir desquelles vous travaillez ?

Je les chine un peu partout : en voyage, aux puces... Ce sont en général des bijoux anciens qui ont appartenu à d'autres personnes ou des créations plus récentes, comme les pièces de Jean Vendôme. Je n'ai pas souvent une idée précise de ce que je recherche, j'essaie plutôt de me laisser surprendre par les objets que je rencontre. Aujourd'hui par exemple, je suis tombée par hasard sur une magnifique rose de diamant ! C'est la même démarche lorsque je crée mes bijoux : je ne sais pas exactement ce que je vais faire avec tel ou tel matériau lorsque je me le procure. Il y a toujours un temps de gestation, de latence, au cours duquel je laisse la matière m'inspirer. Vous savez, la création est avant tout une affaire de mariage : on marie les matières avec les idées et les matières entre elles. Comme un chef cuisinier, je pars de mes ingrédients fétiches (l'or fin, les camées, la perle...) et je rajoute des épices (les diamants, les émeraudes...etc.) !

Quelles sont les époques qui vous inspirent le plus ?

J'aime beaucoup l'Antiquité : malheureusement, il est impossible de réutiliser les matériaux de cette période, ils sont beaucoup trop fragiles. Sinon, je suis émerveillée par l'époque médiévale. En ce temps-là, les bijoux ne se réduisaient pas à l'ornement, ils avaient une véritable signification : on portait des bagues de voeux, des bagues d'engagement... Dans la même logique, je suis très inspirée par la Renaissance et toute la philosophie baroque : il faut partir des défauts de la matière, du mystère de la nature pour créer un objet unique. Enfin, j'aime les bijoux figuratifs de la fin de XIXème siècle, au tournant entre le naturalisme et l'Art Nouveau.

Considérez-vous votre travail comme de la création ou de la restauration ?

 
Pendentif "vinaigrette" en or, rubis et griffe de tigre / voir les créations
 

A partir du moment où on donne vie à quelque chose, on est dans le domaine de la création. Je suis donc une créatrice : je ne rénove pas les bijoux anciens, je leur redonne une nouvelle existence ! Mais ma démarche n'est pas toujours évidente : j'ai dû m'affranchir d'un certain nombre de tabous pour m'autoriser à réutiliser des bijoux anciens. Pour éviter toute confusion, je suis ce principe : je ne transforme un bijou que s'il est inutilisable. Lorsque je le récupère en bon état, je n'y touche pas.

Quelle est selon vous la fonction de vos créations ?

Ce sont à la fois des ornements et, je l'espère, des oeuvres d'art ! La nature des bijoux est double : ils sont faits pour être regardés ET pour être portés. Ils transmettent aussi un sens : dans chaque bijou que je crée, je mets une partie de moi, une de mes émotions. C'est d'ailleurs ce que recherchent les gens qui les achètent : une signification unique, qui fait écho à leur propre sensibilité.

Justement, à qui s'adresse votre travail ?

A des femmes principalement, mais aussi à des hommes - j'ai quelques bijoux masculins, comme des épingles de cravate. Ma clientèle se compose avant tout de connaisseurs des matériaux et d'amateurs d'histoire. Ce sont des gens curieux ou des collectionneurs. Je connais ainsi un couple qui ne m'achète que des bijoux en opale, qu'il collectionne ! Dans tous les cas, mes clients sont des personnes qui ne veulent pas avoir le même bijou que tout le monde : chacune de mes pièces est unique. En général, je dirais qu'ils me ressemblent : nous sommes des flâneurs, des curieux et des amateurs de beaux objets.

 
Pendentif "Blackamoor" en agate, or, émeraudes, rubis et diamants / voir les créations
 

Laquelle de vos pièces préférez-vous ?

Il y a certains bijoux dans lesquels je donne plus de moi que dans d'autres. Je pense à mes deux dernières créations : les bagues "Blue Moon" et "Ecume". La première renvoie à l'une des mes chansons préférées, la seconde à mon univers de prédilection, le monde marin.

Est-ce difficile d'être un créateur indépendant ?

Oui, même si créer apporte un grand bonheur ! Nous sommes soumis à une juridiction très rigoureuse : nos matières sont contrôlées, nous devons inscrire tous nos bijoux dans les livres de police. C'est un métier très précis, très réglementé, qui demande un professionalisme sans faille. Dans ces conditions, difficile de se permettre une fantaisie totale.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

En ce moment, je travaille sur la perle, ma matière privilégiée. J'ai acquis récemment tout un lot de perles des mers du Sud, d'une belle couleur rose crémeux. Plus particulièrement, je suis sur une bague dont je n'ai pas encore choisi le nom. Elle se situe encore dans l'univers marin, avec des opales taillées en forme de poisson et montées sur de l'or fin.

Quels sont vos projets pour l'avenir ?

J'ai prévu de participer au Salon du Collectionneur, qui a lieu au Grand Palais en septembre. J'ai également été sollicitée par l'Armory Show de New York pour février prochain, mais je ne suis pas encore sûre d'y participer : exporter ses bijoux est une chose très compliquée !

 

En savoir plus Le site de Sylvie Corbelin

Voir Les créations de Sylvie Corbelin

Et aussi Notre diaporama 10 bijoux de créateurs

 


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