La maison de Barbie : entre attraction et répulsion

L'ouverture de la première maison de Barbie en Allemagne cristallise les passions. Ce vaste préfabriqué couleur dragée est un rêve pour les petites filles qui jouent à la poupée et un cauchemar pour les féministes qui voient là un temple rétrograde.

Blond chaud, yeux de biche, forte poitrine et sourire émail diamant, l'héroïne des bacs à sable invite les passants à lui rendre visite dès le 16 mai en plein centre de Berlin, à quelques pas d'Alexanderplatz.

Une longue structure de métal magenta prend forme dans le décor peu glamour d'un vaste parking entre la voie ferrée et des tours d'habitations. Aux fenêtres, des rideaux, rose bonbon, et dans les bacs, des tulipes en plastique, fuchsias.
D'ici quelques jours, cette villa offrira sur 2 500 m² la possibilité de faire des cupcakes virtuels dans la cuisine de Barbie, de fouiller dans sa garde-robe pleine de paillettes ou d'admirer des centaines de figurines.
"Pour 22 euros, tu peux avoir deux carrières: mannequin ou popstar ! Quelle image cela transmet-il aux jeunes femmes ?", s'énerve Michael Koschitzki, tête des "antis" et membre de la section jeunesse du parti de la gauche radicale allemande Die Linke.
Le groupe Facebook de la campagne "Occupy Barbie-Dreamhouse", créé en mars en référence au mouvement populaire new-yorkais "Occupy Wall Street", compte un millier de sympathisants, regrettant une mascotte aux mensurations irréelles "qui dans la réalité serait anorexique et dont la vie consiste à attendre Ken dans la voiture".
Un poing rageur transperçant la publicité a été imprimé sur 10 000 tracts pour diffuser la lutte contre cette "propagande sexiste" dans un pays où avoir une famille et travailler ne va pas toujours de soi. La confrontation est attendue le jour de l'ouverture, avec une manifestation pacifique.

Loin d'être attaqué pour la première fois sur l'image de sa poupée fétiche, le fabricant américain Mattel rétorque que depuis sa création, Barbie a aussi bien été une princesse, qu'une chirurgienne ou une candidate à l'élection présidentielle.

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La maison de Barbie : entre attraction et répulsion © Vesselina Zagralova - Fotolia.com

Née à Willows (Wisconsin), star mythique des années 50?, Barbara Millicent Roberts, dite ?Barbie? a partagé les combats des femmes du XXe siècle. Mais cette bombe anatomique ne s'est émancipée qu'au prix de nombreux sacrifices.

Classe mannequin. Ligne sylphide et visage aseptisé, Barbie brille dès sa première apparition, en maillot de bain rayé noir et blanc, lors d'une foire du jeu à New York en 1959. Avec ses jambes infinies, ses courbes assumées et sa chevelure à coiffer, elle provoque une révolution dans les chambres des fillettes habituées aux baigneurs potelés.
Pourtant, la plantureuse jeune femme ne fait pas l'unanimité. Pour plaire au plus grand nombre, elle doit se soumettre à de multiples changements esthétiques, revoir à la baisse ses seins obus et ses mensurations extraordinaires.


Barbie-Barbapapa. Sa silhouette et son look se modèlent sur les évolutions sociétales et son visage prend tour à tour, les traits de Brigitte Bardot, Liz Taylor, Jodie Foster, Madonna ou Paris Hilton.
Son dressing s'étoffe chaque saison et sa morphologie est revisitée tous les 7 ans par une équipe de quelque 250 designers et psychologues. A 54 ans, la poupée affiche une poitrine plus menue et des hanches un peu plus larges, mais son poids (205 grammes) et sa taille (28cm) restent inchangés.

Ken et Barbie. Ces deux êtres fantastiques font connaissance en 1961, lors du tournage de leur première publicité. Coup de foudre servi sur un plateau et passion bling-bling à souhait, leur love story traverse les modes et les années avec élégance et style. Pourtant, l'historiographie est formelle: fashionista jusqu'au bout des ongles et affublée d'une robe de mariée un jour sur deux, Barbie n'a jamais eu la bague au doigt. Notre sex-symbol aurait même joué à crac-boum hu avec Brad, Curtis, Steven, Derek et Darren, et surtout Allan, le meilleur pote de Kenneth.

Icône de mode. En 1971, Barbie abandonne son regard fuyant (en bas, à droite) de femme soumise. Libérée et bien bronzée, la bimbo Malibu marche droit. Délaissant ses premiers rôles de baby-sitter ou de princesse, Barbie s'illustre dans 130 métiers différents, notamment chanteuse de rock, femme d'affaires, professeur de cuisine, championne de tennis et astronaute. Muse des plus grands couturiers, elle devient l'égérie de Paco Rabanne, Christian Dior, Karl Lagerfeld, Christian Lacroix, Hermès, Nina Ricci ou encore Kenzo.

Polémique. Après Francie (1967) et Christie (1968), ses premières amies noires, Barbie s'est liée avec des représentantes de 50 pays. Mais sa ?mauvaise réputation? aussi traverse les frontières. L'Iran et l'Arabie saoudite l'interdisent, arguant qu'elle était décadente et non conforme aux valeurs de l'Islam. Son commerce y est sévèrement réprimé par les autorités car il est le symbole de la lutte anti-occidentale. L'Argentine a aussi fermé ses portes à Barbie, dans le cadre d'une nouvelle série de mesures protectionnistes.

Adulée, controversée, jamais rangée, Barbie reste un fantasme pour petits et grands. L'attraction de l'agence de marketing autrichienne EMS Entertainment, qui ouvre une demeure identique en Floride, voyagera dès la fin du mois d'août dans différentes villes d'Europe.