Tuerie en Haute-Savoie : "la fillette n'est pas condamnée à cette histoire traumatique"

Une fillette de 4 ans a été retrouvée prostrée environ huit heures après la fusillade qui a fait quatre morts et une blessée mercredi à Chevaline, sur les hauteurs du lac d'Annecy. Hélène Romano, responsable de la cellule d'urgence médicopsychologique du 94, analyse le cas de cette enfant.

Une petite fille britannique est restée au milieu des cadavres de sa famille, tuée par balle dans sa voiture, près de Saint-Jorioz. Elle a été découverte indemne par les gendarmes. Comment expliquez-vous qu'elle se soit réfugiée sous les jambes de sa défunte maman, couchée sur le plancher arrière de la BMW pendant huit heures, malgré la présence des secours ?
Hélène ROMANO : Il y a deux hypothèses. Le choc a pu être tel que l'enfant était en état d'inhibition stuporeuse. Cette forme d'hébétude fait qu'elle n'entendait plus, ne voyait plus ce qui se passait autour d'elle. Elle a perdu la notion de l'espace et du temps. Paralysée, comme anesthésiée, elle s'est coupée du monde, a décroché de la réalité. Cette sidération court-circuite l'activité psychique et laisse une blessure profonde.
L'autre possibilité est que cette petite fille, confrontée au danger, a gardé ses ressources et tenté de se protéger. La peur est alors le ressort de son comportement. En se cachant, sans faire de bruit, sans bouger, elle a mis en place un mécanisme défense. Si elle a exercé un contrôle conscient sur la situation, il sera plus facile pour elle d'en parler.


En attendant l'arrivée des techniciens de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) depuis la Seine-Saint-Denis, la scène du crime est restée "gelée", cela vous surprend-il ?
De par mon expérience d'urgentiste, je suis étonnée que les pompiers présents n'aient pas pu intervenir sur le véhicule. Imaginez une personne blessée, en souffrance... En huit heures, elle avait le temps de succomber à ses plaies. Cependant, il est toujours délicat de se prononcer lorsqu'on a pas tous les éléments du contexte.


A 4 ans, que sait-on de la mort ?
A cet âge, l'incompréhension est totale. Le concept de mort est flou. La fillette est dans le registre émotionnel, pas factuel. Elle n'a pas la notion d'une disparition définitive de ses parents. Le travail de deuil reste à faire.  


"La petite a d'abord crié et refusé de sortir de la voiture. Puis elle a accepté d'être prise dans les bras d'une femme gendarme de la section de recherche de Chambéry et s'est mise spontanément (...) à sourire et à parler en anglais", a expliqué le procureur...
Il est possible que l'enfant ait pleuré et appelé au secours ses parents car leur mort ne faisait pas sens pour elle. Sourire, ensuite, est une attitude de "réassurance", un moyen de capter l'attention des adultes. Cette relation engagée, elle a pu la poursuivre par le dialogue.

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Scène du crime, à Chevaline, en Haute-Savoie. © C. VILLEMAIN/20 MINUTES/SIPA


Comment son entourage doit-il réagir après ce traumatisme ?
Il faut la laisser parler, sans se montrer intrusif. Ne pas la forcer à dessiner, à raconter. En revanche, il est nécessaire de lui confirmer le décès de ses parents, de lui redire ce qui s'est passé, en lui précisant bien qu'elle n'est pas responsable, car en tant que "rescapée", il est possible qu'elle culpabilise. Aujourd'hui, la fillette est "la miraculée" et suscite une certaine fascination. Viendra l'heure des cauchemars, des angoisses qui la rongent, des crises de panique, peut-être. Il faudra alors que des personnes de confiance (professionnels, membres de sa famille, proches...) la sécurisent. C'est très difficile d'entendre la détresse d'un enfant. L'entourage devra aussi être épaulé dans cette mission d'écoute et de réconfort. 


Chacun pense aujourd'hui à cette enfant orpheline, à son avenir. Va-t-elle être hantée par les images de la fusillade ?
Il ne faut pas stigmatiser cette enfant comme "la survivante". Elle n'est pas condamnée à cette histoire traumatique. Certes, elle a vécu une scène d'une violence abominable, un évènement extrêmement douloureux qu'elle n'oubliera jamais, mais empreinte de ce drame fondateur, elle peut parfaitement grandir et vivre. La prise en charge par les tuteurs de résilience est très importante pour éviter le déni, qui, lui, l'empêcherait de se reconstruire. Deux périodes restent critiques : l'adolescence et le moment où elle atteindra l'âge qu'avaient ses parents au moment du massacre.


Avez-vous une mise en garde à formuler ?
Au-delà de l'horreur de la situation, le traitement médiatique du drame a confronté les plus jeunes à une information tragique qui peut susciter une anxiété intense. Il est très important que les parents évoquent avec leurs enfants ce qu'ils ont entendu ou vu comme images de la tuerie. Il faut leur préciser que cette agression est un phénomène exceptionnel et qu'ils sont là pour veiller sur eux.

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Hélène Romano, psychologue clinicienne au CHU Henri Mondor de Créteil. © HR

Hélène Romano est docteur en psychopathologie, psychologue clinicienne responsable de la cellule d'urgence médicopsychologique du 94 et de la consultation de psychotraumatisme du CHU Henri Mondor (Créteil), chercheur INSERM, expert auprès des tribunaux

Et chroniqueuse sur le Journal des Femmes

Son site : http://www.helene-romano.fr/