Le monde à l'envers de Riad Sattouf

Révélé au grand public avec Les Beaux Gosses, un film potache sur l'adolescence, Riad Sattouf nous propulse dans son second long métrage, au Royaume des filles, un monde dans lequel les femmes ont le pouvoir. On ne demande qu'à voir.

Auteur-dessinateur de bandes-dessinées à succès, réalisateur auréolé de prix cinématographiques, et gratouilleur à ses heures... De l'or dans les mains Riad Sattouf ? Surtout un don d'observateur bien aiguisé. Dans sa lucarne ? Ses contemporains formatés par un carcan familial, évoluant dans une société dominée par les hommes. Un conditionnement et une soumission qu'il questionne dans son nouveau film, en inversant les rôles. Dans son royaume des filles, les femmes portent le pantalon et ont la gâchette facile tandis que les hommes sont fragiles et vêtus d'une voilerie. Le conte de Cendrillon en prend un coup, et nos repères sociaux aussi. 

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Riad Sattouf sur le tournage de Jacky au royaume des filles  © Kate Barry

JournalDesFemmes.com : Au royaume des filles, les hommes sont affublés de voileries et s'occupent des tâches ménagères pendant que les femmes font du commerce et paradent sur des motos. Comment vous est venue cette idée de société inversée ?
Riad Sattouf : Tout est parti de Cendrillon, l'un des contes les plus répandus. Il en existe 12000 versions, dans toutes les cultures. Au-delà de l'analyse psychanalytique que l'on peut en faire, c'est une histoire de la domination de l'homme sur la femme. Enfant, cela m'avait interpellé. Est ce que, plus tard, j'allais être un prince avec des dizaines de filles à ma disposition, et la possibilité de choisir ? Pourquoi Cendrillon, maltraitée, pardonnait à sa famille à la fin ? Pourquoi quand elle s'enfuyait, c'était pour mieux aller au bal ? Pourquoi le prince la préférait-elle à ses belles sœurs, pleines de désirs et de passions, pourtant plus humaines ? J'avais vraiment envie de raconter cette histoire du conditionnement – connue de tous – mais je trouvais ça plus drôle de prendre le contre-pied en inversant les rôles et en transférant le pouvoir des hommes aux femmes, afin d'en montrer l'absurdité.

Pourquoi ne pas avoir imaginé comment serait un monde dominé par les femmes ?
Parce que je ne sais pas ce que ce serait. Je ne peux parler que du monde des hommes, je sais comment c'est d'être un garçon et que quand on apprend la grammaire, le masculin l'emporte sur le féminin et qu'on dit "trois milliards de filles ont été prises à défaut" et "trois milliards de filles et un garçon ont été pris à défaut". Je ne peux parler que de ce conditionnement culturel-là. Je pourrais dire que le monde serait peut être plus doux, mais ça fait vachement "Michel Sardou" de dire ce genre de trucs...

Pourquoi avoir choisi une voilerie en guise de costume pour les hommes ?
Malgré les apparences, c'est un costume qui n'a pas d'équivalent dans notre monde. Il peut à la fois rappeler le voile musulman, mais aussi les habits de bonne sœur et à travers la couleur safran, ceux des moines bouddhistes. C'est un costume qui crée une uniformisation. En dissimulant la forme du corps, il impose la domination d'un sexe sur l'autre, quand toute une autre catégorie peut montrer le sien. 

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Riad sattouf avec son acteur fétiche, Vincent Lacoste  © Kate Barry

Cela signifie-t-il que vous considérez les femmes voilées comme étant dominées ? 
La société musulmane, tout comme les sociétés judéo-chrétiennes, sont des sociétés patriarcales ou l'autorité est détenue par les hommes. Ensuite, des gens épousent ces sociétés et peuvent le faire tout à fait par choix. Le patriarcat n'est pas spécifique aux cultures musulmanes. En Inde et en Asie, en Afrique, les femmes n'ont pas les mêmes droits que les hommes. 

Vous ne craignez pas les réactions du monde musulman ?
Non pourquoi ? Mon frère, qui est croyant a trouvé le film très drôle. Il n'a pas été gêné par cette "voilerie". Il a compris le discours. Si j'avais voulu parler du monde musulman, je l'aurai fait. Je l'ai d'ailleurs déjà traité dans mes BDs.

Vous abordez en revanche la religion, à travers une croyance en des chevaux et des poneys aux dons télépathiques. Une façon de vous en moquer ?
Tout à fait. Je ne suis pas croyant, je ne crois en aucune force paranormale. Je trouvais ça amusant d'inventer une religion de zéro, en mettant tout ce que je trouve souvent absurde dans la superstition. Ma religion est un grand mélange des croyances humaines : animisme, culpabilité, espoir en un autre monde... Je trouve ça drôle d'imaginer le poney comme animal transcendantal.

Julin, l'oncle de Jacky, (interprété par Michel Hazanavicius, ndlr), c'est la figure subversive du film ? 
Julin est la bonne fée du film. Il est celui qui transforme les énergies et se nourrit d'autres forces que celles offertes par le système dominant. Il est le pouvoir de changement et évidemment, la lie de cette société.

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Vincent Lacoste © Kate Barry

Malgré les tentatives de son oncle pour le mener vers la liberté, Jacky ne rêve que d'être l'élu. Un rêve conditionné par la société dans laquelle il évolue. Pensez-vous qu'il en soit aussi ainsi dans nos sociétés ?  
Le fait que les rêves des individus divergent d'une époque à une autre, ou d'une société à une autre, est bien la preuve qu'ils sont imposés par les conventions et le conditionnement culturel. Je trouve ça rigolo de me moquer de ces absurdités qui parfois peuvent passer pour des vérités absolues. 

Votre film oscille sans cesse entre réalisme - le décor rappelle la Russie communiste ou la Corée du Nord -, et le fantasque. Vous ne craignez pas de laisser le public sur la touche ?
Je fais le film d'abord pour moi, pour l'adolescent que j'étais. A 16 ans, je n'aimais pas le sport, je n'en avais rien à foutre des bagarres, des armes à feu, de la compétition... Je ne comprenais pas pourquoi on m'apprenait que c'était au garçon de faire le premier pas avec les filles, alors que je m'en sentais incapable, pourquoi il semblait y avoir de bons comportements qui vous faisaient entrer dans le monde des hommes, et d'autres, mauvais, qui vous en excluaient. Pourquoi devais-je respecter certains comportements, certaines superstitions, alors qu'elles semblaient ridicules ? J'aurais adoré voir ce film à cette époque-là. Après, évidemment, certains aimeront, d'autres pas, tout comme certains aiment mes BDs ou pas, ou ont apprécié mon premier film, ou pas... Je n'y peux rien.

Pourquoi avoir choisi "Jacky" comme prénom ?
J'aime beaucoup ce prénom, il a quelque chose de sexuel.

On suit encore le parcours initiatique d'un adolescent. Pourquoi une telle fascination pour cette période de la vie ?
L'adolescence est le moment où l'on se confronte au monde réel. Elle offre une porte et un angle de vision sur le monde très révélateur, frais, sincères et décomplexés sur les contradictions de la vie.

Et vous alors, vous aimeriez être dominé par les femmes ?
Pas du tout. Je n'ai pas le fantasme de la domination.

Et au quotidien, vous sentez-vous dominant, ou plutôt soumis ?
En tant que garçon dans le monde dans lequel on vit, je fais évidemment partie des dominants. Mais je ne l'ai pas choisi !  

Si vous étiez une femme ?
Je n'aimerais pas vivre dans un monde dans lequel on dit "IL faut y aller" au lieu de "ELLE faut y aller".

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Affiche du film Jacky au royaume des filles © Kate Barry