Sandrine Kiberlain, du grand art sans les manières

Si le film d'André Téchiné "Quand on a 17 ans" est déjà un moment de cinéma réjouissant, esthétique et puissant, interviewer Sandrine Kiberlain constitue également une expérience intense... Cette radieuse liane blonde deux fois césarisée impose la tranquillité de ceux qui ont une carrière exceptionnelle et autant de recul et de sagesse. Elle se confie à nous, sans tabou, mais avec intelligence et répartie.

Sandrine Kiberlain, du grand art sans les manières

Il est des rencontres fascinantes par la qualité de ce qu'elles révèlent, chez nous, chez l'autre. Croiser le chemin de Sandrine Kiberlain relève de cette expérience. Exit contrôle de l'image, discours formaté et représentation : aujourd'hui nous prenons plaisir à échanger avec une personne joyeuse et équilibrée qui révèle une franchise rare dans le showbiz.  

Sandrine Kiberlain dans "Quand on a 17 ans" © Wild Bunch

Le Journal des Femmes : Pourquoi vous dans le rôle de Marianne ?
Sandrine Kiberlain : J'ai l'impression que c'est toujours un mystère de savoir pourquoi un metteur en scène pense à moi. C'est extrêmement touchant ce moment où l'on est choisie…

Pouvez-vous nous présenter votre personnage ?
Cette femme est un mélange, la somme de deux phases, deux périodes. Au départ, il y a la fantaisie. Marianne a un esprit très vif et une vie douce. Elle aime son métier de médecin de montagne, est appréciée de ses patients. Plus que tout, elle aime son mari, un militaire, sans s'oublier du tout. Elle se pomponne, légère, coquette, fleurie, à la Mary Poppins. Elle est également très à sa place en tant que mère avec une distance idéale vis-à-vis de son fils envers lequel elle a de la bienveillance, mais pas trop d'emprise. Elle ne juge pas Damien, lui accorde une grande confiance, à un âge compliqué où il peine à se confier. Et puis tout bascule en une seconde. Un drame arrive. Face à la tragédie, elle ne se complaît pas dans la tristesse, la mélancolie. La force de son caractère la rend digne.

Marianne réussit toujours à être complice, chaleureuse, sans être intrusive, même dans son rôle de soignant, elle respecte toujours l'intime. C'est ce vers quoi vous tendez en tant que mère ?
Plus encore, en lisant le scénario, je me suis dit qu'André (Téchiné) avait des antennes. Les histoires de maternité, d'éducation, de rapports parents-enfants sont quasiment toujours abordées à travers leurs difficultés. Ce portrait d'une mère pleine de gaieté, ce récit d'une relation filiale heureuse, d'un tandem qui parvient à surmonter les épreuves, c'est la façon dont j'ai l'impression d'évoluer au quotidien avec ma fille, Suzanne. Je remplis mon rôle : c'est moi qui décide, qui protège, mais j'ai aussi besoin d'elle. Elle m'épate. J'aime objectivement la personne qu'elle est. Son avis, ses conseils, son regard sont précieux.

Suzanne a 16 ans, l'âge où les démons sont les plus forts, les tiraillements les plus aigus…
Il faut vraiment avoir l'œil parce que c'est l'âge des possibles, des découvertes, des attirances… celui où l'on est le plus fragile aussi.

Vous vous souvenez de la Sandrine Kiberlain de 17 ans ?
J'étais "en retard" sur tous les plans. J'avais 12 ans d'âge mental, un physique à l'avenant. Pas vraiment d'amis, de bande de potes. Je n'étais pas à l'aise dans mon corps, pas concrète, incapable de décider de mes désirs, de les tester… Tout passait par la tête, j'étais très solitaire, toujours dans mes pensées, dans mes rêves.

Votre souci d'adolescente, c'était de plaire aux garçons ? De répondre aux attentes de vos parents ?
De trouver qui j'étais. J'avais l'impression d'être floue. Mon objectif c'était de faire le point. Mais cela s'est fait seul, progressivement. En tant que spectatrice de cinéma d'abord, à la recherche d'un équilibre, de ma voie. Puis c'est quand j'ai commencé à jouer que mon imagination s'est concentrée sur mes personnages. J'ai pu devenir "nette". Parce qu'on a besoin d'atterrir, d'être focalisé, créatif pour jouer. C'est vraiment le métier d'actrice qui m'a révélée.

Dans le film, les garçons remplacent les mots par la violence, c'est un langage qui vous parle ou vous dépasse ?
Je suis très sensible à l'injustice, certaines choses me terrorisent, mais jamais rien ne passera par la brutalité. J'ai une réelle volonté d'expliquer, d'exprimer les choses, d'éclaircir la situation. En plus d'être viscéralement anti-conflictuelle, je suis très émotive. Dès que ça me touche, je deviens comme une tomate, une écrevisse. Non pas que je perde mes moyens, j'ai des plaques rouges partout.

Il y a une scène aussi où vous criez. Ça peut être vous ça ?
J'ai en mémoire un cri de douleur que j'ai entendu et dont je me souviendrai toute ma vie… Pourtant, chez moi, le chagrin ne passe pas par le tumulte, mais par l'effondrement. Pas forcément immédiat, d'ailleurs. L'annonce de la mort est souvent très formelle, très froide. Un enterrement également. On est obligé d'avancer, de choisir un caveau au cimetière, de rentrer dans les formalités. C'est ce concret qui nous sauve. C'est après qu'il faut faire son deuil, ne pas se laisser submerger par quelque chose qui peut vous surprendre.

Interview aléatoire :
Le Journal des Femmes a demandé à Sandrine Kiberlain de choisir au hasard des numéros entre 1 et 110 et de répondre aux questions correspondantes.

Quel compliment vous fait-on souvent ?
Que je ne cherche pas à plaire.

C'est ce que le public apprécie chez vous ?
Peut-être qu'il sent ma sincérité et mon envie de faire ce qui me tient à cœur.

Quel est le trait principal de votre caractère ?
L'impatience. Je soigne cela, mais c'est mon plus gros défaut, avec l'obsession et l'exigence, aussi.

Une qualité alors ?
Prendre soin des autres, me soucier d'eux.

Qu'est-ce que vous avez réussi de mieux jusqu'à aujourd'hui ?
Ma fille. C'est vraiment cucul, mais je partage cette chance avec le papa (Vincent Lindon, ndlr). Et puis c'est le sentiment d'avoir fait un choix à un moment donné, d'avoir décidé que c'était elle ma priorité. Comme vouloir devenir comédienne, j'ai eu cette vocation d'être mère. Cela n'a pas été de l'ordre du sacrifice, pas un travail, cela ne m'a pas pesé. C'est la plus belle chose qui me soit arrivée. Une joie immense et sans cesse renouvelée.

Récemment, qu'est-ce qui a changé chez vous ?
Je n'aimerai plus inconditionnellement. Je ne serai plus une amoureuse éperdue, je n'aurai plus cette angoisse d'être délaissée, j'en suis sûre. Désormais, je dirai ce qui ne va pas. J'aurai davantage confiance en moi.

Quelle odeur vous émeut ?
Celle des pins, dans le Sud, quand il fait très chaud. Cela me rappelle mon enfance et un chemin que l'on prenait pour aller à la plage de l'Escalet, à Ramatuelle. L'odeur de la mer dont j'ai besoin. L'odeur de l'amande et celle des pommes cuites.

Vous cuisinez ?
Je ne suis pas chef cuistot, mais j'adore être aux fourneaux, ça me détend !

Qu'aimez-vous dans la vie parisienne ?
La liberté. J'ai décidé que maintenant je profiterai de cette ville comme elle le mérite. Que j'irai me balader à des heures indues, marcher dans les rues à 3h du matin… Je n'ai jamais osé. C'est absurde, non ?

Quand on a 17 ans, d'André Téchiné, en salles le 30 mars, 1h54

"Quand on a 17 ans" © Wild Bunch