Enfant doué : cette trop grande rapidité, une arme à double tranchant ?

La rapidité d'un enfant doué est-elle néfaste pour son travail à l'école ? Arielle Adda explique.

Une des qualités des plus remarquables chez les enfants doués est bien la rapidité d’esprit, parfois occultée par une surprenante lenteur dans le graphisme ou bien dans des activités aussi banales que s’habiller, se laver les dents, et également faire ses devoirs. Dans ce dernier cas, le rythme le plus fréquent consiste à traîner des heures, pour ensuite faire ce devoir en 5 mn chrono juste au moment où l’adulte qui le fait travailler se demande comment il va s’empêcher d’exploser.

En fait, il s’agit surtout d’une rapidité qui permet une compréhension immédiate d’une explication ou d’une situation, suivie dans la seconde de toutes les possibilités qu’on pourrait envisager à partir d’une simple proposition.

Dans l’instant, l’enfant doué discerne l’essentiel d’une situation, il trouve le mot exact pour la définir, il est fulgurant avec un grand naturel puisque ce processus se déroule sans accroc.

C’est pourquoi sa conversation est aussi agréable, surtout s’il a compris qu’il était préférable de ne pas accabler son interlocuteur de questions sans fin. Il est plus gai de lancer des traits d’humour ou bien de mener une discussion intéressante, sans chercher particulièrement à amasser un savoir qui ne sera jamais, quoi qu’on fasse, réellement encyclopédique.

En contrepartie, cette vélocité entraîne aussi des effets très néfastes : un des plus courants serait une apparente dysorthographie. L’orthophoniste consultée, après un bilan approfondi, ne détecte pas de réelle dysorthographie, d’ailleurs les mots sont épelés correctement, c’est à l’écrit que tout se gâte.

En fait, l’esprit est déjà trois mots plus loin, alors les doubles lettres, les accords, les règles grammaticales s’effacent dans cet esprit en ébullition.

On peut essayer de combattre ce désastre en expliquant bien clairement ce qui se passe : à l’école, on est perplexe devant cette orthographe désordonnée que la meilleure des orthophonistes ne peut améliorer. Un enfant qui connaît parfaitement l’orthographe d’un mot, les règles de grammaire, qui se joue des accords et s’exprime avec élégance et précision ne devrait pas écrire d’invraisemblables textes.

Des images appropriées peuvent l’aider, elles illustrent au moins ce qui se passe dans sa tête entre le moment où il commence à écrire et les secondes qui suivent, entraînant un désordre absolu.
« Imagines un carrosse tiré par quatre chevaux, chacun galope à son rythme, sans s’occuper des trois autres, le carrosse ne tardera pas à verser après avoir été balloté en tous sens. On aboutit à un carrosse fracassé, des chevaux hagards et des passagers malmenés.
Tout le voyage est alors à recommencer depuis son point de départ. Le cheval le plus rapide doit comprendre que ce n’est pas la peine de foncer en oubliant qu’il fait partie d’un attelage. »

Rien n’empêche de dessiner un superbe carrosse tiré par les plus beaux chevaux frôlant
un précipice ou bien seulement un petit fossé si l’enfant trop rapide s’effraie à l’idée de ce chavirement.

Pour que ce rappel soit encore plus précis, le conseil fondamental : « dictes à ta main » peut être inlassablement répété. N’oublions pas que l’enfant doué est rarement de mauvaise volonté, mais il s’ennuie, il déteste les tâches répétitives ou celles qui ne lui apportent rien, il écrit alors n’importe comment pour donner le change et faire preuve, justement, de bonne volonté. Il se demande pour quelles raisons il est obligé de se contraindre à ces tâches fastidieuses et, en plus, il faudrait qu’il écrive bien alors qu’il aimerait en avoir déjà fini et enfin laisser son imagination vagabonder dans les contrées inventées qui lui plaisent tant.

Pourtant, l’enfant doué aime écrire, il aime inventer des histoires et celles-là, il les écrit avec bonheur. Je reçois de ces charmantes histoires, aux feuillets soigneusement assemblés. Ce sont des trésors de fantaisie. Quand les enfants passent des tests, le plus souvent ils ont préféré le moment où on leur a demandé d’inventer une histoire ; ils sont enchantés de pouvoir laisser libre cours à leur esprit imaginatif, en échafaudant des récits que leur interlocuteur semble bien apprécier. Ce sont de véritables ébauches de romans.

Il est un autre domaine propice aux erreurs : le calcul. Quand les enfants doués savent s’orienter convenablement dans l’espace, les mathématiques les ravissent. Elles représentent la certitude, elles sont rassurantes, avec elles, l’ordre des choses est toujours respecté. Quelle que soit la façon dont on pose les opérations, on retrouve un résultat identique, il n’y a pas de ces mauvaises surprises qui peuvent bouleverser une existence, elles sont apaisantes et elles proposent des problèmes dont la complexité peut être infinie. Calmantes et stimulantes à la fois, elles ouvrent la voie aux joies des jeux de l’esprit.

A l’épreuve « arithmétique » des tests, l’enfant doué met un point d’honneur à répondre le plus vite possible, jouant à se croire dans un jeu où questions et réponses se succèdent sur un rythme étourdissant. Ce merveilleux enchaînement s’enraye trop vite : tout à son souci de performance, dont il voit bien qu’elle enchante l’adulte qui joue avec lui, il s’embrouille dans les nombres composant les énoncés, il néglige certaines précisions, il s’engage étourdiment dans une fausse voie et parvient d’autant moins à s’en extraire, qu’il est effrayé par sa soudaine maladresse. Pour lui, il a atteint ses limites, ses dons se sont évanouis, lui, si brillant en calcul, vient de perdre cette magnifique aisance, il va lui falloir s’accommoder de cette médiocrité qui le caractérisera désormais. Pas un instant, il envisage que sa rapidité, si amusante à exercer au début, devient une source d’erreurs quand il faut approfondir son raisonnement après avoir écouté attentivement un énoncé plus complexe.

On ne saurait trop conseiller des exercices en calcul mental : ceux que propose l’école sont souvent trop faciles, ce qui n’exclut d’ailleurs pas les risques d’erreurs, mais la difficulté est plus stimulante. Freiner une rapidité, si vite nocive, devient alors habituel, et il est toujours profitable de développer cette dextérité particulière de l’esprit. Certains enfants éprouvent un plaisir infini à évoluer tout à leur aise dans cet univers spécifique.

Bien maîtrisée, bien conduite, la vélocité intellectuelle permet des étincelles crépitantes et enchanteresses qu’un esprit bien fait peut se permettre du moment qu’il conserve toute sa rigueur.