Parents d'enfants doués : surmonter l'étape de la toute puissance

Tous les enfants connaissent un passage difficile dans leur évolution : pour certains cette étape reste discrète, on ne la remarque pas, pour d’autres, ce passage devient un cauchemar qui empoisonne l’atmosphère familiale la plus sereine. Plus que les autres, les enfants doués, bloqués dans ce passage, développent des stratégies particulièrement subtiles et élaborées, plus délicates à déjouer que le simple refus furieux d’un désagrément.

Voilà un jeune enfant d’environ 3 ans qui commence à piquer des colères d’une violence impressionnante à la moindre contrariété, qui hurle et se roule par terre s’il a le sentiment d’être frustré, qui se transforme en un bloc massif de bouderie obstinée si on ne cède pas à ses caprices.

Si cet enfant se montre particulièrement doué pour le langage, ses parents sont pris dans un engrenage de négociation où ils ont rarement le dessus. Avec une logique imparable, leur enfant, toujours si pertinent dans ses propos, leur démontre qu’ils ont tort de lui imposer certaines règles, comme de se coucher tôt par exemple, de lui appliquer des contraintes, telles que faire sa toilette ou manger des légumes : lui sait mieux que personne ce qui lui convient et une obligation imposée par la force perd sa vertu dira-t-il avec une conviction assez forte pour ébranler les notions d’éducation les mieux ancrées.

En fait, cet enfant obstiné refuse d’envisager qu’il puisse perdre le pouvoir qu’il exerçait tout naturellement quand, bébé, il voyait ses moindres désirs satisfaits aussi vite que possible : la faim, le froid, un quelconque inconfort provoqué par un incident, le désir d’un câlin même, tout rentrait dans l’ordre dès qu’il avait signalé son malaise.

Plus tard, il a commencé à découvrir le pouvoir enivrant du langage : il lui suffisait de dire les mots appropriés pour que ses désirs soient satisfaits. De surcroît, on admirait son habileté verbale et on l’en félicitait.

Peu à peu, ses parents, pourtant toujours admiratifs devant sa virtuosité verbale, ont commencé à discuter, à lui refuser des demandes et surtout à lui proposer des jeux qu’il ne parvenait pas à réussir sur le champ et d’autres, dit « de société » où il risquait de perdre.

A partir de ce moment, il lui aurait fallu accepter de voir son pouvoir ébranlé : tout au fond de lui, il sait bien qu’il n’est pas tout puissant, mais il lui est intolérable de l’admettre, il est prêt à livrer toutes les batailles pour défendre cette position, pourtant complètement illusoire, il n’a rien à perdre, il met toutes ses forces dans cette lutte qu’il ne veut pas savoir perdue d’avance.

Enfermé dans ses défenses qu’il voudrait impossibles à entamer, il s’applique à les renforcer en devenant de jour en jour plus capricieux, plus autoritaire, plus exigeant, épuisant ses parents qui finissent, excédés, par céder, tout en sachant confusément qu’il ne faudrait pas renoncer à leur autorité, mais ils se sentent tellement exténués qu’ils sont prêts à toutes les démissions. Le couple lui-même est en danger : il peut se fracasser à cause de son état de perpétuelle tension.

Souvent, le tyran domestique devient un ange au dehors, il serait même plutôt timide, peu bavard et d’une sagesse impressionnante à l’école. Il sait bien que ses colères explosives ne seraient pas admises et il tient à donner de lui une bonne image. C’est seulement avec ses parents, aimants et désireux de lui faire plaisir, qu’il s’accroche désespérément à cette illusion de pouvoir d’une façon de plus en plus exacerbée à mesure que la réalité devient plus évidente et plus cruelle à ses yeux.

Pour les parents, il est périlleux de se laisser entraîner dans la moindre négociation : une concession ponctuelle devient un avantage acquis qu’il n’est pas question de remettre en jeu. On ne doit jamais amorcer une négociation, on explique par des arguments rationnels  - et même scientifiques pourquoi pas - les raisons de ses exigences et on ne revient pas dessus. Il faut dormir parce que le cerveau trie et stocke les informations reçues dans la journée et parce que les enfants grandissent mieux (des études menées aux US le confirment) et on ne transige pas, car ce serait nuire à l’enfant.

Les parents savent ce qui est bon pour leur enfant, même si ce dernier est persuadé du contraire, ils ont le devoir de lui donner le meilleur et c’est ce qu’ils font. C’est un précepte qu’il faut se répéter quand on est tenté de céder pour que cesse cet insupportable conflit. On doit se souvenir que, passée la joie de la victoire remportée sur des adultes, l’enfant plonge dans une angoisse tout aussi grande : s’il est plus fort que les grandes personnes censées s’occuper de lui, qui le défendra en cas de danger ?

Quand un enfant hurle parce qu’il ne réussit pas son puzzle ou sa construction, on lui fait découvrir le pouvoir de l’apprentissage, celui de l’exercice plusieurs fois répété et le bonheur de surmonter un obstacle plus difficile parce qu’on s’y sera préparé à la manière des athlètes qui s’entraînent toute leur vie pour une compétition. Tout petit, quand il commençait à marcher, il ne se fâchait pas à chaque chute, il se relevait et repartait.

 Cette étape de toute puissance doit être franchie le plus vite possible pour que, plus tard,  il n’en reste pas de traces, qui sont autant d’entraves  à tout progrès.

 La paix familiale retrouvée, l’enfant coléreux et capricieux acquiert la sagesse, source d’harmonie, permettant, en outre,  d’acquérir la connaissance.  

Crédit photo : Yuri Arcurs - Fotolia.com