J'ai rencontré Thomas Vinterberg, loin de la foule déchaînée

Une femme, trois hommes, quelles possibilités ? Après Festen et La Chasse, Thomas Vinterberg signe une romance historique intense sur la difficile équation entre le désir d'amour et d'indépendance. Nous l'avons rencontré dans un hôtel parisien où il nous a parlé des femmes, de l'amour, du vin, bref de la vie.

Du réalisateur danois Thomas Vinterberg, je n’avais vu que La Chasse. Avant, vous expliquerons les cinéphiles (outrés), il y a eu Festen pour lequel il a obtenu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 1998 et Submarino, bouleversants vous diront (encore) bouleversés ceux qui l'ont vu. Trois oeuvres plutôt rudes, austères oseront même certains. A l’image de leur réalisateur m’interroge-je avant de rencontrer l’homme ? Sympa pas sympa ? Telle est la question qui me turlupine avant de passer 30 minutes avec ce fameux inconnu. Je lis moult articles et interviews le concernant sans parvenir à me faire une idée. Je me fie donc à mes impressions de Loin de la foule déchaînée, film pour lequel je dois justement le rencontrer. Cette romance teintée de drame est une histoire d’amour forte, passionnante et passionnée. J'en conclus qu'un réalisateur qui filme aussi bien les femmes et les hommes ne peut être que profondément humain. Rendez-vous donné dans un hôtel du 6e arrondissement de Paris. Thomas Vinterberg, grand gaillard blond aux yeux bleus, est posé là. Trentre minutes d'entretien plus tard, j'en ressors avec la certitude que Thomas Vinterberg - vêtu de son costume en lin et sneakers aux pieds -, est un réalisateur bien dans ses baskets qui prend plaisir à (se) raconter en mangeant des cacahuètes. En somme, un réal' talentueux, percutant, bref très chouette. 

Loin de La Foule Déchaînée en salles le 3 juin 2015 © 2015 Twentieth Century Fox

Le JournalDesFemmes.com : Loin de la foule déchaînée est l'adaptation du roman de Thomas Hardy. Qu'est-ce qui vous a séduit dans son oeuvre ?  
Thomas Vinterberg : Les personnages. Je reçois de nombreux scénarios de la part de mon agent. Il doit y avoir une sorte de réaction chimique à la lecture, un déclic, presque le même que lorsque vous rencontrez la bonne personne. C'est ce qui s'est passé avec l'oeuvre de Thomas Hardy. Le lendemain de ma lecture, j'avais encore les personnages en tête. J'ai ressenti une sorte de soulagement, je me sentais enfin prêt à mettre sur pellicule le travail d'un autre. J'ai toujours écrit mes films et c'est beaucoup de pression. L'idée d'en faire un dont je ne suis pas l'auteur initial m'a séduit. C'était un nouveau challenge. 

Bathsheba se décrit comme libre et indépendante, ce qui pour la fin du XIXe siècle est plutôt avant-gardiste. Considérez-vous son personnage comme féministe
La question s'est beaucoup posée à l'époque de Thomas Hardy. De mon point de vue, le féminisme a davantage une résonnance politique. Dans le personnage de Bathsheba, ce qui m'importait c'était de montrer l'idée qu'elle se faisait de sa vie. Elle vascille entre volonté d'indépendance et dévotion aux hommes. Elle est en conflit intérieur permanent. Une "lutte universelle" et finalement assez moderne. Thomas Hardy était un visionnaire. Aujourd'hui encore, les femmes peinent à se positionner entre leur désir d'indépendance et celui d'être vulnérable. Dresser ce portrait de femme m'a d'autant plus plu que cela changeait de mes précédents films chargés en testostérone ! 

En parlant de testostérone, Matthias Schoenaerts était-il une évidence ? 
Je n'aurais pas pu imaginer quelqu'un d'autre mais ce n'était pas évident à mettre en place. Imaginez, un Belge jouant un Britannique dans une oeuvre très british ! C'était un challenge mais dés qu'il a mis un pied sur le plateau, cela n'a plus fait l'ombre d'un doute : c'était lui. Ce qui est incroyable avec Matthias, c'est que son physique ne peut pas mentir. L'honnêté et la sincérité qu'il dégage conviennent parfaitement au rôle d'Oak. Et il est très sexy. Carrey et lui dans la même pièce, c'était la fragilité et la masculinité réunis. Un mix parfait. 

Loin de la Foule Déchaînée en salles le 3 juin 2015 © 2015 Twentieth Century Fox

Et Carey Mulligan ? 
C'était mon premier choix et j'ai pensé à elle à la page 10 du livre. C'est une actrice incroyable, très professionnelle. Elle est la parfaite combinaison entre force, contrôle et fragilité. Je la trouve très belle mais pas d'une beauté conventionnelle. Quelque chose de plus intense.

Le mariage suppose-t-il renoncer à son indépendance ? 
Je n’espère pas ! Dans le film, Batsheba choisit d'ailleurs celui qui l'accepte telle qu'elle est. Elle s'offre à lui car elle sait qu'elle ne perdra pas son indépendance. Certaines femmes s'offusqueront peut-être de ce happy ending insatisfaisant car elles considéreront qu'elle se fait "passer la corde au cou" mais je ne crois pas que ce soit le cas. 

Et l’amour ? 
L’amour a plusieurs phases. Au départ, on tombe amoureux. On est très dépendant l'un de l'autre, on se désire sexuellement. La relation est addictive, presque obsessionnelle. Puis l’amour se transforme en loyauté, devient synonyme de partage incluant beaucoup de liberté. Si une relation devient possessive, ce n’est plus vraiment de l’amour...

Croyez-vous au coup de foudre ?  
Je suis aussi romantique que cynique. La plupart du temps, l’amour est une question de choix. On décide que ce sera telle personne et on apprend à l’aimer. Dans le film, Bathsheba ne tombe pas amoureuse de Gabriel au premier regard. Elle éprouve quelque chose certes mais elle est trop immature et centrée sur elle-même pour prendre la décision de l’aimer. 

Parmi les trois figures masculines du film, l’une d’entre elles vous ressemble-elle plus qu’une autre ?
Je ne crois pas... A la lecture du script, j’ai été fasciné par ces trois hommes que Thomas Hardy traite avec une certaine sévérité dans son livre. Il y a le sergent Troy, personnage mystérieux et charismatique. C'est lui qui m'a donné envie de faire le film. Boldwood, un homme riche avec une forte personnalité mais qui se laisse complètement détruire par son destin. Je me suis retrouvé en lui sur ce point car c'est très scandinave. Et il y a Gabriel Oak. Une sorte de modèle masculin. L'homme rare qui comprend les femmes par sa sensibilitémais qui conserve beaucoup de virilité. Tous les hommes aimeraient lui ressembler car il plait forcément aux femmes ! 

Peut-être aussi parce que Gabriel est une sorte d’ange gardien... Vous, avez-vous un ange gardien ?
Ma femme. Il y a mon père, ma mère, mes amis aussi. J’en ai plusieurs. Un ange gardien à l'image de Gabriel, ce serait plutôt l'un de mes amis très proche. Il lui ressemble beaucoup. C’est un taiseux, il a toujours été là pour moi. J’ai beaucoup pensé à lui pendant le tournage. C’est un mélange entre Matthias et Gérard Depardieu… jeune (rires).

Qu’est-ce qui vous énerve ?
Etre énervé justement. L’injustice dont j’ai fait le sujet de mon précédent film, La chasse. La malhonnêteté aussi.

Beaucoup d’acteurs passent derrière la caméra. A l’inverse, aimeriez-vous passer devant la caméra ?
Si j’avais une proposition intéressante, j'y songerai. Mais je n’ai pas cette ambition en tant que carrière. 

Pensez-vous être "maître" de votre destinée ?
Non. Thomas Hardy nous en donne d’ailleurs la leçon dans son oeuvre. Il est difficile, voire impossible de contrôler sa vie car la vie et le sort sont plus forts. A chaque fois que je pense avoir le contrôle de ma vie, la vie me prouve le contraire. C’est d’ailleurs ce qui fait tout le charme de la vie. Il vaut mieux laisser les choses se faire naturellement.

Votre pêché mignon ? Les cacahuètes apparemment... (Thomas Vinterberg en grignote pendant l'interview, ndlr)
Celles-ci sont très bonnes pour la santé paraît-il ! Le sandwich de la boulangerie au coin de la rue Cassette. Plus généralement, l’alcool. Le vin. Je suis un grand amateur de vin. Après The commune (son prochain long métrage, ndlr), mon prochain film aura pour sujet l’alcool. Je n’ai pas de dépendance à l’alcool mais je l’apprécie. Avec quelques verres, les discussions sont souvent plus intenses, plus riches, libérées. Les plus grands ouvrages de la littérature ont d’ailleurs été écrits par des alcooliques, non ? Je suis en train d’écrire un script à ce sujet. Plutôt drôle. Je viens à peine de commencer.

Un film que vous me conseillez ?
Oslo 31 août de Joachim Trier. Il me semble que Louder than bombs (son dernier film présenté à Cannes, ndlr) a reçu un accueil mitigé. Je suis surpris car c’est l’un de mes héros. Il m’inspire énormément et a beaucoup fait pour l’histoire du cinéma danois.

Qu’est-ce qui vous fascine ?
Le sexe, la solitude, la nourriture, l’alcool… Beaucoup de choses à vrai dire.

Quelqu’un que vous admirez ?
Pour sa beauté, ses choix de vie tant professionnels que personnels, John Cassavetes sans hésiter. Il dégage une grande sensualité dans chacun de ses films. Sa façon de fumer même est incroyable. Tout est fascinant en lui, y compris sa relation avec Gena Rowland.

Si vous étiez une femme ?
Ingrid Bergman pour sa beauté, sa sincérité, son sérieux et son mariage avec Rosselini (rires, ndlr). Laissez-moi quand même réfléchir à cette réponse… Non, en fait c’est une bonne réponse Ingrid Bergman.

Avez-vous déjà songé à tourner en France ?
Oui. Il y a 5 ans, je me baladais avec ma femme autour du Jardin du Luxembourg et elle m’a dit qu’elle aimerait vivre près de cet endroit. Je lui ai dit que je trouvais l'idée séduisante mais qu'il me fallait trouver un agent. Et pour ça, il faut payer cher ! (rires, ndlr). Plus sérieusement, j’aimerai tourner ici mais je n’ai pas trouvé le projet adéquat.

La critique vous importe-t-elle ?
Bien sûr. La critique aide à grandir. Elle est fondamentale pour quiconque. Concernant mes films en revanche, je ne me fie qu'aux critiques de mes amis réalisateurs et celles de mon entourage. Je ne lis pas les critiques des magazines  non pas par vanité mais parce que j’ai l’impression qu’on y parle plus de ce que je suis que de mes films.

La question que vous n’aimez pas qu’on vous pose ?
Pourquoi avez-vous quitté votre ancienne femme ? Et lorsqu’on me parle de Festen. Evidemment que la résonnance du film et son succès m’ont beaucoup apporté et m’apportent encore aujourd'hui mais il est temps de passer à autre chose, non ?  

Loin de la Foule Déchaînée avec Carey Mulligan et Matthias Schoenaerts est à découvrir en salles le 3 juin 2015.