Liban : les bombes valsent

Au pays du Cèdre, une vingtaine de jeunes filles s'apprêtent chaque année à devenir la plus belle parmi les plus riches. C'est le bal des débutantes.

Pour contrer l'ombre de la guerre, elles veulent vivre sous la lumière. Les "débutantes", une vingtaine de jeunes filles représentatives d'une minorité libanaise très privilégiée, sont la nouvelle jeunesse dorée. 
Cet événement est la fierté d'une Libano-brésilienne, Regina Fenianos. La femme d'un certain âge fait tout pour être tape-à-l'oeil. Elle tape plutôt dans le coeur de bon nombre de Libanais... mais pas de la bonne manière.
"Les gens sont surpris de découvrir qu'un événement aussi prestigieux puisse avoir lieu au Liban. Pour eux, il n'y a que des guerres chez nous", a-t-elle confié à l'équipe de Marie-Claire.
Cette classe sociale légitime l'excès de faste par la peur du lendemain. "Au Liban, on ne sait jamais quand une bombe risque d'exploser. Pendant le bal, on s'évade. On oublie tout et on profite à fond", a justifié une des participantes, Tamara, âgée de 19 ans, au magazine féminin. Les vingt-et-une bombes (les femmes, bien sûr) défilent dans des robes de grands couturiers, chaussées des plus beaux escarpins. La coutume est de danser une valse (non-maîtrisée) avec des cavaliers richissimes. Pour admirer ce spectacle ostentatoire, il faut débourser la modique somme de 2000$...
Ne vous inquiétez pas ! Le bénéfice est accordé à la Croix-Rouge libanaise. Une belle action pour effacer une réalité bien plus dérangeante.
"Mais ne serait-il pas plus sensé d'impliquer ces jeunes filles dans un véritable travail bénévole, avec des réfugiés par exemple, au lieu de leur faire danser la valse dans un monde rose et douillet qui n'existe que dans leur tête et dans le compte en banque de leurs parents ? Ne serait-il pas plus efficace et "noble" de leur ouvrir les yeux sur les réalités douloureuses de leur pays ? Quelle leçon essayons-nous d'enseigner à ces jeunes femmes? Que la vie est belle tant qu'elles peuvent s'habiller en Prada ? Que le prince charmant existe et que les enfants qui meurent de faim et de froid, c'est une chose qui n'arrive que dans un pays très très lointain (celui des gens "ordinaires") ?", s'est insurgée la poète libanaise Joumana Haddad le 21 octobre 2013 dans une tribune de Now. 
Le Liban se construit et se déconstruit dans la foulée. Les réfugiés syriens sont chaque jour un peu plus nombreux à se presser aux portes du pays. Le système politique est déstabilisé et le revenu moyen de chaque habitant ne dépasse pas les 600$ par mois... Ce bal de l'apparence est donc brutal pour les Libanais qui ne vivent pas dans le même monde. La photographe Natalie Naccache, présente lors de l'événement, a tenté de relativiser : "Oui, ils ont une belle vie et ils aiment en profiter. Il y a une surenchère perpétuelle, à qui offrira le plus beau mariage à sa fille par exemple. Mais beaucoup s'engage sincèrement dans des oeuvres caritatives et ne comptent ni leur temps, ni leur énergie."
Les ancêtres des Phéniciens tentent de panser leurs maux par le faste et l'apparence, mais ils n'en restent pas moins généreux.
Face à une armure dorée, les bombes ne font pas de différences.

caramel
Extraits du film libanais "Caramel" avec l'actrice Nadine Labaki © Bac Films