Bébé mort : la photo de l'humanité échouée

Le cliché a choqué les internautes, partout dans le monde. Mercredi 2 septembre, parmi les réfugiés syriens morts lors du naufrage de leur embarcation, les gendarmes ont trouvé le corps d'un petit garçon de trois ans. Certains médias ont choisi de diffuser les images, quand d'autres y ont renoncé, par "pudeur".

Dans la nuit du mercredi 2 au jeudi 3 septembre 2015, les internautes ont tous découvert les mêmes images, glaçantes, ignobles, d’un enfant mort noyé, étendu face contre terre sur une plage turque ou dans les bras de l’un des gendarmes qui l’a trouvé. Ce drame, en plus de braquer une nouvelle fois la lumière sur le sort des réfugiés, interroge encore sur l’impact de l’image : où situer la limite entre la nécessité d'informer et la recherche du sensationnalisme ? 
Alors que certains médias ont choisi de flouter ou de ne pas diffuser la photo, d’autres l’ont imprimé en Une. C’est le cas des quotidiens britanniques The Guardian, The Times, The Daily Mail et The Independent. Ce dernier l’a mise en avant dans son édition papier et sur son site internet avec la question : "Si ces images d’un enfant syrien mort échoué sur une plage ne changent pas l’attitude de l’Europe face aux réfugiés, qu’est-ce qui le fera ?" La légende accompagnant le cliché - "L'enfant de quelqu'un" - résume l'ampleur du drame. Le quotidien a justifié sa décision en ces termes : "Avec l'utilisation de mots souvent désincarnés pour parler de la crise des migrants, il est trop facile d'oublier la réalité de situations désespérées parmi les réfugiés.
The Independent explique que la victime, Aylan, 3 ans, a fui la ville de Kobane, en Syrie, avec sa famille, pour échapper à la guerre civile et gagner la Grèce par la Turquie. L’embarcation sur laquelle il se trouvait a chaviré : le corps de son frère aîné, Ghalig, 5 ans, et de sa mère ont également été rejetés sur le rivage, avec huit autres victimes.                 
Le quotidien italien La Repubblica a posté l’image sur Twitter, la qualifiant de "photo qui fait taire le monde", quand le quotidien espagnol El Periodico a dénoncé "le naufrage de l’Europe". Aucune Une n’a en revanche été consacrée à cette tragédie en France et la plupart des médias ont fait le choix de ne pas montrer les clichés. Le Huffington Post, notamment, a assuré avoir pris cette décision "par pudeur et respect de la dignité humaine". Sur les réseaux sociaux, les internautes ont réagi à cette photo en lançant le hashtag #KiyiyaVuranInsanlik ("l’humanité échouée" en turc).
La violence du cliché et la vague d’émotion qu’elle a suscitée rappellent le choc qui a suivi l’affaire Grégory, en 1984. Patrick Gless, photographe au quotidien La Liberté de l’Est, avait publié une photo des secouristes repêchant le corps sans vie du petit garçon de 4 ans. A l’époque, l’image avait traumatisé l’opinion. Celle d’Aylan, au même titre que la photo de la fillette brûlée au napalm, prise par Nick Ut pendant la guerre du Vietnam, en 1972, pourrait servir l'éveil des consciences. La mort d'un enfant est une terrible injustice, mais la montrer au monde entier peut avoir le mérite d'alerter sur une réalité aussi révoltante : celle du drame des migrants.  

Ci-dessous, la photo d'Aylan, qui a ému et indigné la planète. Libre à vous de la regarder. 

© Uncredited/AP/SIPA