DSK, acculé par les témoignages des prostituées

Au tribunal, les confrontations entre Dominique Strauss-Kahn et ses partenaires sexuelles dessinent le portrait d’un séducteur misogyne aveuglé par ses désirs. Eloquent, mais la queue entre les jambes, l’éléphant socialiste offre le seul spectacle de son talon d’Achille. Affligeant.

Dominique Strauss-Kahn, poursuivi pour proxénétisme aggravé, est d’abord flatté : «Vous étiez un des hommes les plus importants de ce monde», l’accueille à la barre le président du tribunal correctionnel de Lille, en référence à ses anciennes fonctions à la tête du FMI. «Je ne sais pas si c’est vrai, mais on le dit. Nous avons sauvé la planète d’une des plus graves crises financières de l’histoire», s’impose DSK. Si ce brillant financier a sorti le monde du marasme et qu’il affiche toujours mise élégante et allure décontractée, ses efforts et sa stature ont été ébranlés hier par les témoignages des prostituées.
Le 29 juillet 2010, DSK, David Roquet (dirigeant d’une filiale d’Eiffage) et Jean-Christophe Lagarde (policier, chef de la Sûreté départementale du Nord) se sont retrouvés dans une suite de l’hôtel Murano pour une partie fine organisée par Fabrice Paszkowski (gérant d'une société de matériel médical à Lens), également présent. Les journalistes qui ont assisté à l’audience rapportent les propos de Mounia. "Monsieur Roquet me fait prendre une douche, puis j'échange quelques mots avec monsieur Strauss-Kahn. Je lui dis que j'ai une formation de secrétaire bilingue. Monsieur Strauss-Kahn monte dans la chambre avec une première fille, puis en redescend en peignoir, et ensuite je monte avec lui". Mounia éclate en sanglots. «J'ai montré quelques réticences. Pas de vive voix, mais par des gestes. Je n'acceptais pas cette pratique, je ne l'ai pas dit oralement mais je pleurais beaucoup. (La salle comprend qu’il s’agit de sodomie). Il n'a pas arrêté. Ce qui m'a marqué c'est son sourire, qu'il a gardé du début à la fin. C'était pas de la violence, c'était un rapport de force, c'était brutal parce qu'il ne s'est pas arrêté».

Interrogé sur le récit de Mounia, DSK acquiesce. «Est-ce que les choses se sont passées comme elle l’a dit ? - Globalement oui. Je n’en tire pas la même impression qu’elle. Mais son récit me semble cohérent». DSK a-t-il perçu son opposition ? Je n'ai ressenti aucune dénégation de la part de cette dame, rétorque-t-il. De la voir pleurer m'aurait glacé». Le libertinage ce serait donc de sodomiser sans préparatif une fille en larmes ? A l’écouter, oui. Au pays de Candy-SK, les actes licencieux sont des «récréations», des «soupapes de respiration dans une vie trépidante». Naïf DSK ? Sûr de lui, plutôt. D’ailleurs, l’ex-Ministre de l’Economie semble convaincu que son pouvoir peut attirer six, sept ou huit créatures entièrement dévouées à satisfaire ses fantasmes. «Pourtant, vu son âge et son physique... c'est risible», a raillé sur BFMTV Douglas Wigdor, l'avocat de Nafissatou Diallo.

Jade, qui «habitait dans une cave» en Belgique, passe elle une heure à décrire des scènes de «boucherie» avec DSK (qu’elle ne connaissait pas) lors d’une autre soirée parisienne en 2009. «Je n’étais qu’une chose». «Manifestement, nous n’avons pas vécu les scènes de la même manière, et DSK, condescendant, d’ajouter : «Je ne dis pas qu’elle ment, je dis que ses souvenirs ont été changés par le temps…»

DSK avait-il connaissance du statut prostitutionnel de ces jeunes beautés qu’il malmenait ? Pas le moins du monde, assure-t-il. Tout comme une femme de chambre africaine du Sofitel  lui fait une fellation sans contrepartie, juste pour rendre hommage à sa puissance, ces femmes étaient pour lui consentantes, ravies de partouzer. C’est sa ligne de défense. «La prostitution, dit l’ex-baron de la gauche, ce n’est pas ma conception des relations sexuelles. J'ai en horreur les relations tarifées et sachez, monsieur le président, que ce que j'aime, ce que j'apprécie, ce qui me plaît, c'est la fête, l’aspect ludique, le sexe pour le plaisir du sexe... Si j’avais su qu’elles étaient prostituées, je n’aurais pas pu».

Licencié en droit public, docteur ès sciences économiques, polyglotte surdoué, professeur agrégé et avocat d’affaires, Dominique Strauss-Kahn est doté d’une légitimité intellectuelle. Courtois, érudit, un brin cynique et élitiste, il s’est toujours voulu défenseur d’un «socialisme du réel». Européen convaincu, instigateur du passage à l’euro, favori des sondages pour la primaire socialiste ou l’élection présidentielle de 2012, DSK est sacré, fin 2007, directeur général du Fonds monétaire international. Hyperactif, investi d’une «mission africaine», le French sauveur de Washington se présente comme le nouvel ambassadeur des pauvres et se bat ardemment contre la récession. La crise boursière ne passera pas par lui ! A la ville, l'ex-ministre au regard dominateur et aux rondeurs rassurantes cultive son look de star. Amateur de glisse,  DSK arbore ses lunettes noires jusqu’en dehors des pistes balisées. Fumeur de pipe, il aime tenter d'envoûter ses consœurs politiques de ses volutes et de son verbe fort. Féru d’échecs et de jeux de mains, il mate aussi qui se mesure à lui au rugby. Mais l’ancien député-maire de Sarcelles trimballe une réputation de coureur. Lorsqu’en 2003, le Nouvel Obs signale la présence d’un membre du gouvernement Jospin dans un club échangiste, le tout-Paris pointe du doigt le guerrier rose. Liaisons dangereuses, encore: le patron du FMI remet ça sur le bureau, en 2008 avec une de ses subordonnées, la jeune Hongroise Piroska Nagy. L’affaire fait grand bruit… puis on oublie. La virilité de nos dirigeants semble finalement une preuve de la santé nationale. Mais l’affaire du Sofitel, Tristane Banon puis Marcela Iacub démontrent que DSK n’est pas le Latin Lover, la figure emblématique de l’intelligentsia et le prince charmant du PS que l’on présente. C’est un bourreau des cœurs et des corps qui n’hésite pas à dépasser les bornes. Les Femen pointent du doigt DSK comme l’incarnation de tous les vices, une menace pour les femmes. Avec le procès du Carlton, le scandale est retentissant. Peu importe le jugement, l’image du dandy propre sur lui est atteinte. De DSK, de son lustre et de sa carrière, de son parcours exemplaire, on ne retient plus que le mâle sexagénaire insatiable de chair.