Luc Besson, un gentleman pour The Lady

Virtuose, il a fait du portrait d'une icône de la lutte pour la démocratie, le film évènement de cette fin d'année. S'il est aussi doué pour mettre en scène le combat d'une femme, c'est parce que Luc Besson est un homme sensible, sincère... et amoureux. Rencontre.

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Luc Besson © Gareth Upton

Il a un pull, trop grand, un air charmant et les manières à l'avenant. Luc Besson, délesté de 20 kg, fidèle à son look d'ado mais pas à sa réputation de bougon, nous reçoit dans les locaux d'Europa Corp, un hôtel particulier au cœur de Paris, le QG de ce géant et de son épouse, Virginie, qui occupe un bureau à côté du sien. Son 14e opus, le plus intimiste, est d'ailleurs leur bébé à tous les deux : réalisé par le caïd du box-office, produit par sa dulcinée.

Travailler en couple, c'est un fonctionnement qui vous convient ?

Virginie est avant tout une très bonne productrice. C'est important. Je suis extrêmement exigeant sur un tournage. Je ne travaille qu'avec des gens faits pour le job, pas avec "des amis". Mon meilleur pote, je préfère qu'on dîne ensemble, car s'il n'assure pas avec la caméra, il est dehors dans la demi-heure. Virginie me convient à merveille. C'est un vrai pitbull, elle ne lâche rien. (Il manipule son alliance). En même temps, elle est d'une douceur incroyable, elle me parle d'une petite voix, toute gentille. Elle sait utiliser sa masculinité en affaires ou sur les plateaux, tout en restant très féminine (à regarder cette silhouette de top-modèle qui déambule dans les couloirs, on confirme).

Entre nous, c'est à la fois professionnel et fusionnel : un bisou, un câlin, ça fait du bien. Je la vois beaucoup, mais c'est toujours un plaisir (partagé, a priori, car chaque passage de cette brune beauté est ponctué d'un tendre sourire). Cela fait dix ans qu'on est ensemble, mais très peu de temps qu'on collabore. C'est la deuxième fois après Adèle Blanc-Sec. Virginie semble avoir moins peur, je crois que nous allons réitérer l'expérience et je m'en réjouis.

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The Lady © Magali Bragard, 2011 EuropaCorp, Left Bank Pictures, France 2 Cinéma

The Lady est une histoire d'amour hors du commun. Celle d'Aung San Suu Kyi, (incarnée avec brio par Michelle Yeoh) qui sacrifie son bonheur personnel pour celui du peuple birman. Celle de son mari aussi, (poignant David Thewlis), qui fait preuve d'une compréhension et d'une abnégation extraordinaires. Grâce à ses sentiments, cet universitaire anglais supporte la séparation et l'absence. Il élève seul ses deux garçons, puis affronte le cancer et la mort, sans que jamais la lauréate du prix Nobel de la Paix ne vienne à son chevet...

Sacrifier sa vie privée pour son pays : que pensez-vous de cet engagement extrême ?  C'est une leçon d'humilité.

Vous êtes vous-même papa de cinq enfants - Juliette (fille d'Anne Parillaud), 24 ans, Shanna, 18 ans, (dont Maïween est la maman), Thalia, 10 ans, Sateen, 8 ans, et Mao, 5 ans (fruits de son union avec Virginie Silla) -, y a-t-il une lutte qui justifierait de ne plus les voir ?

C'est terrible comme dilemme. A froid non. Pourtant, c'est une décision qui mérite réflexion. J'admire mes grands-parents qui ont tout quitté pour une idée de la paix, de la liberté. Ils sont allés à la guerre, ils y sont restés. The Lady est exceptionnelle, mais des millions de nos aïeuls se sont battus et y ont laissé leur vie. Si on me demande de renoncer à ma famille, je le ferai si je suis convaincu que la cause le mérite. Le problème, si l'on se penche sur l'Histoire de France, c'est que c'est souvent pour un motif économique. Les gens meurent pour l'argent, pas pour une notion transcendante. C'est dérangeant. Alors oui, si le but me tient à cœur, si cela peut les sauver, j'abandonnerai mes enfants.

Vous vous êtes toujours tenu à bonne distance du monde politique. La dimension "engagée" de ce projet vous a fait douter ou vous a stimulé ?

J'ai grandi en Grèce, en Bulgarie, en ex-Yougoslavie (ses parents étaient moniteurs de plongée, ndlr). Je me suis passionné pour les Etats-Unis puis intéressé à la culture asiatique... Faire de la politique, c'est être citoyen. Quand je produis Home, The Cove, Jeanne d'Arc, je fais de la politique. A partir de 30 ans, c'est normal, c'est un devoir même, de s'occuper des gens. En revanche, la dimension gauche/droite, partisane, ne m'intéresse pas.

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The Lady, tournage © Magali Bragard, 2011 EuropaCorp, Left Bank Pictures, France 2 Cinéma

Les personnages principaux de vos films sont souvent des héroïnes. Vous considérez- vous comme un réalisateur féministe ?

Non. Quelqu'un qui dit : "dans ma société, j'ai 5 noirs", à partir du moment où il le remarque, c'est du racisme. De la même façon, être féministe, ce serait mettre en valeur une action spéciale. Je ne me force pas.

Les beaux rôles manquaient dans les années 80'. Il y avait toujours le héros plein de muscles et la nana qui pleure derrière. Ça va 5 minutes. Biologiquement, un homme c'est 49 % femme et 51 % homme, et inversement.
Ce qui est intéressant sur un tournage, c'est que vous devez être guerrier pour diriger, puis consoler, rassurer, encourager... On alterne entre une fonction de général des armées et une extrême sensibilité. Cette dualité du créateur, ce mélange des genres implique de ne pas faire de distinction entre les sexes.

Isabelle Adjani dans Subway, Anne Parillaud dans Nikita, Nathalie Portman dans Léon, Milla Jovovitch dans le 5e Elément sont des femmes fortes, bagarreuses, toujours "armées" et prêtes à dégainer. Là, votre Lady n'a pas de pistolet, seulement son courage et sa ténacité...

En réalité, je n'ai pratiquement jamais fait de films d'action. Lorsqu'on regarde "Subway", on voit une créature qui représente la maturité par rapport à ce gamin interprété par Christophe Lambert. Dans "Le Grand Bleu", la femme dit : "je comprends très bien que tu aies envie d'être un dauphin, mais tu n'y arriveras pas. Alors que moi je suis là et je t'aime". C'est très pacifiste. Si on prend Angel-A, c'est la même complémentarité. Même dans "Léon", le rapport entre cette espèce d'analphabète de 110 kilos et cette plante verte qui est à ses côtés, comment ils vont apprendre à se connaître, puis à s'apprécier, c'est ça le vrai sujet.

Retracer l'itinéraire de la dame de Rangoon, sans violence gratuite et vous illustrer dans un genre "noble", n'était-ce pas là un moyen de prouver quelque chose aux critiques, aux médias, qui vous ont parfois malmené ?

C'est une vraie question de journaliste. J'aurais adoré faire votre métier, c'était vraiment ma vocation : se renseigner sur tous les sujets, voyager, rencontrer les gens, les éclairer, les faire s'exprimer... une super profession !

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Luc Besson © Gareth Upton

Justement, vous avez plusieurs fois annoncé la fin de votre carrière sur grand écran...

Je n'ai pas "besoin" du cinéma. Je ne suis plus obligé de prouver quoi que ce soit, mais j'aime bosser pour le public et lui en mettre plein les yeux.

Vous êtes donc prêt à rempiler ?

C'est vraiment lourd à porter comme film. J'ai passé deux ans là-dessus, j'ai emmené ma tribu en Thaïlande. C'était génial, mais épuisant. Le prochain, je vais aller vers des choses ludiques, légères, fun. J'ai envie de revenir à du grand spectacle.

A bientôt, maestro...

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