Pascale Boistard : "Il faut sortir des stéréotypes pour faire évoluer les droits des femmes"

Pascale Boistard, secrétaire d'Etat aux Droits des Femmes, était à la Rédaction à la veille de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes. Face à nous, la ministre a évoqué les nombreux combats du gouvernement. Morceaux choisis.

Rédactrice en chef d'un jour du Journal des Femmes, Pascale Boistard a animé une conférence musclée.

Sur les stéréotypes :

"Il est important de sortir des stérétotypes pour faire évoluer les droits des femmes."

"La femme est encore érigée en objet dans certaines pages des magazines. En 2016, je souhaite travailler sur le sexisme dans les publicités. Le CSA a une mission sur la télé et la radio, mais pas le cas sur l'affichage. Il ne s'agit pas de contraindre la créativité, ni d'être une mère la morale, mais de faire évoluer l'image des femmes. Je veux montrer qu'elles peuvent être envisagées sous d'autres angles que celui du sexisme."

Sur le sexisme en politique :

"La sphère politique et démocratique a une grande responsabilité. Même si la loi du 4 août 2014 renforce les pénalités financières, certains préfèrent les payer plutôt que de respecter la loi sur les candidatures aux legislatives. Nous sommes à parité sur tous les autres scrutins, sauf l'élection présidentielle évidemment. La loi de 2013 sur les binômes aux départementales a été fortement décriée, pourtant elle nous a permis de dépasser les 16% de femmes représentées dans ces instances départementales et d'atteindre la parité."

"Les victimes n'ont pas à subir"

Sur le harcèlement dans les transports :

"La campagne 'Stop ça suffit' fait partie des 12 propositions du 9 juillet 2015 pour lutter contre le harcèlement dans les transports. La RATP et la SNCF travaillent sur un numéro unique pour alerter au moment des faits. Les agents et les policiers sont formés pour être sensibilisés à ces violences. Nous travaillons aussi pour qu'on puisse demander l'arrêt du bus entre deux arrêts classiques à partir d'une certaine heure, comme l'expérimente Nantes."

"La campagne de communication est importante car elle rappelle qu'un baiser volé, une main aux fesses, les insultes sont lourdement condamnés par la loi. Elle mobilise aussi les témoins et la société dans son entier pour dire 'on peut prendre soin des autres', faire quelque chose sans devenir un(e) super-héros(ïne). Elle rappelle aux victimes qu'elles n'ont pas à subir et qu'elles ont le droit de déposer plainte."

"Chaque pays décide comment il souhaite lutter efficacement contre les violences, notamment dans les transports. La France n'est pas dans une réflexion qui séparerait les femmes des hommes comme au Brésil par exemple, parce que la République, c'est vivre ensemble. Considérer qu'on lutte en créant deux espaces publics n'est pas dans notre objectif. Le but est de se respecter plutôt que de créer des murs entre les sexes."

Pascale Boistard au Journal des Femmes © Harold Fanet / Le Journal des Femmes.com

Sur la féminité :

"Porter une jupe devrait être possible. Notre but est de faire vivre la devise républicaine, la liberté en est le premier point et elle doit s'exercer aussi bien pour les femmes que pour les hommes. On ne doit pas imposer un ordre moral, on ne doit pas se demander ce qui déclenche ou non des violences. La question se pose aux agresseurs : pourquoi en sont-ils là ? Il faut leur rappeler qu'une femme qui se promène n'est pas disponible et à disposition."

Sur le port du voile :

"La loi définit les lieux ou peut ou non, pour des raisons de neutralité ou techniques, afficher ses croyances. Celles ou ceux qui sont contraints d'arborer des signes religieux, c'est une atteinte aux libertés. Moi, je défends ces libertés, dont celle des femmes à croire ou pas, à porter ou non le foulard par exemple."

"Tous ceux qui sont contraints de porter des signes religieux doivent savoir que c'est contre la liberté."

Sur l'IVG :

"Avec Marisol Touraine, nous avons choisi d'élargir le type de professionnels qui peuvent pratiquer l'IVG médicamenteuse ou chirurgicale. C'est un bouleversement qui ouvre aussi beaucoup plus de possibilités. On souhaite réaffirmer ce droit fondamental de liberté, qui n'est pas une obligation, mais qui est indispensable pour la santé des femmes, leur liberté, leur indépendance."

"Les médecins ont la possibilité de faire un quota d'IVG sans faire que ça. Ce droit doit pouvoir s'exercer dans les meilleures conditions. Il faut le faire appliquer et s'en donner les moyens. Le fait d'avoir élargi le type d'intervenants pouvant pratiquer l'IVG nous permet de penser qu'on le réaffirme."

"Nous nous sommes battus sur les moteurs de recherche pour arriver les premiers, devant les faux sites d'information. Nous avons mis en place avec la loi Santé la gratuité de l'acte et de tous les examens médicaux qui précèdent l'IVG. La loi du 4 août renforce les sanctions pour celles et ceux qui empêchent les femmes d'avoir recours à l'IVG devant ou dans les centres."

"On a le droit d'être contre l'IVG, pas d'empêcher le droit de s'exercer"

 

"On a le droit d'être contre l'IVG, pas d'empêcher le droit de s'exercer. La fausse information sur Internet est un sujet très difficile à faire avancer. La loi avait peu pris en compte ces aspects-là jusqu'à présent. Nous travaillons sur ce sujet depuis quelques mois : comment  les propos et messages diffusés sur Internet peuvent être limités sans porter atteinte à la liberté de cet espace ? Comment poser des bornes ? C'est compliqué."

© Harold Fanet / Le Journal des Femmes.com

Sur la Tampon Tax :

"Il y a tout un débat sur les produits de première nécessité, qui justifient une TVA plus basse. Sur les tampons et serviettes hygiéniques, le sujet n'est pas là. Ces produits sont uniquement destinés aux femmes dans une obligation qui leur est faite de les utiliser. Il existe une distortion entre le sexe masculin et féminin. Ce n'est pas l'argument de première nécessité qui devrait être mis en avant, mais plutôt cette inégalité-là."

"Nous avons commandé deux rapports à Bercy pour essayer de quantifier la Woman Tax. Un premier sur les produits, notamment d'hygiène, et un autre sur les services. Elles sont terminées avec des conclusions que nous communiquerons bientôt. Nous travaillons avec le ministère de l'Economie, avec Christian Eckert et Martine Pinville, sur le marketing genré et nous avons l'intention de continuer ce travail."

"La France est assez forte pour dépasser le clivage du marketing genré"

Sur le marketing genré :

 

"Depuis une dizaine d'années, le marketing genré devient extrême, la situation est ridicule. En Espagne, ils ont complètement renversé cela, notamment dans les catalogues de jouets. La France est assez forte pour dépasser ce type de clivage."

 

"Il y a un intérêt économique à acheter un vélo rose pour sa fille et un bleu pour son garçon. Il faut en tenir compte et je pense qu'on peut travailler sur la mise en place dans les rayons avec les grands distributeurs. On doit pouvoir arrêter de pousser ce marketing genré aussi loin. Je peux comprendre les enjeux économiques des fabricants, mais le consommateur existe et des lois ont été votées pour lui."

"Les manuels scolaires sont édités tous les 3-4 ans. A la rentrée 2016, les nouvelles éditions sortiront, avec cette prise en compte de l'égalite filles-garçons."

"Inculquer l'égalité des sexes à l'école est important pour construire un respect entre filles et garçons. Associer les parents c'est très important. Il faut travailler sur l'environnement aussi en général, sur les publicités stéréotypées, qui conditionnent tous le monde, y compris les parents. L'école ne peut pas tout sauver. La société est co-responsable sur ces questions. Il faut aider tout le monde à évoluer."

"On ne va pas se mêler de la vie des gens, mais on peut, grâce à des images, des messages, rappeler que ce n'est pas déshonorant pour un homme de faire la vaisselle."

© Harold Fanet / Le Journal des Femmes.com

Sur la prostitution :

"La prostitution n'est pas un métier. Dans ce cas, il faut mettre en place des formations, des qualifications et ce n'est pas le cas. Les femmes sont contraintes de se prostituer, par des réseaux mafieux ou des raisons sociales."

"Les prostituées sont victimes de violences sexuelles. Quand vous subissez 70 actes sexuels dans la même journée, on ne peut pas parler d'épanouissement. Elles sont plus enclines au suicide, on constate des dégradations psychiques et physiques. La prostitution ne permet pas de s'affranchir. Ce n'est pas une liberté, mais une violence."

"La sexualité, ce n'est pas acheter l'autre"

"L'abolition de la prostitution est un enjeu majeur pour les droits humains."

"Quand il y a un rapport de force financier avec quelqu'un, vous n'êtes pas sur le même plan. Se faire payer pour avoir un rapport sexuel n'est pas un rapport équilibré. La sexualité, ce n'est pas acheter l'autre. La liberté non plus."

"Nous développons un champ de protection des prostituées, menacées par les chefs des réseaux de prostitution. Il faut responsabiliser le client. Nous avons tenu à supprimer ce délit de raccolage car les prostitutées ne sont pas des délinquantes. Elles peuvent avoir une protection juridique, sanitaire et sociale importante."

Sur le féminisme :

"Tout le monde a le droit d'être respecté, y compris dans ses choix. A caricaturer les féministes, on a dégoûté les nouvelles générations alors qu'être féministe c'est simplement défendre les droits des femmes, leur droit à être dans l'espace public quand elles le souhaitent, pouvoir choisir le métier qu'elles veulent, prendre des responsabilités, partager des tâches ménagères, l'éducation des enfants, si on en veut... Il faut être vigilantes : pourquoi en ce moment on caricature tant les femmes qui s'engagent sur ces questions ? Parce qu'on ne veut pas les faire avancer alors qu'il est important de défendre nos libertés."

"Je respecte les FEMEN car l'engagement c'est se donner pour défendre les libertés des autres. Cela ne nous oblige pas à être d'accord sur tout."