Marina Carrère d'Encausse : "Les femmes n'ont pas assez la parole"

Aux commandes de la soirée de France 5 dédiée aux violences conjugales, mardi 24 novembre à 20h35, Marina Carrère d'Encausse nous explique son combat. Entretien avec une femme médecin, romancière, journaliste, engagée avant tout.

Marina Carrère d'Encausse © PJB/SIPA

Marina Carrère d'Encausse, échographe de formation, est connue de tous pour son professionnalisme (et ses fous rires avec Michel Cymes) dans l'animation du Magazine de la Santé. La Parisienne ne passe pas tout son temps à diffuser sa joie de vivre sur des sujets médicaux... Depuis la rentrée, elle a pris les rênes de l'émission de reportages Le Monde en Face sur France 5.
Mardi 24 novembre, veille de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes, la journaliste présentera la soirée débat de la chaîne, à partir de 20h35. Elle nous en dit plus sur ce programme spécial et sur les combats qui animent la féministe qu'elle est.

Pourquoi avoir accepté d'animer Au nom des femmes ?
Marina Carrère d'Encausse : C'est évidemment un combat qui me tient à cœur. J'ai écrit un roman sur une femme victime de crime d'honneur, mais il y a des violences partout. Quand on m'a proposé cette soirée, c'était la moindre des choses de la présenter en tant que médecin, femme, citoyenne, journaliste...

Comment va s'organiser ce programme ?
On diffusera un documentaire très fort puis on lancera un débat avec un plateau composé de plusieurs représentants du monde médical, juridique, associatif, pour faire le tour de la question. Nous aurons notamment avec nous un psychiatre en contact avec des auteurs de violences conjugales. Nous voulons essayer de faire un portait des victimes, des agresseurs. Nous souhaitons tenter de comprendre pourquoi ces femmes ont tellement de mal à partir, pourquoi ce combat qu'elles mènent dure si longtemps. 

Qu'avez-vous appris ?
Je connais plutôt bien l'aspect psychologique de ces violences. J'ai lu beaucoup de témoignages, fait pas mal de reportages sur le sujet, mais je ne savais pas que les victimes étaient si peu assistées juridiquement, qu'elles se battaient comme des folles. C'est révoltant.

Quelles autres causes féminines vous touchent ?
Le droit à l'IVG, qui est menacé. Quarante ans après la loi Veil, on continue à ne pas pouvoir avorter correctement en France. C'est un acte qui n'est pas bien payé et que peu de jeunes médecins veulent bien pratiquer. Ceux qui exercent l'avortement sont bien souvent des militants de la première heure qui prennent leur retraite sans que la jeune génération ne prenne le relai. Cet acte continue d'être en péril de manière pratique et c'est absolument inadmissible.

D'où vous vient ce militantisme ?
Je considère que je suis privilégiée. J'ai la chance d'être née dans un pays qui jusqu'à peu était en paix, dans une famille où l'on considérait que les filles étaient aussi importantes que les garçons. J'ai pu faire des études, j'ai eu le choix de prendre la pilule et d'avoir recours à l'IVG en cas de besoin… J'ai disposé de tous les moyens modernes, je n'ai jamais eu faim, j'ai un travail, je gagne ma vie... Je ne peux qu'essayer de rendre un peu de ce qu'on m'a donné en me battant pour les autres.

Avez-vous déjà été confrontée à des discriminations, dans votre parcours professionnel par exemple ?
Bien sûr. On doit bosser deux fois plus que les hommes pour être crédibles et légitimes, y compris à la télévision, dans les médias. Les gens qui me connaissent savent ce que je vaux professionnellement, mais je dois encore prouver ce dont je suis capable si je démarre une nouvelle aventure.

Que pensez-vous du traitement des thématiques féminines à la télévision ?
Les femmes sont trop souvent englobées de manière générale dans la société alors qu'elles ont des particularités propres. Par exemple, pour mon livre, je suis allée à la rencontre des détenues de Fleury-Mérogis. J'ai découvert un monde très particulier, riche, fascinant. Elles m'ont parlé de leurs enfants, de problèmes très spécifiques, qui sont nécessaires à raconter et auxquels on ne pense pas si on fait un reportage général sur les prisonniers. Leur quotidien n'appartient pas aux hommes, il est important de le montrer. Il faut consacrer des soirées aux femmes, elles n'ont pas assez la parole.

Et le fait d'attribuer une journée aux violences qui leur sont faites, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
Comme pour le 8 mars, on se dit "pourquoi pas les 364 autres jours ?". Pourtant, si une journée permet de faire avancer éventuellement la loi, les opinions, les mentalités pour toutes celles qui sont maltraitées, victimes de discriminations et qui meurent de faim, de violence, c'est tant mieux. Il serait préférable qu'on pense à elles toute l'année, mais ces journées permettent aussi d'appuyer sur certains problèmes, d'alerter des politques, des responsables.

C'est votre but avec la soirée Au nom des femmes ?
J'espère une prise de conscience. Même si de plus en plus de policiers sont ouverts aux plaintes que viennent déposer les femmes battues, il faut que tous le soient, sans que certains banalisent une victime venue porter plainte pour coups et blessures. Il faut aussi alerter les magistrats sur le fait que ces femmes ont besoin d'empathie, qu'on croie leurs récits. Il faut avertir les politique pour que les lois soient parfaitement appliquées.

Violences conjugales, au nom des femmes, à partir de 20h35 sur France 5, mardi 24 novembre 2015.

Voir aussi :