Le féminisme est-il une fashion victim ?

"We should all be feminists", d'après Dior, Prabal Gurung ou encore Zara. Depuis plusieurs saisons, la mode drague le féminisme et fait défiler ses slogans sur des tee-shirts. Un amour impossible ?

Le féminisme est-il une fashion victim ?
© Kelly Taub/WWD/Shutters/SIPA

"Le féminisme est proche de la mode." En septembre 2014, Karl Lagerfeld transforme le show Chanel en protestation féministe et fait défiler Cara Delevingne et consœurs pancartes à la main. Précurseur, le Kaiser. Deux ans plus tard, pour sa collection printemps-été 2017, c'est au tour de Dior d'enclencher le virage avec la nomination de Maria Grazia Chiuri à la tête de la direction artistique. La nouvelle DA ne fait pas les choses à moitié et impose un tee-shirt "We should all be feminists", référence au livre de l'activiste Chimamanda Ngozi Adichie, sur le podium. La pièce devient un incontournable. La sphère mode en fait sa lubie : de Rihanna à Chiara Ferragni, toutes les icônes au style pointu affichent leur white tee engagé. A tel point que cette saison, la manif' fashion activiste est rejointe par d'autres noms, de Prabal Gurung aux enseignes petits prix Monki et Zara.

Hypocrisie fashion ?

Transformer les slogans pour l'égalité entre les sexes en must have, est-ce un argument suffisant pour se revendiquer féministe ? D'un côté, on peut s'étouffer : des étoffes hors de prix qui s'approprient un mouvement ? Comment une industrie de consommation peut-elle porter un combat idéologique ? Surtout quand on voit le mal qu'elle peut faire à la cause, avec ses idéaux féminin formatés, l'hypersexualisation ou la maigreur des mannequins...
Pas à un paradoxe près, la mode ennemie des femmes est aussi un allié de sa libération. Par le vêtement, elles s'émancipent, revendiquent qui elles sont, reprennent confiance. On ne dira jamais assez merci à Coco Chanel pour la suppression du corset et la féminisation des pantalons. On n'admirera jamais assez Yves Saint Laurent pour nous avoir habillées d'un smoking jusque-là réservé aux hommes. On continue de vanter l'activisme de Miuccia Prada, la folie décomplexante de Jean Paul Gaultier ou le militantisme de feu Sonia Rykiel, qui déclarait : "Je défendais une nouvelle manière d'être pour les femmes, plus libre, plus active, plus séduisante aussi..."
Oui, la mode peut avoir une portée féministe. Des marques encore confidentielles font ouvertement le pari du girl power comme concept. C'est le cas d'Ypsylone, jeune pousse parisienne, ou de Feminist Apparel.

Se revendiquer féministe, dans la mode comme ailleurs, c'est afficher sur soi un état d'esprit, mais surtout appliquer les valeurs du mouvement. Si Dior peut désormais se vanter d'avoir embauché une directrice artistique (une première), d'autres sont moins bons élèves. C'est le cas de H&M, dont les conditions de travail des ouvrières en Asie sont jugées déplorables (avec licenciements pour cause de grossesse par exemple), alors que le géant suédois affiche une volonté de briser les clichés autour des femmes dans sa communication. On salue l'initiative d'un clip où toutes les beautés sont promues. On regrette que l'engagement féministe n'aille pas plus loin qu'une jolie vidéo promotionnelle.

La question inhérente à la mode féministe, c'est le souci marketing. Peut-on transformer un combat pour l'égalité en argument de vente ? Les popstars posent déjà la question. Beyoncé en figure de proue. Qu'on apprécie ou non la communication millimétrée de la chanteuse engagée, on ne peut nier le pouvoir de son militantisme. L'empowerment s'impose dans le débat grâce à des sons comme Lemonade. On parle de la place des femmes dans la société, on se questionne sur l'utilité de son discours. A l'image de Queen Bey, si la mode peut paraître hypocrite, elle pourrait bien aussi servir la cause.
Miroir de la société, la mode a fait du féminisme son nouveau dada... parce qu'elle a bien senti l'engouement mondial autour du mouvement. A l'heure où les Women's March réunissent des millions de personnes, les créateurs se mettent au pas. Par conviction ou récupération. A travers eux, le mot "féminisme" redore son blason. Il serait anti-féministe de s'en plaindre. 

"We should all be feminists" by Dior, quand la mode rencontre le féminisme sur le dos des stars

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