Histoire de l'avortement, un combat essentiel

Depuis le 17 janvier 1975, les Françaises sont autorisées à avorter avec un suivi médical. À l'occasion de la diffusion du documentaire "Avortement, prix à payer", le 9 juin à 20h50 sur France 5, retour sur l'histoire d'un combat essentiel.

Histoire de l'avortement, un combat essentiel
© Eustache Cardenas/AP/SIPA

En France, les femmes ont le droit d'avorter dans certaines conditions, depuis la loi Veil, votée en 1975. À l'occasion de la diffusion du documentaire captivant, Avortement, prix à payer, le 9 juin à 20h50 sur France 5, retour sur un combat essentiel, une lutte pour une cause qui n'est pas encore tout à fait acquise.

Qu'appelle-t-on avortement ? Définition médicale

L'avortement se définit comme l'interruption avant son terme du processus de gestation, autrement dit du développement qui commence à la conception par la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde formant ainsi un œuf, qui se poursuit par la croissance de l'embryon, puis d'un fœtus.

Dans le droit moderne, le nouveau-né n'acquiert généralement sa personnalité juridique qu'à la naissance. Avant sa naissance, il n'est donc pas une personne mais comme un "objet juridique", qui peut toutefois être éventuellement porteur de droits privés ou publics.

Dates clefs qui ont marqué l'histoire de l'avortement

De l'Antiquité au XXème siècle

  • XVIe avant J.-C; : Le papyrus Ebers, un des plus anciens traités médicaux au XVIe avant notre ère, contient des prescriptions pour faire avorter les femmes.
  • Grèce classique/Rome antique : L'avortement est une pratique réprouvée car elle prive le père de son droit de disposer de sa progéniture comme il l'entend.
  • IIIe siècle : C'est avec l'expansion du christianisme et le besoin de gérer l'équilibre démographique que les empereurs romains punissent par écrit l'avortement. À cette époque, le silphium (une plante) est utilisée comme contraceptif.
  • Moyen Age : La peine encourue est différente selon que l'avortement est pratiqué avant ou après animation du fœtus. Certaines femmes s'avortent elles-mêmes au péril de leur vie ou peuvent également faire appel à des "faiseuses d'anges".
  • Fin du XVIIIe : Les femmes recourent de plus en plus à l'avortement, souvent pour limiter la taille de leur famille.
  • XIXe : La médecine effectue de larges progrès dans les domaines de la chirurgie, de l'anesthésie et de l'hygiène. Certains médecins font pression pour interdire l'avortement aux États-Unis alors que les interruptions de grossesse sont réprimées : l'article 317 du code pénal de 1810 punit en effet de la réclusion d'un à cinq ans la femme qui avorte et le "tiers avorteur".

Du XXe siècle à nos jours

  • 31 juillet 1920 : Suite à la première Guerre Mondiale et dans un contexte de politique nataliste, la loi réprime fortement l'avortement, défini comme un crime et interdit la propagande pour les méthodes anticonceptionnelles.
  • 27 mars 1923 : Le code pénal fait de l'avortement un délit, afin de mieux poursuivre les avortées et avorteurs devant la cour d'assises.
  • 15 février 1942 : La loi considère l'avortement comme un crime contre l'État français, passible de la peine de mort.
  • 1943 : Marie-Louise Giraud et Désiré Pioge sont guillotinés pour avoir pratiqué des avortements.
  • 1955 : L'avortement thérapeutique est autorisé. Mise au point de la pilule anticonceptionnelle aux États-Unis.
  • 5 avril 1971 : Publication dans  Le Nouvel Observateur du "Manifeste des 343 salopes" dans lequel 343 femmes (personnalités du spectacle, de la littérature et de la politique) déclarent avoir avorté. Aucune poursuite n'est engagée par le gouvernement Messmer.
  • Juillet 1971 : Création de l'association Choisir par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir pour défendre les personnes accusées d'avortement.
  • 20 novembre 1971 : Plus de 40 000 femmes manifestent à Paris pour le droit à l'avortement.
  • Octobre 1972 : Procès de Bobigny. Gisèle Halimi fait acquitter une jeune fille de 17 ans qui avait avorté après un viol.
  • 5 février 1973 : À l'initiative du Groupe d'information santé, publication du "Manifeste des 331 médecins" qui revendiquent dans Le Nouvel Observateur avoir pratiqué des avortements.
  • 28 juin 1974 : L'Assemblée nationale vote le projet de Simone Veil, ministre de la Santé, qui libéralise totalement la contraception. La Sécurité sociale rembourse la pilule et les mineures ont droit à l'anonymat.
  • 26-29 novembre 1974 : Débat houleux à l'Assemblée nationale sur le projet de Simone Veil d'autoriser l'IVG.
  • 17 janvier 1975 : Promulgation de la loi Veil, mise en place pour une période de cinq ans.
  • 30 novembre 1979 : La loi Veil est reconduite définitivement.
  • 1er mars 1994 : Entrée en vigueur du nouveau code pénal dépénalisant l'avortement (lois promulguées le 22 juillet 1992).
  • 1999 : Année de la mise en vente libre de la "pilule du lendemain", le contraceptif d'urgence Norvelo.
  • 4 juillet 2001 : La loi Aubry porte de 10 à 12 semaines le légal de l'IVG et supprime l'autorisation parentale pour les mineures.
  • Décembre 2003 : Après une vive polémique, le gouvernement Raffarin repousse la proposition du député UMP Jean-Paul Garraud, qui institue un délit d'interruption involontaire de grossesse. Cet amendement visait à créer un délit d'homicide involontaire pour un médecin ayant entraîné la mort d'un enfant à naître sans le consentement de la mère en prévoyant une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende en cas d'interruption de grossesse causée "par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence".
  • 2013 : Conformément à la promesse de campagne de François Hollande, le gouvernement décide, un an après son arrivée au pouvoir, de rembourser à 100% l'IVG par l'assurance-maladie.
  • 2017 : L'extension du délit d'entrave à l'IVG aux plateformes numériques est adoptée en mars 2017. Il punit les initiatives en lignes "de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences d'une interruption volontaire de grossesse", selon le texte de loi.

Simone Veil devant l'Assemblée nationale : un discours qui a marqué l'histoire

Le discours de Simone Veil, prononcé à l'Assemblée nationale lors de la première séance du 26 novembre 1974, constitue l'un des textes parlementaires fondateurs de notre histoire.

"Parce que si des médecins, si des personnels sociaux, si même un certain nombre de citoyens participent à ces actions illégales, c'est bien qu'ils s'y sentent contraints ; en opposition parfois avec leurs convictions personnelles, ils se trouvent confrontés à des situations de fait qu'ils ne peuvent méconnaître. Parce qu'en face d'une femme décidée à interrompre sa grossesse, ils savent qu'en refusant leur conseil et leur soutien ils la rejettent dans la solitude et l'angoisse d'un acte perpétré dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. Ils savent que la même femme, si elle a de l'argent, si elle sait s'informer, se rendra dans un pays voisin ou même en France dans certaines cliniques et pourra, sans encourir aucun risque ni aucune pénalité, mettre fin à sa grossesse. Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus immorales ou les plus inconscientes. Elles sont 300 000 chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames.

C'est à ce désordre qu'il faut mettre fin. C'est cette injustice qu'il convient de faire cesser [...]. Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient et traumatisent celles qui y ont recours."

L'IVG en chiffres

  • 220 000 : C'est le nombre d'avortements pratiqués chaque année en France. Un nombre quasi-stable depuis 2006 après 10 ans de hausse : le nombre d'IVG avait en effet légèrement augmenté entre le milieu des années 1990 et 2006.
  • 1/3 : On compte aujourd'hui environ une IVG pour trois naissances.
  • 35 % des Françaises (soit une Française sur trois) a eu recours à un avortement au cours de sa vie).
  • 12 : C'est le délai légal maximum en semaine pour recourir à l'IVG après le début de la grossesse. Il était de 10 jusqu'en 2001.
  • 15 000 : C'est le nombre d'avortements pratiqués tous les ans sur des mineures.
  • 50 % des femmes qui ont recours à l'avortement vivent en couple. 
  • 4 femmes sur 5 habitent à plus de 100 km d'un centre du planning familial.
  • 5 000 femmes partent avorter à l'étranger parce qu'elles ont dépassé le délai légal d'IVG.
  • 88 % des femmes estiment que la légalisation de l'IVG a contribué à l'amélioration de la santé des femmes à la diminution des risques liés aux avortements.
  • 82 % des femmes considèrent que l'IVG a libéré les femmes de la peur d'une grossesse non désirée et à affirmer qu'elles seraient prêtes à se mobiliser pour la défendre si elle était remise en cause.

Sources : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), Inspection générale des Affaires sociales, INED (institution national d'études démographiques), Ministère de la santé et OpinionWay.

Menaces sur le droit à l'IVG

La loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse a constitué une avancée majeure pour les femmes. Il est cependant nécessaire d'alarmer sur la remise en cause du droit des femmes à disposer de leur corps. Pourquoi ce droit est-il aujourd'hui si fragilisé ?Les Françaises sont mal informées en matière de contraception. Si le message du recours à un moyen de contraception est largement diffusé, celui du droit à l'IVG est moins médiatisé.

En 2011, selon une enquête OpinionWay, seules 20% des femmes sondées citaient l'IVG médicamenteuse comme méthode d'interruption volontaire de grossesse, contre 74% la chirurgie. Des chiffres déplorables lorsque l'on sait que seule une bonne information peut permettre aux femmes "d'avoir le choix d'une IVG comme elles le souhaitent et non comme les médecins le souhaitent", considère Israël Nisand, gynécologue obstétricien. Selon lui, ce droit à l'IVG est également amplifié par la fermeture de centres d'orthogénie ou la mise en place de restrictions par certains établissements (qui refusent de pratiquer une IVG au-delà de 10 semaines, de pratiquer des IVG chirurgicales, ou encore parce manque de moyens) et par le déficit de formation des médecins à la pratique etc.

De plus, le vécu psychologique et physique de l'IVG est souvent méconnu ou/et insuffisamment pris en compte. L'activité médicale est faiblement valorisée et parfois dénigrée et les délais peuvent être importants dans certains services hospitaliers. Par ailleurs, certaines femmes témoignent encore de propos culpabilisants de la part de certains professionnels de santé.

En Espagne, le projet de loi criminalisant l'avortement approuvé en décembre 2013 a finalement été abandonné. Avec cette réforme, l'IVG n'aurait été applicable que dans deux cas : le viol, attesté par dépôt de plainte et "un risque durable et permanent" pour la santé physique ou psychique de la mère, certifié par deux psychiatres. Les manifestations dans le pays et les protestations en Europe auront eu raison de ce projet de loi, malgré un retour en arrière évident. 

Le droit à l'IVG, un combat permanent

Comment améliorer la situation de l'IVG  aujourd'hui ?

Plus d'information, une dédramatisation, une législation plus libérale et moins moralisatrice, une éducation scolaire plus soutenue sur le sujet, de nouveaux remboursements, de meilleures conditions d'accès aux soins et à la prise en charge, des renforcements de la formation médicale...pourraient être autant de pistes à étudier.

Des femmes mettent toujours leur vie en danger pour avorter

L'organisation Women on Web, propose aux femmes qui vivent dans un pays où l'avortement est illégal de livrer par la poste les médicaments nécessaire pour pratiquer une interruption de grossesse, pour la somme moyenne de 90 euros. Un service qui pose la question du suivi médical indispensable qui, s'il est proposé en ligne, ne remplace pas pour autant l'avis d'un médecin compétant. En 2012, une clinique flottante proposant des avortements légaux avait été mise en place par l'ONG néerlandaise Women on Waves, pour les pays où il est difficile (voire illégal) de pratiquer une IVG.

L'IVG, un acte médical

Qui peut pratiquer une IVG en France ?

Une IVG peut être pratiqué avant la fin de la 12e semaine de grossesse, soit avant la fin de la 14e semaine après le début des dernières règles.

Qui peut pratiquer une IVG ?

Une IVG ne peut être pratiqué que par un médecin.

Où se pratique une IVG ?

Les IVG pratiquées par technique chirurgicale sont exclusivement réalisées dans un établissement de santé (hôpital, clinique). Les IVG pratiquées par voie médicamenteuse peuvent être réalisées : dans un établissement de santé, au cabinet d'un médecin exerçant en secteur libéral, dans un centre de santé, dans un centre de planification ou d'éducation familiale.

Le choix de la méthode

La technique utilisée dépend du choix de la femme et du terme de la grossesse. L'intéressée peut effectuer ce choix avec l'aide du médecin lors de la première ou de la seconde consultation médicale.

  • L'IVG chirurgicale : elle peut se pratiquer jusqu'à la fin de la 12ème semaine de grossesse, soit 14 semaines après le début des dernières règles ; elle est pratiquée obligatoirement en établissement de santé.
  • L'IVG médicamenteuse : elle est pratiquée soit en établissement de santé, soit en cabinet de ville ou dans un centre de planification, ou dans un centre de santé. Elle est pratiquée jusqu'à la fin de la 5ème semaine, soit au maximum 7 semaines après le début des règles. En établissement de santé, elle peut être pratiquée jusqu'à 7 semaines de grossesse (soit 9 semaines après le début des dernières règles). Toutefois, il faut savoir que tous les établissements de santé publics ou privés ne pratiquent pas les deux techniques.

(Source Santé Gouv)

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