Flavie Flament : de son enfance violée à sa force de conviction

Flavie Flament, violée à 13 ans par le photographe David Hamilton, a relaté son histoire dans "La Consolation", livre autobiographique adapté en téléfilm. La journaliste s'est confiée à nous sur son combat pour se souvenir du pire, sa construction en tant que femme et sa bataille pour allonger le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs.

Flavie Flament : de son enfance violée à sa force de conviction
© DAVID NIVIERE/SIPA

Octobre 2016, Flavie Flament jette un pavé dans la marre. Celle que les Français suivent depuis plus de 20 ans à la télévision et à la radio revient dans les médias, mais pas là où on l'attend. L'animatrice de 42 ans signe une autobiographique, La Consolation, dans laquelle elle révèle avoir été violée par un célèbre photographe de mode alors qu'elle avait 13 ans. Le nom du coupable n'est jamais cité. En cause : le délai de prescription, qui condamne l'ancienne Miss OK! au silence, sous peine de se faire attaquer pour diffamation. La photo de couverture du livre est un cliché signé David Hamilton. Tout est (non) dit. Les médias s'emparent de l'affaire, d'autres victimes se mettent à parler. Le photographe de 83 ans, qui nie les faits, se suicide quelques semaines plus tard.

Flavie Flament de son côté est sollicitée par Laurence Rossignol pour mener une mission ministérielle autour de ce fameux délai de prescription. Pendant plusieurs mois, la journaliste rencontre des avocats, des législateurs, des médecins et surtout des victimes. Son rapport demande à ce que l'on puisse porter plainte jusqu'à 30 ans après sa majorité si l'on est victime d'un crime sexuel avant ses 18 ans. Soit un recours possible à la justice jusqu'à 48 ans et plus 38 ans, comme le précise la loi actuelle. Cet allongement du délai de prescription est toujours porté par Marlène Schiappa. Il était une des promesses de campagne d'Emmanuel Macron.
En parallèle, France Télévision contacte la journaliste pour faire de son livre un téléfilm et pour lui confier les rênes d'un documentaire. La  Consolation, qui retrace l'adolescence de celle qu'elle appelle "Poupette", est réalisé par Magaly Richard-Serrano et diffusé sur France 3 mardi 7 novembre à 20h55. Le documentaire Mon combat contre l'oubli la suit pendant sa mission ministérielle et fera l'objet d'une soirée sur France 5, le mercredi 15 novembre à 20h55. Il parle de la difficulté de libérer la parole quand on est victime d'un viol. Un sujet que l'animatrice maîtrise, elle qui a subi une amnésie post-traumatique.

A quelques semaines de la diffusion de ces deux programmes, et avant que les affaires Weinstein ou autre Kevin Spacey ne viennent sonner comme un écho à son cri du cœur, Flavie Flament nous a accordé un entretien. Pour nous, elle revient sur ces années de combat contre l'oubli, sur sa relation toxique avec une mère complice des atrocités qui lui ont été faites et surtout sur cette bataille qui est devenu la sienne : faire que les victimes de viol soient entendues.

Le Journal des Femmes : Quel rôle avez-vous tenu dans cette adaptation télé de votre livre, La Consolation ?
Flavie Flament : J'ai écrit les dialogues du téléfilm et j'ai assisté à la première semaine de tournage pour aider les comédiens à se placer. Je souhaitais que Lou Gable soit fidèle à ce que j'étais petite. Je ne voulais pas qu'elle soit seulement victime, je voulais qu'elle soit aussi adolescente, pour comprendre le décalage extraordinaire entre l'image que l'on renvoie et le chaos intérieur que personne ne voit. J'étais la seule à avoir connu Hamilton donc on ne pouvait pas aborder ce rôle sans en avoir parlé. Ensuite, j'ai eu un besoin vital de m'extraire du film. J'ai laissé la réalisatrice s'emparer de mon passé. C'est mon histoire, mais c'est aussi l'histoire de tellement d'enfants muselés par le silence…

Comment avez-vous réagi en voyant votre histoire reprendre vie sur écran ?
La première fois que je l'ai vu, j'étais totalement dissociée, mais je l'ai trouvé magnifique, digne. J'ai été troublée par le réalisme des détails, jusque dans les décors. Je me suis fragilisée au deuxième visionnage. Encore aujourd'hui, c'est un film qui m'émeut et qui me permet aussi de me remémorer des souvenirs de bonheur avec mon père. Tout est parfait.

Comme votre livre, le film a pour but de parler du viol, mais on réalise vite que c'est aussi l'histoire d'une adolescente qui se construit dans un univers néfaste... Le comportement pervers de la mère est peut-être ce qui choque le plus.
Je sais que c'est la relation avec la mère qui frappe. C'est un des rouages de l'engrenage dans lequel Poupette se retrouve coincée. Il est hyper important de comprendre que la défaillance vient parfois d'un milieu familial qui ne tient pas son rôle, qui ne veut pas voir ou qui n'a pas le temps de voir. A titre personnel, j'ai eu besoin de décrypter cette relation destructrice, cette mise en danger permanente. J'ai eu besoin de tout comprendre. Je suis en paix avec ça. Ça ne me poursuit pas, aussi parce que je suis en rupture totale avec le milieu dans lequel j'ai été élevée. Je ne pousse pas aux ruptures familiales, mais quand on traverse ce que j'ai traversé, on n'a pas d'autre devoir que celui de vivre, de s'épanouir. Dire que des parents n'aiment pas leurs enfants, que des enfants peuvent rompre avec eux, ce sont des sujets tabous, mais réels. Certains sont prisonniers de ces relations toute leur vie.

"Adolescente, j'étais seule et muselée"

C'est elle qui vous a laissée seule avec un David Hamilton nu. A l'époque, vous réalisiez que quelque chose clochait dans votre relation avec votre mère ?
Il faut comprendre que j'ai été élevée dans une petite ville de province, dans le Cotentin, entourée par la mer. C'est idiot à dire, mais c'est plus facile de partir quand on est entouré par la terre. Voir des bateaux aller et venir m'a sauvée. Je réalisais qu'il y avait un ailleurs possible. Comprendre ce qui est bien et ce qui et mal est extrêmement compliqué quand c'est l'environnement familial général qui ne va pas. Je n'avais pas de point de référence. J'avais mes copines, mais elles voyaient une relation super forte, une complicité mère-fille, comme de l'amitié. J'étais seule et muselée. La quête de liberté de mon grand-père et ce que j'étais profondément me faisaient dire que des choses n'allaient pas. Sauf qu'à chaque fois, la responsabilité de ma mère, sa manière de dire "si tu n'étais pas là, je serais morte" me mettait dans une notion de sacrifice. Les conséquences, je les ai mesurées tout au long de ma vie.

Comment se construit-on en tant que femme quand sa beauté, sa féminité, a été une circonstance aggravante de la situation ?
J'ai été élevée avec cette idée que tout doit passer par l'image que l'on renvoie. J'ai souvent dit, bien avant la sortie du livre, que j'étais une graine d'animatrice TF1, capable de tout pour être aimée par le public. La communication se faisait pas le physique parce que je n'étais rien ni personne, juste une enveloppe par trop désagréable à regarder. J'ai mis énormément de temps à me réapproprier ce que je suis profondément, mais c'était intact. Mon corps m'a laissée dans un profond dégoût très longtemps. En tant que femme, on ne se construit pas normalement quand on est élevée comme ça. La relation physique est très compliquée. J'avais beau être très jolie, j'avais des complexes monumentaux. J'ai longtemps eu honte de moi et je travaille encore là-dessus.

"J'étais une graine d'animatrice TF1 (...) capable de tout pour être aimée par le public"

Vous vous êtes beaucoup exprimée sur ce sujet. Comment vivez-vous le fait de ressasser votre histoire ?
Je ne ressasse pas, j'avance. Le parcours pour sortir du silence et de l'amnésie m'a pris 6 ans de thérapie. C'était un enfer quotidien. Il a fallu comprendre qu'il y avait un problème, aller chercher des souvenirs. Un jour, un Polaroïd tombe et une évidence vient de nulle part. "Il m'a violée." Il faut reconstituer le film. C'est très éprouvant, mais le pire est derrière moi. Donner du sens à ce que j'ai vécu, c'est une façon de transformer le moche en beau. C'est extraordinaire, J'ai repris le pouvoir quand j'ai écrit mon livre et que je me suis redressée. Je n'ai pas eu le choix, sinon je n'aurais pas survécu. J'étais sur un chemin où j'avais le sentiment d'être seule. Je me suis rendu compte que j'étais accompagnée. Se dire que par l'action on fait bouger les lignes, que le gouvernement va s'emparer du sujet, c'est vertueux. 

A quel moment vous êtes-vous dit que votre histoire allait devenir un combat plus global ?
Ça s'est fait naturellement. J'ai sorti un livre pour désigner mon violeur parce que je ne pouvais pas le faire au tribunal, pour m'indigner des délais de prescription. Et puis Laurence Rossignol est venue à moi pour me confier une mission ministérielle, on m'a proposé d'en faire un film engagé, puis un documentaire… Je ne me suis pas levée un matin en me disant que j'allais devenir la porte-parole d'une cause. Je saisis les opportunités qui se présentent à moi afin de mettre en lumière quelque chose d'essentiel pour la société de demain. Si on lâche l'affaire sur les droits des femmes et qu'on ne s'empare pas de la cause des enfants, le monde sera malade. C'est une effroyable banalité.

"Une partie de mon cerveau est endommagée par le choc"

Le délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs est aujourd'hui de 20 ans. Vous souhaitez l'allonger à 30 ans. Qu'est-ce que votre mission ministérielle vous a appris ?
Philosophiquement, je suis pour l'imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs, mais je suis pragmatique et j'ai appris que la prescription est un pilier fondamental du droit français. Sauf que ces délais ne sont pas adaptés à la société. Nous sommes en 2017, il y a eu une avancée considérable dans l'imagerie médicale, dans la recherche scientifique. On comprend le cheminement de la libération de la parole des enfants. Dire que l'on a jusqu'à 38 ans pour porter plainte quand on a été violé enfant est devenu une ineptie. Pour expliquer pourquoi ces délais ne sont pas adaptés, j'ai pris le parti d'expliquer pourquoi on parle si tard. Les enfants sont pris dans une toile d'araignée tissée autour du piège du silence, des conflits de loyauté, de la peur de se confronter à l'adulte. Demander à un enfant de dire "j'ai été violé", c'est compliqué. Ça m'a pris des années. J'ai évité le mot. Il y a aussi un phénomène important à mettre en lumière : l'amnésie traumatique. Dans le documentaire, je fais une IRM du cerveau. Des scientifiques ont constaté les dommages sur une victime pour la première fois. Une partie de mon cerveau est endommagée par le choc.

"Je continuerai toute ma vie à me consoler en donnant du sens à ce que j'ai vécu"

 

Comment avez-vous vécu le retentissement dans les médias qui a suivi la sortie de votre livre ?
Je ne m'y attendais pas. Je savais que j'avais une grenade entre les mains depuis longtemps. J'ai traversé une période de combat dans la solitude et je ne pouvais pas sortir ce livre n'importe comment. J'ai attendu le moment où je pouvais faire face à la tempête médiatique, mais aussi à la tempête familiale. Quand vous mettez ça au centre de la table et que vous dites "maintenant qui prend ses responsabilités ?" ça reste un sujet compliqué… Quand le livre est sorti, j'ai mesuré que la presse s'emparait du sujet parce que c'était moi, mais aussi parce que je m'attaquais à quelqu'un de connu. J'ai tout fait pour le faire sortir du bois. Ça a marché. Ma parole n'a pas été remise en cause. Je me suis sentie écoutée et comprise : ça a été un élément fondateur. Ce piège qui s'était refermé sur moi s'est finalement refermé sur lui. A la sortie du livre, j'ai eu une vie de dingue, mais je sentais que je me redressais, que je prenais de l'espace. J'avais peur de parler et je suis vraiment heureuse d'avoir pu le faire. Si j'avais été armée avant, je l'aurais fait bien plus tôt.

La consolation, vous l'avez trouvée ?
J'explique dans le livre que comme personne ne l'a fait pour moi, je me console. On ne console pas un enfant violé, c'est un truc de fou. Moi-même je me suis maltraitée pendant des années en ne regardant pas cette vérité en face. Aujourd'hui je suis en paix. Je vis avec, même si j'y pense 300 fois par jour. Ça fait partie de moi, mais ce n'est pas ce qui va conditionner l'ensemble de mon histoire. En revanche, je suis consolée et je continuerai toute ma vie à me consoler en donnant du sens à ce que j'ai vécu. C'est le plus important pour moi. Si les délais de prescription sont rallongés, je serai totalement sereine et soulagée.

La Consolation, avec Léa Drucker et Lou Gable. Mardi 7 novembre à 20h55 sur France 3. Suivi d'un débat.
Viols sur mineurs : mon combat contre l'oubli de Flavie Flament. Dans Le Monde en Face, mercredi 15 novembre à 20h55 sur France 5.