Violée à 11 ans, mais "consentante" selon la justice : controverse

Le procès de l'homme de 28 ans poursuivi pour atteinte sexuelle sur une fillette de 11 ans a été annulé après l'ouverture de l'audience. Les faits devraient être requalifiés, comme le demande la partie civile. L'affaire avait créé la polémique en septembre dernier, lorsque le parquet a décidé de ne pas poursuivre l'accusé pour viol, estimant que l'enfant avait approuvé l'acte.

Violée à 11 ans, mais "consentante" selon la justice : controverse
© Sebnem Ragiboglu - 123RF

[Mise à jour du 15 février à 18:16] Le procès de Pontoise, pour lequel un homme de 28 ans est jugé pour "atteinte sexuelle" sur une enfant de 11 ans été annulé et reporté. La famille de la victime, en tant que partie civile, a demandé une requalification des faits. L'avocate de la plaignante a demandé au parquet de "mieux se pourvoir". Un juge d'instruction va se saisir de l'affaire pour apporter des informations complémentaires et déterminer s'il s'agit d'un viol ou d'une atteinte sur mineur, ce pour quoi le prévenu est aujourd'hui poursuivi. "Une victoire pour toutes les victimes", a déclaré l'avocate de la fillette.

L'affaire s'est déroulée à Montmagny, dans le Val d'Oise, en avril 2017. Alors qu'elle sortait du collège, la victime de 11 ans a été appréhendée par l'inconnu de 28 ans, qui a ensuite abusé d'elle à deux reprises, dans la cage d'escalier de son immeuble et chez lui, avec une fellation et une pénétration. Les faits sont avérés. Toutefois, après un dépôt de plainte pour viol, le parquet de Pontoise a décidé de requalifier en atteinte sexuelle l'agression de la fillette. Pourquoi ?
Pour rappel, ce crime est qualifié par le code pénal comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise". Sur un mineur de moins de 15 ans, il est puni de 20 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. L'atteinte sexuelle est, elle, un délit défini comme "le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans". Elle est passible de 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende.

En requalifiant la plainte déposée pour viol en atteinte sexuelle alors que l'acte a bien eu lieu, le ministère public remet en cause l'absence de consentement de la victime. Il sous-entend que la pré-adolescente a approuvé la relation sexuelle. Une enfant de 11 ans est-elle capable de dire "non" à un adulte ? C'est la question qui anime le débat public. Contacté par plusieurs médias, le parquet n'a pas motivé sa décision.

De la difficulté de prouver le non-consentement

Pour la représentante de la victime, interviewée par Médiapart, si la fillette n'a pas réagi au moment des faits c'est qu'elle était sous le choc. "La sidération et la dissociation conduisent à l'anesthésie. On ne ressent plus sa peur, comme l'a analysé la psychiatre Muriel Salmona. C'est d'autant plus vrai pour les enfants."

"On ne devrait même pas se poser la question du consentement pour des gamins"

Ce n'est évidemment pas la première fois que la justice française est confrontée à pareille affaire. Elle doit à chaque fois examiner au cas par cas l'âge de la victime, son état psychologique et son éveil sexuel. La contrainte peut être retenue si l'état de sidération est prouvé, si on estime que l'agresseur a usé d'un assujettissement moral (s'il c'est le directeur de l'école par exemple) ou si l'écart d'âge entre les deux parties est jugé trop important. Ici, l'agresseur maintient qu'il donnait "entre 14 et 16 ans" à l'adolescente, alors qu'elle martèle lui avoir montré son carnet de correspondance sur lequel figurait son niveau d'étude. "Il s'agit d'une tolérance juridique, regrette la représentante de l'enfant. On ne devrait même pas se poser la question du consentement pour des gamins."

"Le consentement n'est pas défini par la loi", nous indique Me Voitellier, avocat au barreau de Versailles et membre du réseau Eurojuris, qui rappelle que les décisions de justice sont l'application formelle du code pénal. Si le présumé coupable était jugé pour viol, en Cour d'Assises, les représentants de la partie civile devraient prouver le crime. "C'est très compliqué à démontrer. Dans le cas où les éléments apportés ne sont pas en mesure de valider la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, le présumé coupable se verrait acquitté", explique le pénaliste.

Le parquet de Pontoise a peut-être préféré qualifier les faits d'atteinte sexuelle pour être certain que le jugement en tribunal correctionnel aboutisse à une condamnation. "La procédure en Assises peut s'étendre sur plusieurs années, c'est très lourd pour les plaignants, précise Me Voitellier. Le jugement en correctionnelle est beaucoup plus rapide. Certaines victimes ont besoin, pour se reconstruire, d'être reconnues en tant que telles… le plus vite possible."

Débat social et décisions européennes

Le 25 novembre 2017, Emmanuel Macron a annoncé la création d'un projet de loi visant à lutter contre les violences sexuelles et sexistes et, donc à protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles. Le chef de l'état s'est engagé à instaurer un seuil en-dessous duquel un mineur ne peut être présumé consentant à une relation sexuelle avec un adulte. Un comité pluridisciplinaire, composé de juristes, de médecins et de professionnels de l'enfance, a ainsi été créé à la veille du procès de Pontoise pour réfléchir à cette notion de seuil de consentement. Leur avis est attendu le 1er mars, avant la présentation d'un projet de loi le 7 mars en conseil des ministres. Si le président de la République avait exprimé sa volonté de voir ce seuil fixé à 15 ans, cette création d'âge minimal est considérée comme trop arbitraire par certains. Pour Me Voitellier, cette proposition est difficilement applicable : "Cela reviendrait à renverser la charge de la preuve. On ne serait plus présumé innocent, mais coupable. On ne devrait plus apporter des éléments pour démontrer la culpabilité de l'accusé, mais son innocence."