Le poids des tâches ménagères

Penser en permanence aux tâches ménagères, à l'organisation du foyer et anticiper le tout... Ainsi se définit la "charge mentale", ce syndrôme invisible qui touche surtout les femmes. Jean-Claude Kaufmann, sociologue spécialiste de la vie quotidienne et des rapports femmes-hommes, nous éclaire sur le sujet.

Le poids des tâches ménagères
© 123RF - Dinozzo

Fallait demander ! Ainsi s'intitule la bande-dessinée qui a fait couler de l'encre fin mai 2017. Le sujet ? La "charge mentale", un syndrôme qui incombe particulièrement aux femmes : ces dernières doivent penser à l'organisation du foyer et anticiper. Une conséquence directe de l'inégale répartition des tâches ménagères dans le couple. Pour rappel, les corvées domestiques seraient à 93 % effectuées par les femmes, selon une enquête du Credoc datant de 2015. En dénonçant le phénomène, l'auteure de ladite BD, Emma, a mis en lumière un fléau méconnu jusqu'alors. Si bien, que dans la foulée, une page Wikipedia a vu le jour, ainsi que des sondages portant sur le sujet. Selon une étude menée conjointement par Grazia et YouGov France, 50% des Françaises "souffrent du fait de devoir tout organiser ou planifier", surtout les plus âgées : les 35-44 ans sont 60% à déclarer subir la charge mentale, contre 41 % des 18-24 ans, 56 % des 25-34 ans et 51 % des 45-54 ans.

Charge mentale et conséquences

"Les femmes ont été reléguées au second plan dans l'Histoire. De fait, elles portent les valeurs familiales et ont comme secteur de responsabilité l'affect, le monde de l'intime, ou du relationnel", analyse le sociologue Jean-Claude Kauffmann. "Elles ont construit une compétence et une culture dans ces domaines-là. C'est pour ça qu'elles s'engagent encore plus et qu'elles portent les charges familiales."  Et ce n'est pas sans conséquence : "Les femmes ont la famille dans la tète, ce qui fait qu'elles n'ont pas la disponibilité mentale au travail quand elles ont une charge de famille pour s'investir dans un poste à responsabilité. Le plafond de verre vient de cette charge mentale. Cette dernière est un élément qui permet de comprendre qu'on est encore loin de l'égalité."

Solution : se combattre soi-même

La question qui subsiste est : comment combattre les inégalités ? "Il faut faire un travail d'équipe tous ensemble pour avancer. Ça fait un siècle que j'explique que c'est dans le fonctionnement du couple, dans le partage des tâches ménagères et familiales, qu'il y a un élément important qui forge les inégalités. Si à l'inverse, on instaure l'idée d'une guerre entre les hommes et les femmes, ça va être contre-productif. C'est un combat de l'homme contre lui-même, car il est peu enthousiaste pour les tâches ménagères, et de la femme contre elle-même, car elle doit accepter que la tâche ne soit pas faite de la manière dont elle souhaiterait." Et d'ajouter, à propos du fameux "fallait demander" : "S'il demande, c'est aussi de la charge mentale : il va falloir lui expliquer comment faire, c'est plus rapide de le faire soi-même. Le geste physique est moins pénible."

Des mécanismes inconscients

A en croire Jean-Claude Kauffmann, qui a étudié la question dans son livre Agacements. Les Petites Guerres du couple, les femmes ont construit des automatismes plus exigeants que ceux des hommes. "Donc ce que font les hommes n'est pas comme il faudrait et elles sont agacées du fait que l'homme ne comprenne même pas pourquoi elles sont agacées et ce qu'il aurait fallu faire". C'est un mécanisme non-conscient. Il s'agit de la "mémoire implicite", comme l'appellent les cognitivistes. "90 % des gestes, qu'on a construits soi-même par rapport à des références, ne passent pas par la conscience : on n'arrête pas de gérer des emplacements d'objets, de remettre en place. Il faut plonger dans l'aspect non conscient des cerveaux et voir que c'est là que se situe le blocage principal pour l"avancée entre l'égalité femmes-hommes, loin des guerre entre les deux sexes." Et de rappeler que les inégalités résultent d'une synergie de facteurs congruents, tels que la société, l'éducation, les stéréotypes ou encore la politique.

Et après ?

Le sociologue spécialiste de la vie quotidienne est plutôt pessimiste quant au progrès de l'égalité femmes-hommes. "On a avancé dans les années 70 parce qu'on était mobilisés dessus, on savait qu'il fallait faire des efforts tous ensemble, Aujourd'hui, on a l'impression que c'est une affaire classée." Pire encore : il présage un recul dans les années à venir. Pourquoi ne pas tenter de lui donner tort en appliquant sa méthode et en acceptant de faire des concessions dans notre couple sur les tâches ménagères ?