Journée internationale des migrants : "Les femmes ont besoin de soins psychologiques"

Violences, problèmes de santé et manque de moyens mis à disposition sont toujours le lot quotidien des populations en transit, alors que l'ONU a désigné le 18 décembre comme la journée internationale des migrants. Et les femmes sont particulièrement exposées. Aurélie Ponthieu, conseillère humanitaire pour Médecins sans Frontières, tire la sonnette d'alarme.

Journée internationale des migrants : "Les femmes ont besoin de soins psychologiques"
© Marie Dorigny/European Union 2015

Un million de migrants ont foulé le sol européen en 2015. Parmi eux, plus de 30% de femmes et enfants venus rejoindre un mari ou un père déjà exilé, en fuite à cause de la guerre et des violences. Parce qu'elles sont victimes de harcèlements, de viol ou d'abus en tout genre, ces populations aux problématiques spécifiques devraient bénéficier de conditions d'accueil plus adaptées. Malheureusement, la réponse européenne est loin d'être à la hauteur de la nécessité, comme nous l'explique Aurélie Ponthieu, conseillère en déplacement pour Médecins sans Frontières et spécialiste de l'impact humanitaire de l'asile et des politiques migratoires.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontée sur le terrain ?
Il manque une approche basée sur la vulnérabilité. M
ême les personnes identifiées comme prioritaires ne reçoivent pas d'assistance adéquate. Par exemple, les femmes enceintes, dont le problème est très important, sont faciles à repérer, mais leur prise en charge est impossible. Elles n'ont pas eu de suivi prénatal parce qu'elles viennent de Syrie ou d'Afghanistan et leur santé n'est pas leur priorité. Elles n'ont pas le temps de se soucier de ça.
Il y a aussi toute la question de l'assistance d'urgence. On essaie tant bien que mal de séparer les hommes des femmes sous les tentes, mais c'est souvent impossible... Il y a trop de monde. La nourriture n'est pas adaptée non plus, les gens ne mangent pratiquement que des sandwiches. Le voyage dure en moyenne 10 jours. On peut se dire que ça n'aura pas d'impact trop important, sauf pour les futures mamans et les enfants. C'est un vrai problème : on commence à avoir des cas de malnutrition.

"Les pathologies pourraient être évitées avec l'assistance adéquate"

Quelles sont les lésions observées ?
Les besoins médicaux ne sont pas très aigus pour les personnes qui arrivent en Europe. Les soucis sont liés au voyage : problèmes gastriques, infections respiratoires à force d'être à l'extérieur, maladies de peau liées à un manque d'hygiène... Ce sont principalement des pathologies qui pourraient être évitées avec l'assistance adéquate et de meilleures conditions. L'autre difficulté est celle des malades chroniques, qui interrompent leur traitement au cours du voyage, parce qu'ils n'ont pas le temps de trouver un médecin ou d'avoir accès aux médicaments. C'est un vrai risque du parcours migratoire.

Comment agissez-vous pour remédier à cela ?
Nous travaillons avec les autorités pour identifier très rapidement les personnes les plus vulnérables : femmes enceintes, enfants, personnes âgées ou malades chroniques. Nous négocions pour que leur enregistrement soit plus rapide. Au départ, chacun faisait la queue pour soi, sous la pluie. Mais nous n'offrons malheureusement qu'un droit de passage plus rapide. À la fin, ces personnes doivent toujours franchir la frontière et, si elle est fermée, faire appel à des passeurs, subir tous les risques du voyage.

Réfugiées arrivées de Turquie sur l'île de Lesbos, en Grèce © Marie Dorigny/European Union 2015

À quels traumatismes spécifiques sont exposées les femmes ?
Les besoins de santé mentale sont les plus aigus sur cette population. Ces femmes fuient la guerre, les persécutions ou les violations des droits de l'Homme : elles étaient déjà victimes de violences avant le voyage. Pendant leur périple, puisqu'elles sont obligées de passer par des voies irrégulières, elles sont encore plus vulnérables et exposées. On essaie de leur offrir une assistance adaptée au contexte de transit. Nous sommes obligés d'avoir recours à des premiers soins psychologiques via des sessions qui offrent un support immédiat sans entrer dans le détail du trauma. Nous les informons beaucoup. Les gens souffrent psychologiquement à cause de l'anxiété de l'inconnu, de ne pas savoir ce qu'il vont devenir… Quand ils demandent l'asile, nous sommes en mesure de leur apporter une vraie prise en charge psychologique.

"Les citoyens peuvent renverser la vapeur"

Comment peut-on aider en tant que citoyens ?
Il y a déjà beaucoup de volontaires. Nous observons un élan de solidarité énorme sur la route et dans les pays d'accueil. C'est important : aujourd'hui, la situation est devenue politique. Les décisionnaires européens sont aveugles à la souffrance de ces gens, ils refusent de voir qu'ils vont continuer d'arriver, ils ne veulent pas investir dans leur accueil. Le rôle le plus important que les citoyens peuvent jouer, c'est de renverser la vapeur de ces politiques anti-migrants soi-disant fondées sur l'opinion publique.

Que ressent-on en tant qu'humanitaire, face à cette situation catastrophique ?
Une frustration énorme, une colère. Tout nous échappe, on ne fait que répondre à l'incohérence politique. Nous sommes dans une région du monde qui a les ressources, les moyens de s'organiser pour répondre à cet afflux de personnes important, mais qui n'est rien en proportion à d'autres pays. Ce n'est pas ingérable, il faut juste décider de le gérer humainement. J'espère que les politiques vont se rendre compte que leurs décisions sont vaines. Ils n'arrêteront pas ces gens d'arriver. On va toucher le fond à cause de leurs œillères.

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