Isabelle Huppert : "Le cinéma m'amuse et m'épanouit"

Récompensée par le métier, consacrée par la critique et le public, citée comme modèle par ses pairs, Isabelle Huppert a tourné avec talent, passion et sans compromission plus d'une centaine de films. Actrice ultradouée, elle a inventé une séduction non-stéréotypée, suscite le respect et nous subjugue par son magnétisme. Confidences d'une star convoitée, gracieuse, délicate, sans fard.

Isabelle Huppert : "Le cinéma m'amuse et m'épanouit"
© Christian Marquardt/SIPA
Madame Hyde de Serge Bozon se regarde avec curiosité, plaisir et enthousiasme. A la fois pop et désuet, mélancolique et dynamisant, didactique et philosophique, ce film, visuellement surprenant, est un trésor d'intelligence, un divertissement vecteur de savoir, une leçon de cinéma et de sciences physiques. C'est avec jubilation que l'on retourne sur les bancs du collège et que l'on écoute parler de la cage de Faraday et des champs magnétiques. Le réalisateur y électrise la  banlieue morose et le désarroi de la jeunesse avec une mise-en-scène stylisée et pleine de poésie. A contre-courant des drames sociaux et des blockbusters fantastiques, cette proposition transporte la lumineuse Isabelle Huppert au cœur d'un discours sur la transmission, et nous éclaire. Rencontre avec la géniale Mrs Hyde.

Pourquoi vous dans Madame Hyde ?
Isabelle Huppert : 
J'avais déjà tourné pour Serge Bozon dans Tip Top et nous avions envie de retravailler ensemble. Dans Mme Hyde inspiré de Stevenson, nous avons réitéré l'univers du réalisateur: une histoire de forme burlesque sur un fond extrêmement réaliste. Drôle et léger, le film démarre comme une comédie jusqu'à ce que les propos deviennent plus graves. La description d'une vie conjugale tranquille, du quotidien d'une prof en ZEP est perturbé par un phénomène paranormal. Ce film loufoque et politique à la fois témoigne de la réalité sociale de notre pays, empreinte de mixité et de précarité scolaire. C'est une composition extravagante où il est question d'éducation, de transmission du savoir et du pouvoir de la connaissance.

Eduquer, instruire, transmettre: sont-ce les principes qui vous animent ?
L'enseignement est une valeur essentielle, l'éducation, un fondement de la société, la condition nécessaire à l'évolution de la jeune génération. Mon personnage, en tant que professeur, est un marqueur pour l'élève et pour elle-même.

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Isabelle Hupppert dans Madame Hyde © Haut et Court

Présentez-nous l'enseignante malmenée que vous incarnez à l'écran ?
C'est une femme timide, un peu godiche, mariée à un homme au foyer très attentif qui se rêve artiste...  Elle a un rapport ténu à l'autorité, elle est fragile, mais pas dénuée de courage puisqu'elle affronte une classe de collégiens qui la méprisent la chahutent et parvient à attirer l'attention d'un jeune élève... La nuit, la maladroite Mme Jekyll devient maléfique Mme Hyde, nantie d'un pouvoir surnaturel et destructeur.

Vous êtes à l'affiche de trois films, jouez une vamp fatale dans Eva de Benoît Jacquot, une artiste photographe éthérée dans La Caméra de Claire du Sud-Coréen Hong Sang-soo, vous serez bientôt au casting de la série Dix pour cent, dans une version de Blanche-Neige signée Anne Fontaine et dans une pièce de Bob Wilson... : cette diversité est-elle le moteur de votre carrière ?
Cela fait partie du métier : être actrice c'est changer de rôle ! Tout dépend des metteurs en scène qui mettent en valeur ou non ce champ des possibles, de leur audace, de la chance d'être choisie pour un film...

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Isabelle Huppert dans Eva © Copyright EuropaCorp Distribution

Où trouvez-vous l'énergie pour réaliser des performances aussi diverses ?
Je ne considère pas cela comme un effort. Le cinéma est un plaisir. C'est un travail plus cérébral que physique, à la différence du théâtre, plus éprouvant. Je parlerais donc de curiosité et surtout, je ne suis pas l'unique responsable de cette créativité. Le cinéma est une œuvre collective.

Comment vous ressourcez-vous pour être en accord avec vos émotions ?
Je n'en ai aucunement besoin. Cela impliquerait que j'ai besoin d'aller chercher quelque chose ailleurs pour pallier un manque or jouer la comédie ne me prend rien, au contraire cela m'amuse et m'épanouit.

A l'inverse, avez-vous des moments sans désir de tourner ?
Je n'ai pas d'addiction à la caméra, qui suppose passivité et soumission. Je multiplie des expériences au gré de mes envies !

Isabelle Huppert, savez-vous ne rien faire ?
Cela n'existe pas : même allongée en train de rêvasser ou en me reposant je suis dans l'action.

Quel est votre rapport à l'information ?
Qu'on la consomme ou qu'on l'ignore, l'actualité se rappelle à vous constamment. Je ne dis pas que tout m'intéresse, je ne prétends pas résoudre ou changer les choses, mais en me mettant au service de cinéastes, je participe à ouvrir des petites fenêtres sur le monde.

Vous avez toujours assumé une position féministe. Comment avez-vous vécu la libération massive de la parole des femmes ?
La pression des journalistes autour du scandale Weinstein et cette injonction systématique des médias à vouloir que chacune se positionne constituent un moment historique. C'est une bonne nouvelle que les femmes qui avaient si peu la parole s'en emparent de manière aussi spectaculaire. Ce mouvement dépasse l'industrie du cinéma car la misogynie est partout. On ne peut pas laisser le sexisme inacceptable sous silence.

Vous jouez une prof qui enseigne à des jeunes ayant grandi avec Internet, comment avez-vous domestiqué le Web ?
Justement, je ne maîtrise pas tout ! J'envoie des mails, péniblement, mais j'ai conscience qu'il devient difficile de résister à cette vague technologique. C'est dingue cet accès au savoir immédiat, fou aussi de constater à quel point c'est inscrit dans la scolarité dès le plus jeune âge, et comment la Toile est devenue un outil éducatif… J'avoue avoir le réflexe du dictionnaire, mais  j'utilise de plus en plus mon smartphone en pleine conversation lorsque je n'ai pas la réponse à quelque chose !

L'usage exagéré des portables, la mode des selfies et les clichés volées, cela vous pèse-t-il ?
Complètement. Quand je me balade dans la rue, je suis prise en photo à mon insu et me retrouve sur les réseaux sociaux. Cela fait un drôle d'effet !

Cela induit-il une nouvelle façon de présenter votre image ?
Non car on ne peut pas y penser tout le temps, mais affronter l'espace public, c'est avoir l'impression que le monde entier vous regarde !