Guillaume Gallienne : "L'humilité n'est pas mon fort"

Après l'immense succès de son premier film, "Les Garçons et Guillaume, à table !", Guillaume Gallienne retrace le parcours personnel et intime de Maryline, comédienne peu loquace, et nous raconte ses déboires, de sa province natale à Paris. Rencontre avec le réalisateur sensible et subtil de ce magnifique portrait de femme.

Guillaume Gallienne : "L'humilité n'est pas mon fort"
© Photo Thierry Valletoux

Vous avez trouvé spontanément les mots, de par votre éducation, votre culture, pour parler de vous et vous raconter dans un premier film. Dans Maryline, ces mots vous avez su les entendre pour raconter le destin d'une autre…
Guillaume Gallienne : Le film m'a été inspiré par une femme que j'ai rencontrée il y a quinze ans. J'ai toujours été impressionné et intimidé par les taiseux. Ils ont un mystère que je n'ai pas. Il y a une curiosité, pas une envie mal placée, mais un désir de découvrir la partie submergée de l'iceberg qui doit être dingue. Jouer une femme pendant trois ans - Lucrèce Borgia à la Comédie Française – a accentué mon intérêt pour vos fragilités et votre force. Vous êtes concaves, nous, convexes. Nous poussons, rentrons dans l'âme. Vous accueillez, mais vous encaissez aussi, énormément !

Qui est Maryline ?
Une actrice qui ne devient pas une star sous les projecteurs hollywoodiens, mais va réussir, comme une chrysalide, à déployer ses ailes et prendre son envol. Cette chronique retrace avec beaucoup de plans séquence le parcours de cette femme du milieu des années 70 au début des années 90, à travers un premier cinéma très vaste, très ample, animal, sexy et terrible à la fois, puis un cinéma plus bourgeois, plus intimiste, avant d'aller vers un théâtre carrément politique. Cela permettait de raconter une évolution artistique que j'ai ressentie et d'expliquer comment la contingence peut détruire un être…

La bienveillance est une autre dimension de votre film…
Il est bouleversant de voir quelqu'un qui a les mots, les codes, tendre la main à quelqu'un de désarmé, le sauver du gouffre. J'ai construit un film à la fois social et romantique, une épopée qui me vient d'une phrase tirée d'un livre de Jun'ichiro Tanizaki qui s'appelle l'Eloge de l'Ombre : "L'or n'est jamais plus beau que dans le noir".

Puis-je vous entendre sur la force du langage. Vous qui venez d'un milieu aisé, comment s'est passé votre apprentissage des mots ? Avec évidence, exigence, en rébellion ?
Ma mère n'est pas tactile, du tout. Elle ne nous a jamais fait de câlins, pris dans ses bras, caressés... Mon lien avec elle, c'était les mot      

Vous dites : "Je suis à l'aise dans la profusion, je suis quelqu'un qui parle..." C'est un refuge d'enfance le verbal ?
Ma mère est très pudique et timide. Avec les mots, elle trouvait une aisance et là, le contact pouvait durer des heures. Au téléphone, encore aujourd'hui, je ne l'appelle que quand j'ai une heure devant moi...

Le silence peut-il apporter du réconfort ?
Maryline préfère le rien au médiocre. Cette force d'inertie est un courage qui vient de la peur. Ce n'est pas de l'inconscience, pas un handicap. Les introvertis ont ça.

Maryline trouve une échappatoire dans l'alcool, qui désinhibe, facilite la relation aux autres...
L'addiction est un schéma d'autodestruction qui me fascine. Je me demande toujours à quelle dépendance, quelle substance, les gens ont échappé. Avec laquelle luttent-ils ou flirtent-ils. Je le sens. Les "accros" ont un rapport compliqué avec la bienveillance. Il leur est plus facile de se prendre le mur parce que c'est un terrain connu que d'accepter de l'aide. Il faut une persévérance acharnée pour qu'ils acceptent de recevoir du bien.        

Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
C'est un film dans lequel j'ai beaucoup joué sur les regards, les non-dits, en me servant de cinquante-deux acteurs principalement de théâtre parce qu'ils savent comment ne pas compenser la petitesse d'une petite partition en en faisant trop. Ils ne réduisent pas leur rôle à une fonction dramaturgique. L'autre critère est la musicalité. Je l'ai tout le temps moi. J'ai demandé à Anne Bouvier de jouer la maquilleuse parce qu'elle a du jazz comme Annie Girardot, à Florence Viala de prononcer des sentences "pas polies" qui claquent. J'entends souvent en écrivant…

© Photo Thierry Valletoux

Ce rôle de chef d'orchestre est-il celui qui vous plaît le plus ?
J'avais besoin d'un break en tant qu'acteur. Je reviendrai, j'espère, la fleur au fusil et plein de désir d'incarnation… J'aime énormément raconter des histoires quelle qu'en soit la forme. Est-ce que je dois les incarner est ce que je dois les mettre en scène, en danse, en opéra, en bouche, en texte ? Je parle déjà du troisième opus que je vais réaliser…

Vous convoquez la nostalgie et un rythme inhabituel dans la narration au cinéma, une temporalité qui laisse sa place au trouble, à l'interrogation…
Parfois j'évoque juste pour que l'imaginaire travaille. C'est beaucoup grâce à Claude Mathieu qui m'accompagne dans tout ce que je fais en réalisation. Elle ne se laisse jamais perturber par les contraintes du tournage alors qu'en tant que réalisateur je suis responsable d'un budget, d'une ambiance, d'un climat et en même temps j'ai le sens de l'instinct. C'est comme un éditeur avec un auteur, comme si elle connaissait l'œuvre plus que moi...

A la fin de film, Vanessa Paradis interprète magnifiquement "Cette Blessure" de Léo Ferré comme un murmure à votre oreille...
Cette chanson, c'est une chatte. C'est l'Origine du Monde de Courbet incarnée dans un souffle. C'est l'inspiration, l'expiration, le rendez-vous avec l'intime. C'est la vie ! Quand ma femme susurre, elle m'emporte. Juste le souffle, elle n'a pas besoin de tout dire, de me forcer… C'est un souffle de vie qui porte. C'est tellement sensible et juste. Il y a une forme de lâcher prise.  

Avez-vous besoin du regard de votre femme ?
Son regard m'importe car il ne me fixe sans me figer. Il me fait avancer. C'est un socle sur lequel me poser et sans lequel je me disperserais.... C'est tous  les points cardinaux à la fois, un repère, un havre, de la compassion...

Diriez-vous que vous êtes "fier" ?
Je suis fier d'avoir trouvé une douceur, une délicatesse, de faire connaître au public Adeline d'Hermy et d'autres comédiens que j'affectionne. Un ami critique m'a dit "ne le prends pas mal mais, je ne m'attendais pas à un film aussi profond". Un autre ami a écrit : "c'est la défaite des adjectifs". Cela m'a plu parce qu'en général j'en rajoute beaucoup... J'ai réussi à toucher du doigt l'humilité et la modestie du personnage. Ce n'est pas mon fort… C'est une vraie gageure.

Qu'est qui a changé chez vous, récemment ?
Mon regard sur les femmes. Sacha Guitry disait : "il n'y a rien de plus triste qu'une femme qui ne sait pas qu'on la regarde"... C'est dingue, le nombre de femmes que je peux voir dans un café, dans un restaurant, seules, ou pas d'ailleurs, mais seules dans leurs pensées. Ce par quoi une femme est passée pour en arriver là. Cette beauté, cette liberté aussi, de choisir de dîner seule... Quel accomplissement ! Les femmes doivent se sentir comprises, aimées, reconnues comme sensibles, courageuses, tangibles.