Benjamin Biolay : "Je m'écoute jusqu'à l'écœurement"

Chanteur et acteur, Benjamin Biolay s'est entraîné à jouer les jurés pour le Festival du Cinéma Américain de Deauville. Avant de rejoindre La Nouvelle Star, l'artiste nous a parlé de son adoration pour le 7e art, de son aversion pour les Etats-Unis et de sa passion pour la musique.

Benjamin Biolay : "Je m'écoute jusqu'à l'écœurement"
© Reynaud Julien/APS-Medias/ABACA

Le Journal des Femmes : Vous souvenez-vous du premier film qui vous a marqué ?
Benjamin Biolay : Le premier film qui m'a vraiment marqué, c'est E.T. Je n'étais pas vieux à sa sortie. La scène d'introduction reste la peur de ma vie. J'étais terrorisé.

Une grande leçon que le cinéma vous a donnée ?
J'ai vu Johnny s'en va-t-en guerre de Dalton Trumbo trop jeune. C'est l'histoire d'un pauvre garçon mutilé pendant la guerre de 14/18, qui se retrouve utilisé comme un morceau de viande pour des expériences, parce qu'on croit qu'il est en état de mort cérébrale. Sauf que ce n'est pas le cas et qu'on entend sa voix off. C'est la chose la plus atroce et la plus belle que j'ai vue. Ça a changé ma vision de l'existence.

Avez-vous la même approche face à un film et à une chanson ?
Une chanson ne va pas me laisser de trace grâce à son texte. On peut la ré-écouter quand on veut. Un film peut me remuer et me laisser dans l'expectative pendant des heures. C'est plus viscéral. Les deux ne me bouleversent pas de la même manière.

Au cinéma, qu'est-ce qui vous touche le plus : l'histoire, la mise en scène ou le jeu d'acteurs ?
A priori, je vais espérer une bonne histoire avec des partis pris, mais parfois il ne se passe pas grand-chose et je suis émerveillé. J'adore les films de Kevin Smith, genre Clerks, sur deux glandeurs dans un vidéo club qui se racontent des conneries toute la journée.

"Me voir me fait moins d'effet que de m'entendre"

Si votre vie était un film ?
Si ma vie était un film, ce serait un biopic sur un chanteur, avec des bons et des mauvais moments. Rien de passionnant. Ce ne serait même pas financé.

Quel serait votre casting idéal ?
Dans mon casting idéal, il y aurait Marilyn Monroe, Marcello Mastroianni, Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Jack Nicholson, John Cassavetes, Michel Piccoli… Je suis très fan des acteurs et des actrices. Ils sont l'essence même de ce qu'est un interprète. Je fais de la musique et je sais à quel point c'est compliqué. Quand j'oublie que c'est eux à l'écran, je me demande comment il ont réussi leur coup. Parfois, ça me le fait avec des gens que je connais dans la vie. Je vois le film et je trouve ça merveilleux.

Quand c'est vous l'acteur, qu'est-ce qui vous anime ?
Quand je joue, j'y crois. Je pense que c'est la vraie vie pendant qu'on tourne. C'est la seule chose que je peux décrire avec des mots.

Qu'est-ce qui vous plait dans le milieu du cinéma ?
En musique, il n'y a qu'en tournée qu'on est en groupe. Et encore... Si je fais un super concert ou si c'est un désastre, c'est que pour ma gueule. On n'est pas une troupe de théâtre, les gens me regardent moi majoritairement. Au cinéma, je trouve une collégialité. La hiérarchie est plus écrite, mais plus fluctuante aussi. A la cantine, même les figurants peuvent s'asseoir à coté du producteur.

Qu'est-ce qui est mieux à l'américaine ?
Que dalle ! J'ai un tatouage du Che Guevara sur le bras, je peux vous dire que ce n'est pas parce que je trouvais le tee-shirt cool.

Avez-vous quand même un rêve américain ?
Techniquement oui, même si ce n'est pas un rêve d'Amérique du Nord… Les Etats-Unis vont très mal. On le voit a travers les 14 films en sélection à Deauville. J'ai compris comment, pas pourquoi, Trump avait été élu. Il n'y en a pas un pour sauver l'Amérique. Chacun d'eux lui met la tête sous l'eau et lui dit "t'es une grosse merde décadente et ça va bientôt être ta fin".

L'art doit-il servir les grandes causes ?
Si tu parviens à exprimer ton engagement à travers ton œuvre, c'est magnifique. Bob Dylan a éveillé les consciences. Sinon, un artiste engagé, c'est juste un mec qui passe à la télé et qui ouvre sa gueule. J'en suis le parfait exemple. J'étais militant avant d'être chanteur. Quand on me pose une question, que j'entends un truc qui m'énerve, je pars au quart de tour. Je tiens à dire que ce n'est pas le chanteur qui s'exprime. Via le cinéma, c'est différent. On peut avoir un but, mettre le doigt sur un sujet. On peut dire "la condition de la femme dans les milieux hassidiques est déplorable et je vais en parler". C'est engagé, mais on ne tire pas de plans sur la comète en brassant des concepts fumeux que personne ne comprend.

"J'écoute mes albums jusqu'à l'écœurement"

Que ressentez-vous en vous voyant à l'écran ?
Je m'en tape. Si j'y fais attention, ce n'est pas bon signe pour le film et pour la direction des acteurs. J'ai vu un de mes films dernièrement. J'ai eu l'angoisse de la première scène et je n'y ai plus pensé. Il y a des moments où je crois vraiment à mon personnage, surtout avec le temps. Ça me fait moins d'effet que de m'entendre. Au début, c'était épouvantable. Je me souviens m'être barré de la queue du cinéma parce qu'une de mes chansons passait à fond. Maintenant, ça va à peu près. J'écoute mes albums jusqu'à l’écœurement avant de les sortir. Je ne ferai pas la démarche de lancer un DVD d'un film dans lequel je joue, mais ça m'est arrivé de zapper, de tomber dessus et de le regarder en entier. Jamais je ne m'écouterai chez moi.

Cet écœurement, vous ne le ressentez pas dans l'interprétation ?
Non, mais ça ne me viendrait jamais à l'idée de me chanter une chanson pour moi, chez moi. Sur scène, il y a une interaction. Elle n'est plus à moi. Si je sens que c'est bon pour les gens, c'est agréable. J'y crois vraiment quand je la fais. Pour un film, l'avis du public ce n'est pas mon problème. C'est la grande différence. Il y a des producteurs des metteurs en scène… C'est un projet. Je ne suis pas responsable de sa réussite. Si je suis mauvais on peut me couper et si je suis bon on peut me monter. Je ne regarde pas les chiffres. A part si je fais un film où je sens qu'il y a une grosse pression : Jaoui/Bacri font un million d'entrées à chaque fois. Je n'avais pas envie que ce soit le film dans lequel je suis (Au bout du conte, ndlr) qui ne marche pas. Ça s'arrête là.