PETIT PAYSAN : Swann Arlaud se livre

Dans "Petit Paysan", premier long-métrage d'Hubert Charuel primé au Festival du Film Francophone d'Angoulême, le brio de Swann Arlaud éclate. L'acteur incarne Pierre, un agriculteur pris dans une spirale infernale pour sauver ses vaches. Loin de l'étable, mais à table, il nous raconte pourquoi ce rôle l'a tant botté.

PETIT PAYSAN : Swann Arlaud se livre
© Domino Films

"Je vais prendre un tartare de boeuf s'il vous plaît", commande Swann Arlaud affamé, que nous le retrouvons dans un café parisien. Pour quelqu'un qui a passé plusieurs mois à la ferme, c'est faire peu de cas de ses partenaires de tournage. L'acteur s'amuse : "Et encore, j'ai hésité avec la blanquette de veau !". Taiseux et anxieux dans Petit paysan, Swann Arlaud se révèle affable, aimable, bavard même. On l'écoute avec plaisir nous raconter son stage à la ferme chez les cousins d'Hubert Charuel où il a vécu et travaillé comme un paysan. "Ils m'ont trouvé tellement fort qu'ils ne voulaient plus me laisser partir", nous explique-t-il, sans fanfaronner. Pas son genre de bomber la poitrine. Investi corps et âme dans son personnage d'éleveur bovin, Swann Arlaud est remarquable. Pour ce rôle qu'il convoitait, l'acteur a troqué son physique gracile et son regard doux rêveur pour une silhouette épaissie, une mine durcie. Intense et bluffant, cet enfant de la balle confirme l'étendue de son talent. Celui qu'il avait déjà fait éclater dans Belle Epine, Les Emotifs Anonymes, Bon rétablissement!, Ni le ciel ni la terre ou encore les Anarchistes. Sauf que cette fois, c'est lui la tête d'affiche. Du côté de chez Swann (Arlaud), un nouveau chapitre s'écrit.  

Qu'est-ce qui vous a convaincu de mettre les pieds dans la boue ? 
Le scénario. Quand je l'ai lu, j'ai ressenti une forte émotion. Pour ce personnage et pour le monde paysan. J'avais envie de mettre en lumière ce qui s'y passe. J'avais envie d'incarner cet agriculteur même si cela voulait dire passer trois mois dans le cul des vaches. D'ailleurs, je n'envisageais pas de ne pas travailler à la ferme avant le tournage. C'est ce que j'ai dit à Hubert Charuel lorsque j'ai passé le casting "s'il te prend l'idée folle de m'engager, je veux aller à la ferme". Ça l'a rassuré et moi aussi.

Préparer vos rôles, est-ce essentiel pour vous ?
C'est une question de crédibilité. En l'occurrence, j'avais tout à perdre. On ne peut pas improviser les gestes, la façon de se mouvoir avec des vaches. J'ai fait un stage chez les cousins de la mère d'Hubert. Pour des rôles moins "techniques", je demande des listes de bouquins, des films à voir. J'aime quand il y a un apprentissage en amont. Emmagasiner des choses permet de mûrir le personnage, d'arriver plus serein sur le tournage. 

Que partagez-vous avec Pierre ?
Ce n'est pas flagrant mais des traits d'humour ! J'ai un ami qui m'a dit qu'il m'avait retrouvé dans les quelques moments drôles. Comme Pierre, j'ai ce côté un peu extrême. Obstiné, angoissé dans le travail. Ce qui n'est pas tout à fait une qualité dans la façon dont je l'envisage. Chez moi, cela peut être poussé à l'extrême.

Jusqu'à vous abîmer physiquement ?
Dès que je commence un film, j'ai les mains qui se dessèchent. C'est complètement irrationnel. Il m'est arrivé d'être vraiment malade avant un tournage aussi. Ma peur est telle que mon corps lâche. Comme s'il m'empêchait quelque chose. Ce qui est complètement absurde parce que j'ai envie de jouer.

Jouer dans la ferme avec des proches d'Hubert Charuel a rassuré l'angoissé que vous dites être ? 
Complètement. Ils ont été proches à toutes les étapes du film. Le matin, plutôt que d'aller dans une loge, on allait prendre le café chez les parents d'Hubert. Ils m'ont accueilli comme un fils. C'était un peu comme si je reprenais la ferme. Sylvaine, sa mère, a fini mon apprentissage. Avec elle, ça ne déconnait pas. Le jour où elle a dit que j'étais prêt, je n'avais plus de doute à avoir.

Vous n'avez pas appréhendé de donner la réplique à des vaches ?
Deux semaines avant le début du tournage, un animalier est venu avec un troupeau de vaches pour les accoutumer à notre présence. Pour que cela se fasse en douceur, on a commencé par filmer en équipe réduite les scènes de traite. Cela m'a permis de les apprivoiser. Une vache, c'est assez peureux, un faux mouvement et c'est 900 kilos sur toi.

Justement, vous vous êtes étoffé...  
J'ai pris 10 kilos pour être crédible, pour ne pas passer pour un maigrichon perdu au milieu de son troupeau. Je suis content que cela se remarque parce que c'est ce qui m'a le plus coûté. Pendant 5 mois, j'ai soulevé de la fonte pendant 2 heures cinq jours par semaine avec un coach. J'avais jamais fait ça ni eu de régime particulier. Les premiers mois ont été difficiles puis j'ai commencé à prendre du plaisir.

Au-delà de la performance physique, y-a-t-il des rôles qui vous ont habité ?
Celui dans Les Anarchistes. Je m'étais plongé dans les bouquins sur la Révolution française avant le tournage. Comme il a été décalé, j'ai continué à travailler. Plus que le personnage, c'est tout ce que j'ai découvert qui m'a passionné. J'ai continué à lire Bakounine, Proudhon, Libertad. Pour moi qui n'étais pas au premier rang à l'école, c'est une façon de rattraper mes lacunes... 

Et le personnage de Pierre ?
Il y a eu un petit sas de décompression de deux semaines mais la vérité, c'est que je n'ai pas d'amour particulier pour les vaches ! Bien sûr, je me suis attachée aux animaux, mais ce qui reste, ce sont surtout les rencontres que j'ai faites, notamment celles avec la famille d'Hubert. Le personnage de Pierre n'est pas un rôle de composition. J'ai fait du sport pendant cinq mois ce qui a changé ma corpulence et ma manière de me mouvoir mais je n'ai pas changé ma voix, je ne me suis pas grimée. Je n'ai pas cherché à être quelqu'un d'autre. Ce qui m'importait c'était d'être juste dans mes gestes, de bien m'occuper des animaux. Du coup, c'était assez facile de rentrer dans mes chaussures en rentrant chez moi.

Pierre exerce ce métier par héritage. Vous venez d'une famille d'artistes. Dans ces métiers, est-ce impossible d'échapper à son milieu ?
Petit, je ne voulais pas faire ce métier parce que je ne voulais pas aller là où ça semblait évident. Et en tant qu'enfant d'artiste on doit se défendre d'autant plus. J'ai fait les arts déco de Strasbourg et ça m'a rattrapé. J'ai compris que c'était fait pour moi. Quand on est enfant d'artistes, on est un peu ballotté à droite à gauche, sur les tournages. L'instabilité devient la norme. J'ai pris conscience que ce rythme me convenait. J'ai besoin de bouger même si j'ai conscience que la réalité n'est pas sans cesse ailleurs. J'ai donc construit des bases solides à côté. C'est essentiel pour moi d'avoir ce centre dans ma vie dans lequel je peux revenir, retrouver ma famille, mes amis.

Vous retrouvez en haut de l'affiche, ça vous fait peur ?
Très ! C'est complètement contradictoire parce que je suis content pour le film mais voir ma tête partout m'angoisse. Les affiches, c'est immédiat. Tu vois le visage et tu l'imprimes. Pour moi qui aime bien aller lire mon journal au café, causer un peu avec le serveur et quelques habitués, j'ai peur d'attirer l'attention. Que les gens changent leur rapport à moi. L'après tournage, c'est un peu l'étape douloureuse. Quand tu joues, il y a le plaisir du premier public, l'équipe de tournage. Si quelqu'un te dit "c'était bien", tu dors en paix. Après, on est dans quelque chose qui touche presque au métier de communicant. C'est totalement différent. 

Si vous étiez un parfait communicant, que diriez-vous à nos lecteurs pour les convaincre d'aller voir Petit paysan
C'est un film qui traverse les genres. Il y a de la comédie, quelque chose d'un peu naturaliste et en même temps, du thriller et du fantastique. 

Une anecdote à partager ? 
La scène du vêlage m'a particulièrement touché. Parce que je m'en pensais incapable. Et parce que je venais d'avoir un enfant en parallèle. Ces deux naissances, le fait de donner du lait à un veau sur le tournage et à mon fils en rentrant chez moi, c'était un peu étrange ! 

Pour finir, questions / réponses animalier 

Êtes-vous têtu comme une mule ?
Oui. À 75 % environ. 

Vous levez-vous avec les poules ?
Depuis que j'ai un enfant, oui.  

À l'école, étiez-vous le vilain petit canard ?
Non en revanche c'est souvent celui-là qui m'intéressait.

Êtes-vous à cheval sur les principes ?
Malheureusement oui. Ça me fait penser à mon père donc ça m'agace.

Qu'est-ce qui vous rend fier comme un coq ?
Mon fils.

Quand il fait un temps de chien…
Je me fais un ciné.

Qu'est-ce qui vous donne le bourdon ?
Le mauvais temps. Je suis très "climato dépendant".

Que mangez-vous quand vous avez une faim de loup ?
Fromage et charcut'.

Qu'est-ce qui vous fait monter sur vos grands chevaux ?
La politique et les politiques.

Petit paysan, en salles le 30 août 2017 d'Hubert Charuel, avec Swann Arlaud et Sara Giraudeau