Reda Kateb et Cécile de France en harmonie dans Django

Plutôt qu'à travers un biopic, le réalisateur Etienne Comar a choisi de raconter "Django" pendant l'Occupation nazie. C'est le talentueux Reda Kateb qui prend les traits et la moustache du mythe musical au visage pourtant méconnu. Alors qu'il est au sommet de son art, l'artiste tsigane fuit, aidé par sa maîtresse, interprétée avec brio par la touchante Cécile de France. Rencontre majeure avec deux acteurs pas mineurs.

Reda Kateb et Cécile de France en harmonie dans Django
© Roger Arpajou

"Pour le ravissement d'entendre une musique intergénérationnelle qui émeut autant qu'elle fait swinguer. Pour se faire du bien aux oreilles, un plaisir presque vital en ce moment", nous répond gaiement Cécile de France lorsque nous lui demandons ce qui pourrait convaincre nos lecteurs d'aller voir Django, le premier long métrage d'Etienne Comar. "Et pour le jazz manouche, acteur principal du film et son qui va droit au cœur'" ajoute Reda Kateb. Quelle humilité de la part de l'acteur qui voit, avec le costume et derrière la guitare de Django, son premier rôle titre... et quel rôle titre. Celui d'un musicien autodidacte et surdoué qui envoûta un public d'hommes et de femmes. Dans le film, les femmes partagent, voire volent la vedette à l'icône musicale. Une "mère-agent" au bagout incroyable, une épouse qui prenait les décisions, une splendide maîtresse prête à y laisser sa vie pour sauver celle de son amant. Django fascinait son entourage et son public de son vivant, Django séduit toujours autant. Parce qu'avec ses endiablant riffs de guitare, il a prouvé que la musique était un symbole de liberté et de métissage. Reda Kateb et Cécile de France, héros enchantés et enchantant nous font battre la chamade en nous racontant (leur) Django. En avant la musique ! 

Le Journal des Femmes.com : Que vous évoquait Django Reinhardt ?
Cécile de France :
Je connaissais assez peu sa musique mais elle m'a toujours touchée. Et j'ai toujours été attirée par la culture tsigane à travers les films de Tony Gatlif notamment. Je ne suis pas une grande spécialiste mais le jazz manouche a toujours été dans mon univers sonore.

Reda Kateb : Je le connaissais sans le connaître, j'avais entendu des morceaux, j'aimais sa musique mais je n'étais pas non un grand spécialiste. Je n'ai jamais vraiment cherché à approfondir. J'avais surtout le souvenir d'une photo de lui avec une clope, sa moustache fine et un regard très perçant dans lequel on pouvait lire quelque chose de très doux et sauvage à la fois. Il y avait beaucoup d'émotions dans ce cliché. Cette image et sa musique m'ont immédiatement donné envie de me lancer dans l'aventure.

Ce cliché dont vous parlez est l'un des rares documents dont on dispose sur Django. Ce manque de ressources a-t-il été une force ou un handicap ?
Reda Kateb : Une force. La photo fait appel à l'imaginaire et en tant qu'acteur, c'est ce qui nous nourrit, on joue avec. J'aurais pu chercher davantage de documents pour être fidèle à son image mais j'avais envie de m'inventer mon Django. J'ai préféré m'accrocher à mon manche de guitare pour le faire exister par les doigts, la musique. Le fait que les gens le méconnaissent m'a permis de ne pas être dans un mimétisme, un travail d'imitateur. Cela m'aurait peut-être moins intéressé aussi. Django, on le connait sans le connaître presque comme s'il était un personnage de fiction.

C'est le cas de Louise, votre personnage, Cécile de France ?
Cécile de France : En effet. Avec la costumière, la coiffeuse, la maquilleuse et le cadreur, nous avons ainsi pu construire un personnage tout en nous inspirant de Lee Miller. Une femme très belle qui faisait partie de la bande de Montparnasse dans les années 30. Elle était très libre, indépendante, féministe avant l'heure. Nous nous sommes nourris d'elle ainsi que de photos de Lauren Bacall, de tableaux de Dennis Hopper. Ce matériel nous a permis de fabriquer notre Louise, telle qu'on voulait la façonner.  

Cette femme très libre et tête brûlée vous ressemble-t-elle ?
Cécile de France : Je n'aime pas faire le lien entre mon personnage et moi car j'aime la fabrication. On raconte une histoire, on est au service d'un réalisateur. Si on commence à se demander ce que l'on apporte de soi, c'est faussé. Il faut justement essayer de rester libre par rapport à soi. Parfois, j'aimerais être une page blanche pour construire un personnage. Mais pour répondre à votre question je crois être moins mystérieuse, moins insaisissable que Louise. J'ai assez peu de points communs en fait..  

Reda Kateb : Je rejoins Cécile sur le lien avec un personnage. Pour moi l'envie de comédie a commencé par des déguisements trouvés dans des greniers en vacances avec des copains. Porter un masque et endosser le costume de quelqu'un m'a permis de m'exprimer. Il y aurait un côté terre à terre, exhibitionniste ou tueur de mystère à chercher les points communs avec ses personnages. Lorsqu'il y a des connexions, elles sont un peu secrètes, elles se font en nous. Je ne cherche pas à les chatouiller. Le lien se fait plutôt à travers le regard des autres. C'est ce qui s'est passé avec la communauté de tsiganes que nous avons rencontré dans la région de Forbach. Lorsqu'ils m'ont appelé Django, cela m'a assuré que je pouvais le jouer, que je pouvais l'être. L'acteur est là pour incarner l'imaginaire des autres pas pour se regarder le nombril.

Les costumes ont d'autant plus d'importance que Django aimait les belles sapes. Ces "supports" vous aident-ils à entrer dans un personnage ?
Reda Kateb :
Cela nous façonne. Les matières sont comme des secondes peaux qu'on enfile le matin et qu'on enlève le soir. Pour Django j'avais aussi cette connexion par la main qu'on devait me maquiller pendant deux heures tous les matins. Ce temps me permettait de rentrer dans mon rôle. Et la tension que m'insufflait le fait d'avoir les doigts recroquevillés m'aidait aussi à me souvenir que j'étais le personnage.

Jouer avec des tsiganes, non professionnels, a-t-il influencé votre façon d'appréhender votre place sur le tournage ?
Cécile de France :
J'avais moins de scènes avec eux que Reda mais le peu de temps que j'ai passé en leur compagnie m'a beaucoup touchée. Ils n'étaient pas du tout blasés comme certains acteurs qui pourraient l'être à force, ils étaient juste contents. Leur humilité m'a permis de ne pas me prendre au sérieux par rapport à notre métier : on est juste là pour raconter une histoire, ce n'est que du cinéma.

Reda Kateb : J'avais deux appréhensions : que les musiciens me voient comme tel et que les manouches m'intègrent. Ils n'ont eu aucune suspicion à mon égard. Ils m'ont immédiatement adopté alors même que Django est leur dieu. La confiance qu'ils m'ont accordée a été une vraie leçon de vie.  

Justement, n'y avait-il pas une pression supplémentaire à incarner ce Dieu ?
Reda Kateb ;
La pression c'est presque plus moi qui me la suis mise. Les tziganes ne capitalisent rien. Ils n'ont pas ce rapport à la propriété. Même leur dieu ils me l'ont offert : "tu veux jouer notre dieu, prends-le, il est à toi". Incarner une telle icône aurait pu être complexant mais je me suis laissé guider par leur confiance.

Django est vu comme un Dieu par les siens. Pourtant, son aveuglement par sa musique dans le film le rendrait presque - pardonnez le mot - antipathique par moments...
Reda Kateb : Tant mieux non ? Je vis souvent ça comme une arnaque les films qui vous font ressentir de l'empathie pour un personnage dès les premiers plans, comme s'il était obligatoirement vertueux et qu'on vous imposait de l'aimer. Souvent, quelqu'un qui se fait passer pour aimable a souvent quelque chose dans le placard. Alors que l'antipathique, on apprend à le connaitre, à l'aimer.

Avec le contexte actuel, on pourrait faire un parallélisme de l'engagement de Django pour les Tsiganes avec celui des artistes contemporains pour les migrants. Êtes-vous des artistes engagés ?
Reda Kateb :
En soutien aux migrants, j'avais signé l'appel de Calais pour tirer la sonnette d'alarme par rapport au positionnement de la France que je voyais comme une trahison des idées de gauche. Cela dit, je suis assez ambivalent sur cet engagement des artistes. Je n'aime pas les dîners de charité qui sont parfois des couvertures promotionnelles. Et j'ai toujours un peu peur d'être instrumentalisé, j'ai la liberté à fleur de peau. J'essaie plutôt de faire des actions discrètes dans mon quotidien. Et lorsque j'agis, ma voix ne représente pas celle d'un acteur mais celle d'un citoyen.

Cécile de France : Mon engagement se fait à travers les projets que je vais défendre. Je choisis des rôles qui raisonnent en moi. Dans mon village, quand il y a des cambriolages ce sont forcément des manouches cela ne va pas plus loin. Incarner Louise, faire la promo d'un film sur l'un des plus grands manouches, c'est mon engagement symbolique. Je suis artiste avant tout, pas un outil pour la politique.

Quel souvenir de tournage aimeriez-vous partager ?
Cécile de France :
 Plus qu'un souvenir, une femme. Bimbam qui joue la maman de Django. Une dame de 86 ans exceptionnelle. La voir revivre et raconter certaines scènes qu'elle avait déjà vécu était bouleversant. C'est une femme authentique avec une énergie incroyable. Chaque moment passé avec elle était rare et précieux. 

Reda Kateb : Bimbam aussi, qui nous a donné une grande leçon d'humilité. Et quand je me suis enfouie dans la neige. Je n'ai jamais eu aussi froid de ma vie !

A un journaliste qui lui demandait de mettre une note de musique à ses peintures, Django avait répondu "un fa dièse mineur car c'est plus mystérieux". Quelle notre de musique donneriez-vous à votre vie ?
Cécile de France :
Joker, je n'ai pas assez l'oreille musicale... 

Reda Kateb : Je n'aime pas l'idée de faire tenir ma vie dans le solfège. Plus que dans les notes absolues, je me positionnerais comme le font les indiens, dans les intervalles, ceux dans lesquels la musique se fait. Ma vie est plus dans les écarts de note que dans la gamme de do. 

Django d'Etienne Comar en salles le 26 avril 2016 

© Pathé Distribution