Isabelle Carré : "Les enfants nous aident à grandir"

Quête haletante d'une mère à la recherche de son enfant, voyage initiatique sur la maternité, apprentissage du savoir-vivre ensemble au sein d'une famille recomposée, dans "Une vie ailleurs" en salles le 22 mars, Isabelle Carré est bouleversante. Interview.

Isabelle Carré : "Les enfants nous aident à grandir"
© Le Bureau - Film Factory 2016

Avec sa voix fluette et son délicat visage auquel on ne donne pas d'âge, la belle Isabelle Carré véhicule l'image d'une femme douce et affable. C'est dans un rôle totalement à contre-emploi qu'on la retrouve dans Une vie ailleurs, le film d'Olivier Peyon. L'actrice y prend les traits tirés de Sylvie, une mère débarquée en urgence en Uruguay pour retrouver son fils enlevé par son ex-mari quatre ans auparavant. Antipathique, sèche et insaisissable, Sylvie est mue par le désir ardent de rapatrier son enfant en France. Sa quête dans les rues chaudes de Florida va la mettre face à ses propres failles, celles d'une maternité qu'elle avoue ne pas avoir toujours assumée. Réflexion sur le rôle de mère et plus largement de parent, Une vie ailleurs est un voyage parfois étouffant, souvent émouvant. Parce qu'il ne tombe pas dans le jugement, parce que le bonheur de l'enfant peut-être ailleurs, et parce qu'Isabelle, saisissante de justesse, est toujours aussi Carré. Rencontre. 

Le Journal des Femmes.com : Qu'est-ce qui vous a fait dire oui à ce rôle ?
Isabelle Carré : Sylvie est éloignée de mon registre habituel. C'est une femme borderline, cassée, en colère, en manque de son enfant qu'elle n'a pas vu grandir pendant quatre ans. J'avais envie d'explorer ce personnage. J'étais aussi attirée par le thème de la famille, la biologique et celle que l'on se construit. C'était d'autant plus intéressant que Olivier Peyon a écrit le scénario à l'époque du mariage pour tous. Cela faisait écho à l'actualité et j'aimais la réponse qu'Olivier apportait à savoir que les deux familles se valent, ne sont en aucun cas antinomiques. Enfin, il y a la question de la maternité, à quel moment devient-on mère ? Pour Sylvie, je crois que c'est lorsqu'elle abandonne son volontarisme, lorsqu'elle lâche prise et qu'elle pense à l'intégrité de son enfant plutôt qu'à son besoin égoïste de le posséder. 

Justement, Sylvie envisage d'"arracher" son fils à ses mères d'adoption. Selon vous, son statut de mère naturelle, lui donne-t-il cette légitimité ? 
Son comportement est difficilement défendable mais on peut le comprendre. Il n'y a pas d'émotion comparable pour une mère que celle d'avoir été privée de son enfant pendant quatre ans. Cela étant, elle avoue ne pas avoir été une mère exemplaire. Elle se cherche, elle a des lacunes, elle est pleine de maladresse. Au-delà du vrai voyage physique en Uruguay, il y a surtout le parcours intérieur qu'elle fait pour accepter que son enfant ait besoin de temps. Qu'il ne réagit pas comme elle l'aurait souhaité, qu'il est différent, qu'il a fait sa vie sans elle. Ce cheminement, on le vit quotidiennement en tant que mère. Enceinte, il y a l'enfant rêvé et l'enfant réel. Ensuite, il y a toutes les projections que l'on fait sur cet enfant alors même qu'il ne nous appartient pas. La vraie générosité pour un parent, c'est celle qui n'est pas possessive. 

Peut-on rester raisonnable lorsqu'il s'agit de son enfant ?
C'est très difficile... Il faut arriver à faire la part des choses entre le ressenti physique, celui qui fait appel aux sens, à la chair, et la raison qui place le parent dans le respect de l'enfant en tant qu'être humain et non pas en tant que prolongation de soi. 

Vous-même êtes maman de trois enfants. Avez-vous eu l'instinct maternel ? 
Je crois qu'il y a quelque chose de physique, d'immédiat, Quand on accouche, tous nos repères sont bouleversés. Mais on s'adapte instinctivement à l'enfant pour répondre à ses besoins. Cela étant, j'ai aussi parcouru un chemin personnel pour me sentir légitime en tant que mère. A certains moments, j'aurais rêvé d'un "mode d'emploi". J'ai manqué de conseils parfois. 

Les enfants peuvent aussi aider à devenir parent. Dans le film, Felipe, votre fils, est très adulte dans son comportement... 
Face aux difficultés, les enfants ont un instinct de survie qui peut-être bluffant. Les enfants victimes de maladies rares ou ceux qui font face à une extrême pauvreté par exemple, nous aident à grandir. Ils ont une façon tellement mâture de gérer leur quotidien que c'est une incroyable leçon de vie.  

Le film est aussi bouleversant car il montre des êtres qui apprennent à vivre ensemble pour leur bonheur respectif. Un savoir vivre ensemble plutôt malmené aujourd'hui…
Cette famille, c'est la preuve qu'on peut trouver la paix même dans un univers recomposé. Cela demande certes un effort mais chacun a à y gagner. Il suffit parfois de franchir un pas. D'oublier ses exigences et de faire avec ce que la réalité nous apporte. 

Vous avez incarné beaucoup de rôles, souvent très forts. Est-ce qu'ils vous nourrissent personnellement ? 
J'ai été mère au cinéma avant de l'être personnellement. C'était un stage intensif très enrichissant ! Beaucoup d'autres rôles m'ont nourrie, à tel point que cela pouvait être troublant. Cela me fait toujours penser à cette anecdote sur Patrick Dewaere qui un soir en rentrant chez lui désespéré avait dit à sa femme "aujourd'hui, j'ai tué quelqu'un". Elle lui avait répondu que ce n'était pas lui mais son personnage. Patrick Dewaere lui avait expliqué "oui mais j'ai vu que j'en étais capable". Le métier d'acteur permet d'être en première loge d'une immensité de situations, de faire face à une multiplicité d'êtres humains, de personnalités. C'est un grand privilège car on apprend beaucoup sur les gens mais aussi sur soi. Le film Holy Lola, dans lequel il était question d'adoption m'a ouvert le regard et m'a beaucoup marquée en tant que mère. 

Quel genre de mère êtes-vous ?  
J'ai eu une éducation soixante-huitarde avec peu de cadres. J'essaie d'en mettre un peu plus avec mes enfants sans que cela ne devienne étouffant. C'est lié au contexte aussi. En 68, on ne mettait pas de ceinture, on ne surveillait pas, on fumait les vitres fermées. Aujourd'hui, l'époque est plus rigide. Les cadres familiaux ont évolué par rapport à la société et ses règles. 

Vous considérez-vous comme une mère poule ? 
Je suis plutôt trop que pas assez. Cela étant, mes enfants me réclament beaucoup de présence ce qui me donne le sentiment de ne pas être assez là. Et parfois, je me sens trop étouffante. Je crois que quoiqu'on fasse, c'est toujours trop ou pas assez.

Comment gérez-vous la distance avec vos enfants lors des tournages ? 
Je suis assez peu à l'étranger et lorsque c'est le cas, je m'arrange toujours pour que les tournages soient pendant les vacances scolaires. Je peux leur faire profiter des voyages et des expériences que je vis. J'essaie de privilégier les films et les pièces à Paris. 

Jouer dans une langue étrangère modifie-t-il le jeu ? 
Il y a peut-être un peu plus de lâcher prise, moins de contrôle. Quoiqu'il en soit je ne me suis pas sentie entravée. Je ne connaissais pas un mot au départ. En outre, l'apprentissage en amont m'a permis de me sentir prête, de m'approprier le personnage. Et quel plaisir d'apprendre cette langue plutôt que l'anglais, trop présent, trop envahissant. J'adorerais aller tourner en Espagne maintenant. C'était notre blague avec Ramzy : on répétait sans cesse qu'on était prêt à tourner un film d'Almodovar ! 

Vous dites que vous n'êtes pas celle sur qui les gens se retournent dans la rue. Que vous n'êtes pas à l'aise avec la séduction. Est-ce que le métier d'actrice est une façon de capter la lumière ?
Il y a peut-être eu un peu de ça plus jeune. Mais je n'ai jamais utilisé la caméra comme une sorte de miroir narcissique. Je ne fais pas ce métier pour qu'on voit ma tête en couverture des journaux. Je souhaite exprimer des choses à travers des personnages. Au théâtre, il y aussi le plaisir des textes, celui de laisser dérouler l'émotion. C'est grisant d'être dans un ailleurs, une autre vie. D'avoir le champ des possibles en toute sécurité. D'explorer des horizons qu'on ne pourrait peut-être pas découvrir dans son quotidien par peur des conséquences. Dans ce métier, on peut endosser des rôles avec une histoire terrible et revenir à la normalité sans que ce soit une catastrophe. Et il y aussi ce que cela suscite chez les spectateurs. Le fait que l'on puisse, sous couvert d'une comédie, toucher les gens, les pousser dans leur retranchements, leurs préjugés. C'est la magie du cinéma. 

Une vie ailleurs d'Olivier Peyon, en salles le 22 mars 2017 

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