Romain Duris, acteur sa profession de foi

Dans "La Confession" de Nicolas Boukhrief au cinéma, Romains Duris enfile la soutane du prêtre Léon Morin, personnage spirituel et my(s)thique. L'acteur s'est confié sur ce rôle d'homme d'Eglise.

Romain Duris, acteur sa profession de foi
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On l'a découvert dans Le Péril jeune de Cédric Klapisch. Avouons-le, sa belle gueule de rebelle et son air bohème nous ont fait immédiatement fantasmer. Quelques années plus tard, on le retrouvait devant la caméra du même réalisateur, qui le filmait, complètement dépaysé, en apprenti écrivain dans sa foutraque Auberge Espagnole. En "adulescens" qui se cherchait, Romain Duris confirmait son talent et trouvait son public (nous, mais pas que). Puis, dans le costume chic et sexy de l'Arnacoeur prêt à se déhancher sur une choré de Dirty Dancing pour séduire Vanessa Paradis, l'acteur nous emmenait au 7e ciel. Déjà très Populaire dans les comédies, le beau brun prouvait aussi qu'il savait user de son regard ténébreux dans le registre noir. Son De battre mon coeur s'est arrêté nous touchait en plein cœur. 
Au fil d'une irréprochable filmographie, Romain Duris a confirmé son talent d'homme à tout (savoir) faire y compris se hisser sur des talons et enfiler une robe pour devenir Une nouvelle amie. C'est justement une autre robe qu'il enfile dans le nouveau film de Nicolas Boukhrief. L'acteur y interprète Léon Morin, personnage lu dans Léon Morin, prêtre de Béatrix Beck et déjà vu dans le film éponyme de Jean-Pierre Melville. Dans cette première adaptation cinématographique, c'est Jean-Paul Belmondo qui portait la soutane et troublait la belle Emmanuelle Riva. Chez Nicolas Boukhrief, Romain Duris suscite l'attirance de toutes les femmes et plus particulièrement de Barny, interprétée par la superbe Marine Vacth. Il faut dire que l'acteur - que Dieu nous pardonne - rend sexy l'austère soutane. Oscillant entre dureté et froideur dans un premier temps, le "père Romain" se révèle plus doux et fragile qu'il ne le paraît. A l'image de l'acteur que nous rencontrons. Sous couvert d'un look de rockeur et d'un regard mystérieux, Romain Duris est un homme jovial qui s'illumine en (nous) souriant. On le confesse, c'est troublant.  

Le Journal des Femmes.com : Pourquoi avoir accepté d'interpréter le père Morin ? 
Romain Duris : Pour Nicolas Boukhrief avec lequel j'avais très envie de travailler. Je le trouve intéressant dans son propos. J'aime beaucoup sa façon de s'ancrer dans le contemporain et son côté revendicatif. Il a quelque chose d'un peu sombre aussi. Il m'avait parlé de ce film après Made in France, dans l'idée de faire un triptyque autour des modes de croyance, leur état dans le contexte actuel. Cela m'a intrigué. Et j'ai toujours voulu faire un homme d'église, je trouve ça très riche pour un acteur. Il y a tous les éléments du comédien : l'habit, le fait de s'adresser à un public. Quand je m'imprègne d'un personnage, j'ai aussi besoin de savoir ce qui l'habite, quels sont ses désirs. Pour un prêtre, d'une certaine manière c'est plus facile car il est habité par la foi.

Même si ce n'est pas un remake du film de Jean-Pierre Melville, Jean-Paul Belmondo, qui fut "son" Père Morin, était-il référence pour vous ?
J'ai volontairement fait abstraction de son film pour ne pas être "parasité" par des images. Je voulais me servir de la modernité pour incarner un certain père Morin. Je me suis plus concentré sur le livre de Béatrix Beck. Il m'a beaucoup aidé pendant le tournage du film de Nicolas. 

Vous avez aussi fait une retraite pour vous imprégner du personnage. Racontez-nous.
Pour comprendre l'univers de Léon Morin, je suis allée sur l'île Saint-Honorat, en face de Cannes. Il y a l'Abbaye de Lérins dans laquelle je me suis retiré. J'ai assisté à des messes avec de magnifiques chants en latin. J'ai rencontré des moines dont l'un m'a pris sous son aile. Il m'a laissé le questionner y compris sur des choses assez intimes. Il m'a fait des aveux hors du commun.

Quel type d'aveux ? Sur le rapport à l'intime ?  
Je ne trahirai pas leur confiance mais j'ai compris à quel point la foi s'était emparée des religieux que j'ai rencontrés. Ce que j'ai apprécié c'est qu'aucun d'eux n'étaient dans la langue de bois. Lorsqu'ils n'avaient pas de réponse, ils demandaient de l'aide à Dieu, à des amis aussi. Ce qui m'a paru très humain. J'ai senti qu'ils pouvaient être fragiles, J'avais une image un peu naïve des hommes de Dieu et j'ai compris qu'ils n'étaient aussi solides que je le pensais. C'est cette dimension qui m'a intéressée. Et leur quotidien. A Paris, j'ai rencontré d'autres religieux pour qu'ils me parlent aussi de leur journée, l'organisation de leur quotidien. Cela a beaucoup démystifié l'idée que je me faisais d'eux et m'a permis d'avoir des billes supplémentaires pour mon jeu. 

En parlant de jeu : l'habit ne fait pas le moine mais le fait de porter la soutane a-t-il influencé votre gestuelle, votre façon de vous tenir ? 
Cela confère immédiatement un certain charisme, une aura : on ne tape pas sur l'épaule de quelqu'un qui a une soutane. C'est une porte facile pour entrer dans le personnage. Mais c'était important pour moi de m'en détacher pour donner de la vie au Père Morin. Je ne voulais pas qu'il soit engoncé dans un habit, qu'on ne le voit qu'à travers ce prisme.

Justement, entre l'aura du père Morin, son charisme, sa confiance en lui ou son inaccessibilité : qu'est-ce qui attire le plus Barny d'après vous ?
C'est assez difficile à expliquer mais je pense que c'est lié à la quête personnelle qu'elle fait et le rôle que joue le Père Morin dans ce cheminement. Même si elle a des convictions, en l’occurrence communistes, on la découvre "vierge" de toute foi. Elle refuse même le fait de croire. Puis elle évolue, elle traverse des étapes. C'est tout ce parcours personnel qui la trouble. Elle se sent perdue : elle ne sait plus si elle aime l'église à travers cet homme ou l'homme à travers l'église. Il y a aussi le contexte de guerre, l'absence de son mari. C'est un mélange de plein de choses qui provoquent l'ébranlement de ces deux âmes. Cela leur échappe autant qu'à nous. C'est ce qui rend la chose encore plus belle. C'est une histoire d'amour qui se joue à un détail, un geste.

Le doute est au cœur du film. Etes-vous quelqu'un qui doutez beaucoup, de vous, des autres ? 
Ce dont je ne doute pas c'est de la base, tout ce qui touche au fait d'être sur terre, d'aimer : c'est présent. En revanche, il m'arrive de douter du travail mais je m'en sers. Parfois le doute prend plus de place, il amène du trac mais ce n'est pas forcément handicapant. Au contraire, le doute peut être un moteur. Il prend plein de formes différentes. En tant qu'acteur, le doute n'est pas une souffrance parce qu'il est ancré dans le métier. Il fait partie intégrante du cinéma. Il prend de la place quand on est sur un plateau, quand on tourne des scènes qui peuvent faire basculer un film. Il y a mille façons de jouer des scènes, des personnages. On en arrête une à un moment donné et c'est évident qu'il y a des doutes après

Quelle est votre religion ?
La vie, l'amour. C'est difficile de la décrire. Être sur terre avec tout le monde.

Avez-vous la foi ?
Ce n'est pas tous les jours facile de optimiste. C'est pour ça que j'ai apprécié la retraite que j'ai faite. Je me suis retrouvé "nu" pendant 10 jours. J'ai fait abstraction de tout ce qui est matériel, j'ai parfois même eu l'impression de faire abstraction des sentiments. Ce n'est pas un état qui peut durer des années, mais en dix jours, j'ai ressenti un apaisement. C'était très agréable de ne pas être sollicité. Au quotidien, surtout en tant qu'acteur, on est très guidé. Les moments d'intimité, de pensée nous échappent. Finalement, le fait de les déclencher ne peut être que bénéfique. Parce que c'est très apaisant, ça met dans une meilleure disposition pour accueillir les autres. Je retrouve ça dans le sport personnellement.

On assiste à un véritable combat, un duel fort entre deux âmes et pourtant on sort apaisé de cette confession... 
C'est très juste. Je l'ai ressenti aussi en jouant. Peut-être parce que ce qui se passe entre ces deux personnages est assez fascinant. L'une accepte de changer. Et l'autre a la foi et cela le rend heureux. D'une certaine manière, c'est reposant pour nous qui ne sommes pas toujours capable de décider.  

La confession de Nicolas Boukhrief, en salles le 8 mars 2017

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