Sophie Marceau : "Je ne suis pas mannequin, je suis actrice"

Forte et fragile à la fois, Sophie Marceau nous subjugue et nous malmène dans "La Taularde". Rencontre avec la petite fiancée des Français, la jolie môme du Cinéma qui n'en finit pas de nous charmer, sublime, profonde et sans chiqué.

Sophie Marceau : "Je ne suis pas mannequin, je suis actrice"
© GUILLAUME COLLET/SIPA

Carré-long légèrement décoiffé, silhouette de top-model sculptée dans une combinaison grise et sourire radieux, Sophie Marceau, 50 ans bientôt, est une personne exquise, mutine et libre. Quel délice de croiser son regard pétillant, d'entendre son rire éclabousser ses réponses, de la découvrir aussi accessible, bienveillante…
Dans le film qu'elle est venue défendre au Festival d'Angoulême, l'actrice répond au numéro d'écrou 383205-B. Aux antipodes de ses rôles de séductrices, de son aura solaire, elle incarne "La Taularde" et nous plonge à corps perdu dans la noirceur et la souffrance de l'univers carcéral.

© GUILLAUME COLLET/SIPA

Journal des Femmes : Sophie Marceau, comment vous-êtes-vous retrouvée prisonnière d'Audrey Estrougo ?
Sophie Marceau : J'apprécie cette réalisatrice. J'admirais déjà son travail : Regarde-moi, Une Histoire banale… Cela a été une évidence, un cadeau même, de pouvoir jouer dans un cadre propice aux émotions exacerbées, de connaître cette intensité. Ce n'est pas un film documentaire sur la prison, mais c'est un lieu où tellement de vies se croisent, tellement de trajectoires, de destins qui n'avaient rien en commun se retrouvent… Je trouvais que le rapport des femmes entre elles, derrière les murs,  et cette énergie immense que déploient les individus dans les situations précaires étaient intéressants. J'aime être au plus près des histoires, me rapprocher des gens. Les peines et les misères humaines méritent qu'on s'arrête sur elles.

Dans le film, c'est pour que votre mari retrouve la liberté que vous renoncez à la vôtre. Vous comprenez que l'on puisse aimer quelqu'un plus que soi ?
C'est un personnage de roman Mathilde, une grande tragédienne capable de braver l'impossible, de commettre l'insensé pour son mec. L'histoire est tirée d'un fait réel et je pense que nous sommes tous les héros de choses incroyables. Son acte est dingue et c'est aussi cela l'amour. Pourtant, si tout commence comme un conte des temps modernes, Mathilde va perdre ses illusions et le système va se refermer sur elle…

Vos codétenues sont d'une extrême violence… A l'inverse, vous êtes professeur de Lettres, vous maîtrisez le langage, vous vous réfugiez dans la lecture… Est-ce le secret de votre "survie" ?
Savoir mettre des mots, c'est un rempart extraordinaire. Avoir de l'éducation c'est ce qui vous sauve. C'est la culture qui vous permet de vous échapper de l'horreur.

Son sens de la psychologie permet à Mathilde de supporter l'enfermement, la brutalité…    
L'être humain est confronté à la pression. Il se pose trop de questions pour trouver les réponses dans le matériel. Si l'on s'arrête aux choses concrètes, cela ne permet pas d'appréhender le temps qui passe. Un jour, tout fout le camp, vous vieillissez, vous perdez la vue, l'ouïe,  tous les sens... Reste l'âme et le savoir.

Au fil du récit, Mathilde s'endurcit, s'affranchit de sa sensibilité…
Elle n'a pas le choix. L'enfermement est terrible, écrasant, oppressant. Le champ de vision se restreint, c'est comme si l'on avait tout le temps des barreaux devant les yeux. Sur le tournage, même si je retrouvais chaque soir le confort douillet de mon hôtel, j'étouffais, je n'avais plus l'impression d'être en contact avec l'extérieur, je perdais mes sensations...

L'insoutenable promiscuité, le silence imposé, la violation de l'intimité : le quotidien des taulardes est montré comme intolérable…
C'est le message d'Audrey : les prisons ne sont pas des lieux propices à la réintégration, à la réflexion, à la thérapie. Au contraire, les centres de détention broient ce qui reste d'humain. On entasse les détenus dans 7 m². Tout est fait pour casser. Dans notre société, l'incarcération devrait être un moyen de redonner des normes, des valeurs, des principes, d'enseigner…

L'équipe de La Taularde à Angoulême © Justine Boivin

Dans Arrêtez-moi, vous étiez une femme battue, blafarde et balafrée, venue avouer le meurtre de votre mari, sous les néons sans pitié d'un commissariat. Dans La Taularde, vous apparaissez à nouveau sans fard. Où trouvez-vous la force de casser votre image ?
Supporter une caméra jusqu'aux pores de sa peau, c'est bizarre, masochiste sûrement, mais pas courageux. Je ne suis pas mannequin, je suis actrice.

S'autoriser à ne plus être dans le contrôle, renoncer au glamour, à être objet de désir, de fantasme, c'est une preuve de confiance en soi, de maturité ?
Une forme de dépassement. C'est important pour moi de me détacher d'un souci de représentation. Je cherche toujours à me remettre en question, à ne pas me reposer sur mes acquis. Tout dans ce tournage était une épreuve car je ne supporte pas les verrous.

Permettez-moi d'y voir de la bravoure…
Je tente de me défaire de mes angoisses en me mettant à nu. A la ville, je suis très pudique, je n'aime pas exposer ma vie privée. Je déteste m'entendre, me voir, mais lorsqu'il s'agit de revêtir une autre identité, de parler au nom de quelqu'un, je m'abandonne, je n'ai plus de barrière, de susceptibilité. Mon corps devient un outil au service d'un personnage. Je m'en fiche d'être moche ou pas maquillée…

Et il vous reste des terrains à explorer ?
Ce métier est génial. Il vous permet de pousser loin les limites. Au fil de ma carrière, j'ai la chance de voir des paysages différents, d'aller au-delà du rationnel, de me transcender… La nature humaine, le physique, le mental, leur imbrication : tout cela me passionne.

© Rezo Films

Audrey Estrougo qui revendique "une démarche assez similaire à Ken Loach, dont le cinéma détruit les schémas, pointe du doigt les systèmes", livre un film complexe, dense et épuré, proche de la réalité de nos centres pénitentiaires, ceux-là mêmes où les prison­niers se donnent la mort, au rythme d'un suicide tous les trois jours. Sans complaisance dans la noirceur, en se penchant sur les "taulardes" comme sur les surveillantes, elle filme avec maestria la dureté de la détention.
Elle offre au spec­ta­teur une claque tout en grâce à coups de plans fixes et serrés, de lumières crues et glauques, de sons stridents et grinçants.
Son héroïne, gueule d'ange dans l'enfer des geôles, évolue parmi les bandes de filles, entre violence, trahisons et problèmes identitaires. L'histoire de Mathilde, sublime Sophie Marceau, c'est celle d'une femme, qui, par amour, s'adapte avec psychologie et émotion à l'enfermement de la cellule et navigue entre jeux d'influence et conflits commu­nau­taires, trafics de racailles et magouilles de matonnes.
Mathilde s'est sacrifiée pour permettre à l'homme de sa vie de s'évader. C'est ce mouve­ment vers l'affran­chis­se­ment que sublime la cinéaste.
Drame carcéral qui oscille entre réalité et fiction, La Taularde n'a pas de vérité à décré­ter, pas de morale poli­tique à propo­ser, mais elle pose un regard acéré sur l'huma­nité. L'opus confirme la malice d'une réalisatrice qui, loin de céder à la tenta­tion des séries "à l'améri­caine", étaye une œuvre noire, sociale et esthé­tique. Cet itiné­raire d'une Taularde, est digne d'Un Prophète d'Audiard.

En salles le 14 septembre