Le Portugal, une nation textile qui vise le podium

À l'ombre des catwalks rutilants de la mode, se cache une nation prête-à-créer : le Portugal et ses manufactures réputées travaillent à se faire une place au firmament de la couture.

Le Portugal, une nation textile qui vise le podium
© Mitia Bernetel

Sézane, Zara, American Vintage, l'indication "made in Portugal" se cache sur les semelles et les étiquettes des marques les plus renommées. Gage de qualité, la fabrication portugaise est largement plébiscitée dans le textile. Pourtant, rare sont les occasions de retrouver ce savoir-faire sur les podiums. Felipe Oliviera Baptista, directeur artistique de Lacoste et le duo de Marques'Almeida, Prix LVMH 2015 sont les seuls créateurs à faire flotter le drapeau vert et rouge sur la scène internationale actuelle. À l'heure où se clôture Portugal Fashion, une des deux fashion weeks portugaises, exploration d'une contrée textile qui rêve de monter sur le podium. 

Un terreau industriel


Le bassin industriel de la région de Porto fait tourner ses usines à bloc pour nourrir les marques étrangères de ses productions qualitatives, dont elles peuvent fièrement revendiquer la délocalisation en Union européenne. Parmi elles, on peut citer Hugo Boss, la marque anglaise Hackett ou Zara. Malgré l'attractivité des pays asiatiques qui a mis du plomb dans l'aile de l'industrie locale dans les années 90, la nation reste une puissance mode européenne, du moins au niveau des étiquettes. En effet, si la présence du Portugal dans nos dressings est discrète, le textile est un sujet majeur dans la balance économique de la nation ibérique. En 2015, le chiffre d'affaire lié aux exports textiles s'élève à plus de 4,8 milliards d'euros selon le Portuguese Statistics institute. Et 12% de ces exports ont pour destination la France. Un paradoxe dont a parfaitement conscience Joao Rafel Koehler, président de l'ANJE (Association Nationale des Jeunes Entrepreneurs) qui organise Portugal Fashion : "Nous ne sommes pas très bons pour promouvoir une marque. Mais la grande question est : devons-nous nous concentrer sur la promotion de marque ou sur la production et laisser les Italiens, les Français et les Anglais s'occuper des marques ?". La réponse semble être "non".

La dernière édition de Portugal Fashion© Portugal Fashion

À la recherche de la nouvelle star
 

Au creux de la vague, le Portugal se mobilise pour faire exister sa mode. En 1991 s'inaugure Moda Lisboa, la fashion week de Lisbonne, puis en 1995 Portugal Fashion, tournée vers Porto et son industrie, malgré un premier jour d'ouverture à Lisbonne. Deux approches, deux régions, mais un seul objectif : faire émerger des talents portugais de la création. Comme nous l'explique Joao Rafel Koehler : "On se concentre sur les jeunes designers, on leur donne une chance et on les garde à Portugal Fashion pendant un moment, parce qu'ils ont besoin de temps". Dans cette dynamique, les deux organisation multiplient les mains tendues vers les tout jeunes créateurs. Les programmes Sango Novo et Bloom, respectivement à Moda Lisboa et Portugal Fashion, offrent une vitrine à des créateurs à peine sortis d'école. Fiers et ambitieux, ces novices se rêvent à Paris où à Londres. Parmi eux, peut-être un futur Prix de Hyères ou LVMH qui offrira un premier fruit à cette démarche. Car Felipe Oliveira Batista et Marques'Almeida, cités en exemple, n'ont pas suivi une formation mode en terres portugaises, Felipe Oliveira Batista n'y a même jamais défilé. L'expatriation semble être la clé pour briller.  

L'international en ligne de mire


Célébrités de tous les milieux, mannequins, photographes, ils se bousculent tous aux portes de l'Alfândega de Porto, qui réunit la plupart des défilés de Portugal Fashion, au bord de la rivière du Douro. Tout comme les fashion weeks des grandes capitales, c'est l'événement huppé de la saison. Pourtant, l'objectif n'est pas de hisser Porto au rang de Londres ou de New York. L'âme de Portugal Fashion est voyageuse : "Le Portugal est un marché bon, mais étroit. Notre but est de faire exister les designers à l'étranger" explique Joao Rafel Koehler. Derrière les défilés locaux, le plus gros de la démarche se concentre sur l'ouverture de showrooms au cœur des semaines de la mode principales, l'organisation de rencontres avec la presse internationale, avec des investisseurs. Plus industrielle que Moda Lisboa, Portugal Fashion ne cache pas ses ambitions commerciales. Ainsi, pour son président, la question du "see now buy now" qui taraude la mode a toute sa légitimité : "Si vous voyez une pièce sur un podium et que vous voulez l'acheter, vous devez pouvoir le faire. Sans quoi la semaine prochaine, vous n'en aurez peut-être plus envie". Là où Paris crie à la prise d'otage de la créativité, ici, on pense à habiller les masses. Quitte à perdre son art en cours de route ?

Luis Buchinho automne-hiver 2016-2017 à Portugal Fashion © Mitia Bernetel

La patte portugaise, work in progress 
 

Ici, les créateurs, jeunes et plus confirmés, peinent parfois à faire apparaître un vrai style, construit et profond. Dans une époque où la mode est à la mode, ils rêvent fort et vite, mais le tout est de rêver loin. Certains se fondent dans les gimmicks qui marchent, un peu de Miu Miu par-ci, pas mal de Gucci par-là. Le couturier Luis Buchinho, fleuron de la mode locale, qui défile aussi à Paris, enseigne la mode à Porto. Son conseil à ses jeunes pousses ? "Le plus important conseil que je leur donne, c'est d'avoir leur propre discours". Parfois loin d'être aboutis, le travail des créateurs sortis d'école témoigne néanmoins d'une forte envie de créer, de décortiquer, de bousculer le vêtement. Enfants d'une nation de savoir-faire et non de mode, comme peuvent l'être la France ou l'Italie, le champ des possibles est vertigineux pour eux qui ont tout à inventer. "Je pense qu'ils ont leur propre histoire à raconter." s’enthousiasme le professeur, qui nous rappelle aussi l'histoire de son pays et de ses cinquante ans de dictature. Avec une volonté de fer et une richesse industrielle, il n'y a plus qu'à souhaiter au Portugal des lendemains qui défilent.