"Make me beautiful" : le moment de grâce décousu opéré par Gucci

Bienvenue dans le bloc opératoire d'Alessandro Michele. Pour son défilé automne-hiver 2018-2019, le directeur artistique de Gucci a su, une fois encore, installer l'admiration mais aussi le malaise chez ses invités à travers une collection patchwork où la créativité et l'audace étaient sans limite.

"Make me beautiful" : le moment de grâce décousu opéré par Gucci
© Imaxtree.com

Alessandro Michele fuit les choses lisses, homogènes et prévisibles. Plus qu'un créateur de mode, il est un concepteur à 360° qui aime défaire pour mieux reconstruire, créant ainsi de nouvelles identités hybrides, en s'appuyant sur diverses influences et idées, divers matériaux et tissus. Son but ? Toujours surprendre en dérangeant parfois au passage. L'oeuvre de Michele est un patchwork à l'image de son défilé Gucci automne-hiver 2018-2019. De l'invitation au décor, en passant par les thématiques de la collection, les accessoires et les agencements de vêtements sur chaque silhouette, l'artiste-créateur ne raconte pas une mais plusieurs histoires sous forme d'un véritable happening
Zoom sur un défilé mixte aussi décousu que fascinant.

La scénographie chez Gucci

Après avoir reçu en guise d'invitation une plaquette électronique annonçant le décompte numérique jusqu'au défilé tant attendu, les invités du show milanais se sont retrouvés, le 21 février 2018 à 15h00, au cœur d'un bloc opératoire quelque peu angoissant. En fond sonore, un électrocardiogramme. Tout était pensé dans le détail pour transformer une simple scénographie de défilé en une immersion ultra-réaliste dans un environnement stérile peu accueillant : l’hôpital. Tables d'opération, lampes aveuglantes sur bras articulés, faux-plafond en panneaux préfabriqués orné de néons blancs, sol et murs plastifiés vert menthe, portes battantes coupe-feu et chaises de salle d'attente pour asseoir les convives : rien n'était laissé au hasard.
Pourtant, rien dans la collection Gucci automne-hiver 2018-2019 ne faisait écho au premier degré à cette référence, hormis peut être les cagoules - accessoire décidément en vogue l'hiver prochain si l'on en croit Michele mais aussi Raf Simons et sa collection Calvin Klein -. En effet, certaines d'entre elles, intégrales ou semi-intégrales, semblaient rappeler les bandages post-opératoires d'une chirurgie faciale.
Pour renforcer l'ambiance pesante et grave déjà instaurée par le thème chirurgical du décor, une bande son funeste, faite de chœurs d'enfants et de chants liturgiques sur fond de violons mêlés aux "bip" de plus en plus irréguliers de l’électrocardiogramme, accompagnait le défilé.
Après l'opération, place à l'enterrement et à la marche funèbre : "Désolé, nous n'avons rien pu faire, ils n'ont pas survécu à l'opération".

Des accessoires déconcertants

Quand Alessandro Michele entend une histoire qui lui plait, il l'intègre aussitôt à son travail. C'est ainsi que l'un des mannequins du défilé Gucci s'est vu confier, pour son passage sur le catwalk, un bébé dragon en latex. L'explication de cet accessoire incongru ne s'est pas faite attendre. Au même moment, sur son compte Instagram officiel, la griffe s'expliquait, précisant aux internautes qu'il s'agissait d'une interprétation de la légende du bébé dragon dans le bocal.
En 2004, un Anglais a dupé tout le monde, faisant croire aux médias qu'il avait découvert au fond de son garage un bocal de formol abritant un bébé dragon. Ce dernier était accompagné d'un document expliquant que ledit bébé dragon conservé aurait été refusé par le musée d'histoire naturelle de Grande-Bretagne, préférant étouffer l'affaire, puis intercepté et caché par le grand-père de David Hale, l'homme à l'origine de cette incroyable découverte. Un canular signé Allistair Mitchell, auteur britannique, qui, pour promouvoir son dernier roman - une sombre histoire de dragon -, s'est inventé une identité et a mis au point cette imposture. Il n'en fallait pas plus pour donner des idées au directeur artistique le plus créatif et farfelu de sa génération.
Un dragon, mais pas que ! On a également pu croiser, dans les bras de certains mannequins, un caméléon (changeant de couleur au gré de son environnement) mais aussi un serpent (changeant de peau au fil du temps) : des animaux mutants, aussi transformables que se veulent les créations et les silhouettes du designer, tels un miroir du processus créatif de Michele.
Mais l'Italien est allé encore plus loin dans l'étrange, décontenançant pour de bon son assistance, quand deux de ses mannequins ont défilé en portant à la main... leur propre tête ! Des têtes en cire ultra-réalistes, ressemblant trait pour trait aux mannequins en question. 
Pour finir de plonger ses invités dans le trouble et l'embarras, Alessandro Michele a su créer un suspens inédit. Une fois son salut finale exécuté selon la tradition, la salle est restée baignée dans la même lumière que pendant le show, bande son battant toujours son plein. Le résultat ? Un public circonspect n'osant pas bouger, laissé pendant plusieurs minutes dans l'attente d'une potentielle surprise finale... qui n'arriva jamais.

La confrontation de deux cultures

La rencontre de la culture pop occidentale avec les univers ethniques gypsy, d'Orient, de l'Asie traditionnelle ou encore d'Europe de l'Est est un thème récurent chez Michele. Par petites touches ou en silhouettes intégrales, ces différents mondes ont l'habitude de se côtoyer sur les catwalks Gucci.
Pour l'automne-hiver 2018-2019, les codes vestimentaires du baseball américain (via une collaboration avec Major League Baseball) viennent flirter avec les broderies par milliers, les chadors en velours, les blouses roumaines, les turbans, les perles, sequins et pierreries, les niquabs colorés et strassés, les couleurs chatoyantes en patchwork, les plumes, les dentelles et les foulards fleuris multicolores en soie noués sur la tête. On trouve ainsi des initiales"NY", de l'équipe des Yankees de New York, floquées sur des bonnets, un gilet, un teddy et un blazer mais, plus étonnant, sur un caban pied de poule, un chemisier oversize en brocard et dentelle ou encore sur une coiffe en velours fuchsia à pompons,  
De nombreux autres éléments, clins d’œil à la culture de masse contemporaine, sont également présents. De la casquette "LA" aux pulls Paramount, Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! (film américain de 1965) ou encore à l'effigie d'une héroïne de manga façon Candy, ces pièces légères confrontées au reste de la collection permettent un joyeux choc des cultures bienvenu. 

La mode dans tous ses états 

Difficile de décrire les silhouettes surchargées de Gucci dans les détails tant ceux-ci sont foisonnants. Encore plus difficile de parler de chacune des pièces qui les composent tant l'accumulation et la superposition, concepts chers à Michele, sont présents sur ce défilé plus particulièrement.
Côté vêtements, on retiendra entre autre les robes longues imprimées, les housses de protection transparentes portées par-dessus une fourrure ou un tailleur, les robes à épaulettes ultra larges 80's, les manteaux droits monogrammés, l'imprimé à carreaux-damier bleu/blanc/rouge, l'incroyable robe en plumes noire et verte, les impressionnantes pièces en velours bordeaux (robe-chador et manteau long), les nombreux vêtements fleuris en "all-over", le manteau d'homme mi uni/mi tartan, mais aussi la blouse lamée bleue à multiple lavallières.
En ce qui concerne les accessoires, Alessandro Michele a une fois de plus fait des étincelles avec des mules "peep-toes" très épaisses à talon, des sneakers OVNI sanglées de bandes en pierreries, des foulards en soie d'une grande beauté, un sac à ballon en cuir noir, des lunettes de soleils slim rétro-futuristes, des colliers-sautoirs en perles oversize, des écharpes nouées autours du visage, et évidemment des cagoules en tous genres, éléments omniprésents tout au long du défilé.

Après un tel fourmillement de pièces novatrices ou détournées, après une créativité toujours plus étonnante démontrée sur chacune des étapes de son travail, Alessandro Michele arrivera-t-il encore à nous surprendre sur son prochain show ? Impossible d'en douter, la vraie question étant de savoir comment il s'y prendra lors du défilé Gucci spring-summer 2019 en septembre prochain. Un nouveau décompte est lancé.

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