Sage-femmes, nounous... Ces hommes qui exercent dans l'univers de la petite enfance

Ils sont sage-femmes, auxiliaires de puériculture ou nounous... Ces hommes qui travaillent dans un univers plutôt féminin doivent parfois faire face aux idées reçues et justifier leurs compétences. Témoignages.

Sage-femmes, nounous... Ces hommes qui exercent dans l'univers de la petite enfance
©  micromonkey

Il n'y a pas que les femmes qui sont victimes de discrimination au travail. Les stéréotypes et les idées reçues vont aussi bon train dans le domaine de la petite enfance auprès des hommes qui empruntent cette voix. Ils sont auxiliaires de puériculture, sage-femmes ou nounous et à la simple prononciation de leur métier, ils provoquent la surprise des autres professionnels et des parents, pour la plupart réticents. Comment parvenir à s'adapter et se faire une place en tant qu'homme ? Quelles sont les difficultés ? Y a-t-il des avantages à exercer en tant qu'homme ? Rencontre avec ces professionnels de la petite enfance, qui témoignent de leurs expériences et de leurs parcours.

Des stéréotypes récurrents 

"Un homme qui exerce un travail de "femmes", ce doit être un homo ?", "Et s'il était pédophile ?" Voici les idées reçues auxquelles certains hommes peuvent être confrontés. Dans son livre "Un homme à la crèche", Thomas Grillot raconte les parcours de ces hommes qui ont choisi d'évoluer dans un univers a priori féminin. Tous évoquent la même surprise ressentie par leur entourage et en particulier par leurs collègues de travail. Néanmoins, preuve que les clichés sexistes sont bien ancrés, un homme aura l'avantage d'être perçu comme étant celui qui apporte un peu d'autorité auprès des enfants, qui a un certain leadership et apaise les tensions entre femmes. De plus, il ne cherchera pas à participer aux "potins" et sera plus direct en cas de litige, évitant ainsi les "paroles dans le dos". Bien que ce ne soit pas une généralité, Thomas Grillot a tout de même rencontré un couple de parents, peu confiant, qui refusait au départ que leur petite fille soit confiée à un homme. Mais ils s'agit souvent de "non-dits". Par conséquent, ces professionnels de la petite enfance qui travaillent auprès des tout-petits doivent continuellement rassurer les parents inquiets, et justifier leurs compétences. Ils sont souvent sous tension et surveillés, et se sentent mis à l'épreuve avec les nourrissons (eux qui n'ont pas l'instinct maternel et "moins d'expérience avec les bébés"). Pourtant, pour exercer leur métier dont ils sont fiers, ils ont suivi une formation : 3 ans pour devenir éducateur de jeunes enfants et 1 an pour travailler en crèche. "Le féminisme est aussi l'affaire des hommes" conclut l'auteur du livre.

En France, on compte seulement 1 % d'hommes exerçant le métier d'auxiliaire de puériculture, et 3 % d'éducateurs de jeunes enfants. Des chiffres qui restent bien loin des objectifs européens, qui fixaient pour 2006 un minimum de 20 % d'hommes dans ce secteur.  A l'inverse, ils sont davantage représentés en gynécologie obstétrique que les femmes : 54,4% des médecins ont choisi cette spécialité en 2015 selon l'Insee. Comment expliquer alors que les hommes exerçant le métier de gynécologue n'interpellent pas autant que les sage-femmes ou auxiliaires de puériculture ? Selon Benoît Legoedec, sage-femme, "les gynécologues sont davantage considérés comme des médecins. Ils apportent une technique et ont un statut sociétal plus élevé, tandis que les sage-femmes sont attendus dans un rôle d'accompagnement, bien que leurs gestes soient aussi très techniques", explique-t-il.

Du métier de sage-femme... à l'informatique

Jordan est un étudiant de 25 ans. Après avoir suivi des études vétérinaires, il s'intéresse finalement au métier de sage-femme. Cinq années d'études (dont une année de médecine) sont nécessaires pour exercer ce métier, mais Jordan abandonnera dès la deuxième année pour se réorienter vers un univers à majorité masculine : l'informatique. Dans sa promotion composée de 150 élèves, seuls deux garçons sur sept ont été jusqu'au bout. S'ils étaient davantage "chouchoutés" par les enseignants lors de leurs études, la pratique était bien différente au cours des stages. "Chaque fois que j'entrais dans la chambre des patientes pour pratiquer des soins, j'appréhendai qu'elles refusent ma présence", confie le jeune homme. En hôpital public, les patientes ne peuvent refuser qu'un homme intervienne, ce qui est discriminatoire. En revanche, elles peuvent tout à fait refuser qu'un stagiaire s'occupe d'elles. Aussi, utilisaient-elles cette excuse pour demander qu'une autre sage-femme soit présente. "J'ai eu beaucoup moins de refus en salle d'accouchement qu'en consultation prénatale ou postnatale, ou encore lors des soins pour les suites de couchesParfois même, ce sont les hommes qui étaient réfractaires, voire agressifs". Pour Jordan, il y a un véritable sentiment de frustration : "Comment apprendre le métier si je ne peux effectuer les soins auprès des futures et jeunes mamans ?" Lorsqu'il tente une autre expérience, c'est la chef de service qui le rejette. "Je ne veux pas que des hommes sage-femmes fassent leur stage ici" avait-elle déclaré. Pourtant, certaines patientes admettent que les hommes sont "plus à l'écoute, plus doux et respectueux de leur intimité". Ce qu'approuve Jordan. "En tant que garçon, j'étais conscient et sensible à cela, je faisais plus attention lorsque je prodigais des soins, mais on met en doute notre légitimité à exercer ce métier". Aujourd'hui ingénieur en réseau et télécoms, il porte un regard différent et bienveillant sur les femmes qui se retrouvent en minorité dans ce domaine. 

Comment se faire une place en tant qu'homme ?

Benoît Legoedec, lui, est l'un des premiers hommes à avoir exercé le métier de sage-femme. En 1989, ils n'étaient qu'une dizaine. Pionnier dans son domaine,  il a exercé 17 ans dans un hôpital et est devenu sage-femme libéral, enseignant à l'école des sage-femmes de Suresnes et rédacteur en chef de la revue Les Dossiers de l'obstétrique. Son parcours exemplaire provoque parfois la jalousie de ses collègues qui estiment paradoxalement qu'il a "réussi parce qu'il est un homme". Mais hormis des refus à l'embauche, des gardes annulées et quelques "non-dits" lorsqu'il a débuté sa carrière, Benoît Legoedec a peu été confronté à des refus de la part de ses patientes. Pour réussir dans cette voie, "il faut avant tout se penser sage-femme et ne pas laisser sa masculinité être mise en avant. Si un homme n'est pas à l'aise ou qu'il se met en retrait, les patientes le ressentent et il est encore plus difficile ensuite de se faire une place et de mettre les femmes en confiance", explique ce père de cinq enfants.

Comme Jordan, Benoît Legoedec estime aussi que les hommes sont plus empathiques et sensibles vis à vis des femmes. "Parce qu'on ne peut se projeter sur les douleurs qu'elles ressentent, parce qu'on nous demande sans cesse pourquoi nous avons choisi cette profession, nous sommes amenés à nous questionner davantage que les femmes sur ce métier. On a aussi tendance à faire plus attention à nos gestes", explique-t-il. L'autre avantage à exercer en tant qu'homme se trouve dans la relation avec les jeunes pères. En salle d'accouchement notamment, ces derniers sont plus rassurés et plus à l'aise en présence d'un homme. "Ils se sentent accompagnés et osent poser plus de questions".