Tuerie de Sandy Hook : du spectaculaire pour quelle humanité ?

Les récents événements de Sandy Hook font l'objet d'un déchainement des médias. L'analyse du Dr. Hélène Romano, Responsable de la cellule d'urgence médico-psychologique du Val de marne.

Tuerie de Sandy Hook : du spectaculaire pour quelle humanité ?
© Liberto Jacquelin - Fotolia.com

"Le drame qui vient de se dérouler à l'école de Sandy Hook de Newtown, dans le Connecticut, avec 27 morts nous rappelle violemment ce qu'est un événement traumatique : la confrontation à la mort. Or depuis plusieurs années, nous voyons émerger un nouveau rapport au monde qui se traduit en particulier par le fait que tout incident de vie se trouve inéluctablement étiqueté de "traumatisme", la moindre personne impliquée immédiatement désignée comme "victime", comme si le fait même d'attribuer ces qualificatifs avait des vertus réparatrices. Trauma, événement traumatique, victime, catastrophe, sont aujourd'hui devenus des "mots-tiroirs" remplis de fantasmes et de représentations multiples s'inscrivant dans un contexte où logique politique, logique judicaire, logique médiatique et logique soignante sont amenées à coexister. Si le traumatisme est devenu un mot pansement, l'utilisation abusive de ce terme en fait un concept multiforme, un terme "pense-ment" qui évacue la spécificité des événements traumatiques et met à mal la prise en charge des personnes qui y sont confrontées. Désigner par le qualificatif de traumatisme n'importe quel événement, n'est pas sans conséquence et peut conduire à des dérives telles que l'assimilation de la détresse psychologique à la souffrance psychique, la confusion entre restauration psychique et réparation judiciaire ou bien encore la psychiatrisation de tout débordement émotionnel et la "victimisation" de toute personne impliquée.

La surenchère des journalistes

Mais cette tragédie illustre également la spectacularisation qui en est faite par les médias. Les victimes fascinent et chaque événement dramatique voit en effet se précipiter une multitude de politiques, journalistes, témoins et bénévoles : aux Etats-Unis, comme en France... La surenchère d'images, transmises sans aucune analyse si ce n'est de simples commentaires factuels, conduit inévitablement à une fixation scopique des spectateurs sur les stigmates de l'horreur.

Quelle pertinence à parler pour ne rien dire de l'auteur présumé ? Quel intérêt à repasser sans fin les mêmes images de cette école endeuillée ? Quels objectifs à filmer des enfants et des parents en pleurs ? Quelle pertinence à montrer ces journalistes américains se ruer tels des charognards sur les listes des enfants endeuillés ? Est-ce toujours de l'information ? Les médias ont une fonction informative face aux événements mais lorsque la transmission d'informations déborde du cadre contenant de l'information objective, elle perd toute dimension pare-excitatrice et participe au débordement émotionnel consécutif à l'événement traumatique. La dimension mystificatrice de l'information est en particulier liée à ce processus d'amplification qu'elle est susceptible d'induire dès qu'elle n'assure plus sa fonction explicite et qui conduit à une starification des événements traumatiques et à une stigmatisation des victimes. Le besoin constant d'informations et d'images, le contexte d'urgence qui favorise le court-circuitage de toute élaboration, la pression de l'audimat comme celles des responsables institutionnels et politiques peuvent aussi conduire à des manquements préjudiciables à la crédibilité de l'information : réalité occultée, déniée ou banalisée, informations parcellaires, fausses ou mensongères, diffusion d'informations non vérifiées, inadéquation entre les images et le sujet concerné, etc. L'influence des images est devenue telle qu'elle est en passe de remplacer la réalité en ce sens où l'événement ne semble exister que s'il est aussi certifié par la caméra et l'écran de télévision. L'image rend l'événement réel et la réalité virtuelle finit par remplacer les vraies réalités.

 

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C'était la désolation dans la cour de récréation de Sandy Hook. © Liberto Jacquelin - Fotolia.com

Une réalité à nos fantasmes ?

Du côté des téléspectateurs, ces images au plus près de la cruauté du trauma produisent une crainte, souvent démesurée par rapport au risque réel encouru par les spectateurs, elles exacerbent cette terreur par la vision de l'horreur et font chambre d'amplification par l'impact psychologique qu'elles induisent. La couverture médiatique de l'affaire Merah l'a récemment démontré. Ces projections présentifient les angoisses archaïques enfouies au plus profond de notre réalité psychique et donnent réalité aux fantasmes de violence, de destruction, de mort et de néant qui nous habitent. Mais cette catharsis par délégation est vouée à l'impasse dès lors que ces images sont visionnées sans décryptage et restent vides de sens. 

Du côté des victimes, traquées par des journalistes avides de détails, leur intimité est mise en pâture. L'image, en les fixant au plus près de l'événement, les dépossède de leur vie et de ce qu'ils sont en tant que sujets. Ils ne sont plus que des objets, objets d'audience, objets de revenus, objets de culte, icônes de l'horreur. Leur histoire ne leur appartient plus, elle est revisitée, remise en scène par des étrangers et exposées sans aucune limite au monde entier.

Ce qui fait l'humanité des sujets c'est leur capacité empathique à l'égard des autres et l'attention qu'ils peuvent leur porter. La spectacularisation des événements traumatiques et l'enchère médiatique actuelle, interpellent et devraient nous interroger sur cette violation de l'intimité des personnes impliquées. Le respect des morts, petits et grands, passe par le respect de leurs proches endeuillés...encore faut-il pour cela que chacun respecte sa propre humanité."

Hélène Romano, Dr en Psychopathologie et responsable de la cellule d'urgence médico-psychologique du Val de marne. Elle est également auteur de "Sauveteurs et événements traumatiques", Elsevier et de "l'Aide mémoire de l'urgence médico-psychologique" (à paraître Dunod, février 2013).

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