Peut-on vraiment faire le deuil d'un enfant ?

Le deuil d'un enfant est une question des plus sensibles, qui ne suit pas l'ordre des choses. Comment surmonter la douleur ? Que dire aux frères et sœurs ? Ambre Pelletier, coach maternelle et thérapeute familial, nous éclaire.

Peut-on vraiment faire le deuil d'un enfant ?
© 123rf-Katarzyna Białasiewicz

Peut-on parler de deuil, cette notion existe-t-elle quand on parle d'un enfant ?

Ambre Pelletier* : La mort d'un enfant est toujours vécue de manière très injuste. C'est un événement qui ne suit pas l'ordre des choses. Il provoque généralement des perturbations émotionnelles profondes qui touchent chacun des membres de la famille. Le deuil qui accompagne la mort d'un enfant est le processus de toute une vie qui nécessite un long travail intérieur jalonné par différentes phases. Les parents peuvent passer par une période de déni de la réalité car ils ont envie de se protéger de ce trop plein d'émotions. Ils ne veulent pas vivre cette situation et la rejettent. Ils peuvent également être envahis par la colère. Ils trouvent la vie injuste et ils en veulent à la terre entière : les médecins, Dieu... Il arrive aussi qu'ils retournent cette colère contre eux et ils se sentent alors coupables. Une phase de marchandage peut survenir durant laquelle ils essayent de se dire que maintenant, ils feront différemment, ils seront plus attentifs... Ici la situation est tellement douloureuse qu'ils tentent tout afin de pouvoir changer les choses. Les parents peuvent également être assujettis à une période de dépression, où la vie ne vaut plus la peine d'être vécue. Ils sont alors envahis par des idées noires. Et pour finir peut advenir une phase d'acceptation, qui leur permet d'admettre qu'ils ne peuvent pas changer les choses. Ils apprennent alors à vivre avec ce manque.

Au quotidien, comment gérer ? La douleur peut-elle s'estomper avec le temps ?

Le travail de deuil est vécu de façon très personnelle par chacun des membres de la famille. Il est conditionné par la relation qu'ils avaient avec l'enfant et également en lien avec leur propre histoire. Tout dépendra donc de la façon dont ils ont vécu les deuils de l'enfance (toutes les étapes qui amènent vers l'autonomie) ainsi que les différentes séparations et pertes qui ont entourées leur existence. Ce travail intérieur qui doit amener vers l'apaisement et un nouvel équilibre est fragile et donc propre à chacun. Il peut être perturbé à tout moment. En effet il est possible que le soulagement qu'ils peuvent ressentir pendant un temps soit bousculé et mis à mal par une épreuve qui vient faire remonter leur peine.

Quand il y a une fratrie, faut-il faire vivre le souvenir de cet enfant parmi elle ? Comment l'inclure dans l'histoire des autres enfants (le faut-il) ?

Les enfants sont autant concernés par la perte d'un frère ou d'une sœur que peuvent l'être leurs parents, car ils avaient un lien direct avec lui ou elle. En effet, ils ont pu partager ensemble les jeux mais également ressentir une certaine rivalité vis-à-vis de ce frère ou de cette sœur. Ils peuvent ainsi se sentir coupables quand ce "rival" décède car ils peuvent s'imaginer que leur "désir" s'est réalisé. C'est pourquoi il est primordial de les rassurer quant au fait qu'ils ne sont pas responsables de la mort de leur frère ou sœur. Ils sont également confrontés au désarroi de leurs parents qui ne pourront pas véritablement être un soutien pour eux. Il est donc nécessaire de les conforter dans l'idée que leurs parents ne cesseront de les aimer même s'ils traversent aujourd'hui une phase de grande tristesse. Comme le disait Françoise Dolto, il est important de "parler juste aux enfants". Tout d'abord au moment de l'annonce, il est préférable de dire que l'enfant est mort et qu'il ne reviendra plus. Et puisque  la mort est liée à la vie, on meurt parce que l'on vit. Et les parents peuvent dire que cet enfant est mort parce qu'il avait fini sa vie. C'est important que les frères ou sœurs puissent assister à l'enterrement afin d'enlever la part de mystère qui peut y avoir autour de la mort. Et pour finir, les parents peuvent leur dire que le souvenir de cet enfant sera toujours présent dans le cœur de chacun des membres de la famille. Car en effet, il est primordial que chacun puisse évoquer librement des moments partagés avec cet enfant.

Comment surmonter la mort d'un enfant ? Sans pour autant tourner la page, comment être "disponible" pour les bonheurs à venir ?

A la mort d'un enfant, les parents peuvent obtenir de l'aide de la famille, des amis, d'un groupe de parole pour les parents qui ont vécu une situation similaire, la communauté religieuse à laquelle ils appartiennent. Il existe également des séminaires qui rassemblent des personnes confrontées à la même épreuve. Si la douleur est insurmontable, il peut être recommandé d'aller consulter un professionnel (psychiatre, psychologue, psychanalyste, coach) qui apportera un soutien neutre et bienveillant. Quoi qui l'en soit, la façon de surmonter la mort d'un enfant est personnelle à chacun des membres de la famille. Et ce dont ils ont le plus besoin, ce ne sont pas des conseils, mais d'une écoute attentive et empathique, sans jugement qui leur permettra d'exprimer la force de leurs émotions et les besoins qui s'y rattachent pour sortir peu à peu de ce tsunami émotionnel.

*Propos recueillis en 2013