Des enfants doués mais déroutants face à certaines activités

Très souvent, les parents qui demandent un examen psychologique décrivent un enfant complètement déroutant : il réussit à merveille dans certains domaines mais refuse d’exécuter une tâche particulière, il se bloque et s’entête, parfois jusqu’au drame.

On comprend mal comment il peut passer d’une éblouissante virtuosité à ce blocage massif, alors qu’il n’est pas tellement capricieux dans le quotidien. Ses parents tentent d’appliquer une grille explicative : "quand quelque chose lui plaît, il y consacre toutes ses forces, mais si ça ne lui plaît pas, il se bloque dans un refus obstiné", mais ils sentent bien que cette explication présente un aspect un peu artificiel. Ils espèrent alors qu’un test fournira une explication plus rationnelle et surtout donnera des solutions. On dit bien que les enfants doués présentent des caractéristiques échappant à l’entendement, mais cet entêtement ponctuel et têtu  est tout de même déconcertant. Parfois on le compare à un cadet, apparemment moins exceptionnel, mais qui, par exemple,  réussit avec grâce des puzzles que son aîné regarde à peine, comme si ce genre d’activité ne le concernait pas. 

Le test pratiqué dans ce cas est hétérogène : un excellent verbal et des notes plus faibles ailleurs. L’épreuve des cubes est moins bien réussie, mais la note peut tout de même se situer dans la moyenne : cette différence doit alerter, elle peut  indiquer un manque d’adresse dans ce domaine précis d’orientation dans l’espace.

Ce défaut entraîne une compréhension faussée des énoncés de mathématiques, une mémoire immédiate défaillante,  au grand étonnement des enfants eux-mêmes qui retiennent avec une telle maîtrise tous les noms des capitales, toutes les sortes d’oiseaux,  de poissons, de leurs chers animaux préhistoriques ou encore des Pokémon.

Il leur  a souvent été difficile d’apprendre à lire l’heure sur un cadran, à se repérer dans le temps : hier, demain, après-demain et avant-hier se sont longtemps mélangés dans leur esprit.

Leur sens de l’orientation est faible, mais ils apprennent vite à compenser cette maladresse à l’aide d’une mémoire visuelle bien exercée. Pour retrouver son chemin, on prend des points de repère : un arbre particulier, un monument, des affiches…

Toutefois cet ensemble d’indices ne se retrouve pas au grand complet chaque fois : certains enfants ont adoré les puzzles dans leur petite enfance et puis ils ont subitement arrêté, "ils n’aimaient plus ces jeux, rien de grave, il est bien naturel que les goûts évoluent". Quand une épreuve analogue à  des puzzles faisait partie du WISC,  des enfants paraissaient perdre soudainement toute capacité d’initiative et se montraient d’une maladresse d’autant plus surprenante qu’elle n’était pas justifiée par une difficulté particulière : ces assemblages
étaient même assez simples, mais ils regardaient les pièces comme si elles étaient dépourvues de toute signification, les manipulaient au hasard, défaisant un assemblage exact, recommençant obstinément et inlassablement celui qui ne convenait pas.

Pourtant, chez eux, ils adorent les lego et réalisent des merveilles :  l’aspect géométrique des pièces et le fait qu’ils se sentent libres d’agir à leur guise leur évite peut-être la pression qu’ils subissent sitôt qu’ils doivent exécuter une tâche précise sans être assurés de la réussir. 

Ce serait surtout cette horreur de l’échec qui provoquerait ces refus incompréhensibles si on en ignore l’origine. Ces enfants n’ont pas envie de paraître ridicules, de donner en spectacle leur maladresse, encore aggravée par l’inquiétude qu’elle entraîne, quand ils constatent qu’ils semblent avoir perdu toute dextérité et peut-être même toute capacité de raisonnement. Ils détestent ce matériel qui leur résiste, ils ne veulent plus avoir affaire avec lui, ils se bloquent furieusement, à la mesure de leurs craintes.

Si on accepte ce refus, puisque compensé par une virtuosité ailleurs,  ils se sentent confortés dans l’idée qu’ils présentent bien une déficience incurable, comme un handicap qui les  toucherait irrémédiablement : le prix à payer pour leur dextérité verbale.

Ils ne désirent pas faire étalage de leur peine, mais ils cherchent toujours désespérément comment masquer cette déficience, honteux de donner d’eux une image tellement négative ; leurs parents eux-mêmes, pourraient souffrir de voir leur enfant si vif devenir tout à coup et à jamais gauche et empoté.

Minimiser ces difficultés ne ferait que renforcer leurs craintes : leurs parents désirent les ménager, ils ne veulent pas insister sur ce point sensible et même douloureux, mais leur accablement manifeste exprime bien leur chagrin résigné.

D’une façon générale d’ailleurs, il faut se montrer très prudent quand  on cherche à relativiser une faiblesse chez un enfant doué : son imagination, sa tendance à envisager le pire, sa propre perplexité face à ses dons ont tôt fait de le persuader que ses parents veulent simplement atténuer l’aspect désastreux de ses lacunes, ils les savent définitives, ils tentent alors d’habituer leur enfant à cette faiblesse, puisqu’elle le caractérisera sa vie durant.

Il est beaucoup plus profitable d’évoquer précisément ces failles et surtout d’affirmer qu’elles peuvent être corrigées par des exercices appropriés : on les dédramatise, on les banalise et surtout on affirme qu’il existe de nombreux moyens de les réparer.

L’enfant ne peut pas les cerner par lui-même, il ne sait pas pour quelles raisons son cerveau semble se bloquer : quand il refuse un exercice, une activité, il est, au plus profond de lui-même complètement affolé puisqu’il se croit victime d’un vice de forme en quelque sorte.

Ses refus, ses blocages, apparemment subits, doivent être replacés dans un contexte d’ensemble : ils sont la manifestation d’un malaise très précis éprouvé de la façon poussée à l’extrême propre aux enfants doués et vécu dans une tourmente émotionnelle dont on n’a pas idée.

Cette chronique répond aux multiples demandes des parents : ils décrivent pratiquement tous des signes identiques qui les laissent perplexes et le test n’apporte pas toujours l’éclairage souhaité : on doit prendre en compte un ensemble de signes et il faut comprendre exactement ce que signifie l’écart des notes.

Comme remèdes  on peut commencer par les plus accessibles : par exemple,  le Tangram, que ces enfants détestent, mais on explique qu’il est nécessaire de développer dans le cerveau des connexions un peu défaillantes et que tout rentre ensuite assez vite dans l’ordre. Le jeu d’échecs est aussi profitable en favorisant une représentation mentale précise de l’espace. On peut encore envisager des séances de Rééducation Psycho Motrice, surtout si l’enfant doué est un peu  pataud et qu’il n’aime aucune activité physique. On recherche alors quel sport lui conviendrait, certains comportent un aspect un peu intellectuel qui le séduira.

Enfin maître de lui, l’enfant doué savourera cette image de lui restaurée et osera envisager un avenir plus joyeux, plus ouvert, plus heureux.