Faut-il punir un bébé ?

Doit-on punir un enfant avant ses 2 ans ? Est-ce vraiment utile ? Le point avec le Dr. Gilles-Marie Valet.

Avant 2 ans, la punition qui consiste à infliger une peine sans lien avec le comportement ou l’acte que l’on veut condamner n’a aucun sens. Ce stade de développement correspond à ce que le psychologue Jean Piaget a appelé la période de l’intelligence sensori-motrice.

Les premières années du bébé

Durant ces premières années, les activités du bébé se composent avant tout d’exercices réflexes au cours desquels il met en place ses premières habitudes et adapte ses expériences sensorielles et motrices afin de développer des activités intentionnelles. Il va y intégrer progressivement les choses, jouets ou objets à portée de main, et les êtres de son entourage. Nulle notion de bien ou de mal, de bêtises ou d’interdit. Ses limites sont définies par ce que ses compétences psychomotrices lui permettent. Dès qu’il commence à se déplacer, ses pulsions de découverte le poussent à explorer son monde immédiat. Et ses outils d’exploration et d’interaction avec le monde sont ceux que lui fournissent ces cinq sens : l’ouïe, la vue, l’odorat, le toucher et le goût. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il porte tout à sa bouche, puisqu’il trouve là un organe précis d’analyse de ce qui l’entoure ! Ce que le parent qualifie de bêtise correspond pour l’enfant à une expérience. Le rôle du parent sera d’évaluer si celle-ci peut s’avérer bénéfique, inutile ou dangereuse pour l’enfant afin de l’autoriser ou de l’interdire. Mais l’interdiction ne suffit pas bien souvent ; elle doit être régulièrement réitérée. Même si des traits de personnalité se dessinent parfois très précocement,les facteurs qui interviennent dans un comportement sont multiples, et ce dernier n’est pas dû au seul fait que l’enfant soit têtu ou qu’il ait « un sacré caractère ». Son développement cognitif ne lui permet pas encore de généraliser les expériences qu’il fait. Il lui faudra un certain temps pour intégrer que si une situation ou un objet est interdit(e), ce sont toutes les situations similaires qui le sont. « Cette prise est interdite d’accès, mais qu’en est-il de la prochaine…» pourrait-il dire s’il était capable de formuler sa pensée…

A cet âge, inutile de punir

Contrairement à l’adage souvent revendiqué pour justifier une sanction, l’enfant de cet âge ne tirera «aucune leçon» d’une réprimande sans lien direct avec ce qu’il a fait. Inutile de s’attendre à ce
qu’une tape sur la cuisse ou la main lui fasse comprendre qu’il ne faut pas qu’il mette ses doigts dans la prise, car il pourrait s’électrocuter ou qu’il est défendu de toucher au vase de mamie, car il
risque de le briser.

Dans un premier temps, le jeune enfant va surtout l’interpréter comme une modalité relationnelle ordinaire, où la stimulation sensorielle désagréable fait partie de l’échange. Comme cela peut l’être pour d’autres moments, tel le bain où alternent des moments agréables, liés au soin, et des moments qui le sont moins (savon dans les yeux, passage de la tiédeur de l’eau au froid de l’extérieur, caresse du gant remplacée par le frottement de la serviette sèche et râpeuse).

Puis, si l’enfant persévère, les tapes ou fessées deviennent plus appuyées, les cris du parent plus intenses – le stimulus s’avérant plus douloureux –, un sentiment de crainte peut se développer sur le
modèle du conditionnement, où le haussement de ton et la menace gestuelle (main levée) réveille le souvenir douloureux et arrête l’enfant dans son action. Mais cette réaction de protection ne correspond pas à un apprentissage qui permettrait de saisir le sens de l’interdit et d’en éviter la répétition. Ainsi, l’enfant comprendra mieux qu’il lui est défendu de toucher à telle ou telle chose si l’accès lui en est effectivement impossible. Cache-prises, loquets, zones de rangement inaccessibles… sont les meilleures sanctions à proposer aux enfants touche-à-tout.

Bêtise ou expérimentation ?

De plus, doit-on vraiment considérer comme une bêtise, ou un acte répréhensible, un comportement qui s’inscrit dans un processus de développement ? On pourrait ainsi évoquer à nouveau toutes les «expériences» que l’enfant est amené à effectuer pour grandir et acquérir de nouvelles compétences, et tout ce qu’il peut mal faire, en raison d’une construction psychomotrice et affective encore immature. Doit-on, par exemple, sanctionner les gestes maladroits d‘un enfant qui renverse ou casse un objet, ou punir un enfant qui reproduit un comportement qu’on lui a défendu parce qu’il n’a pas saisi que c’était interdit ?

La première question que l’on peut se poser, lorsqu’il s’agit de caractériser ce comportement, est justement de savoir en quoi est-il répréhensible ? Comporte-t-il un risque pour l’enfant ou son entourage, ou n’a-t-il que l’inconvénient de déranger les adultes qui l’entourent ?

A contrario, peut-il être utile à l’enfant ? Lui apporte-t-il quelque chose ? Peut-il l’aider dans son développement ?

Pour ne pas faire de bêtises, l’enfant a besoin de développer un certain nombre de compétences avec lesquelles il n’est pas venu au monde. S’il doit parvenir à bien maîtriser ses mouvements pour éviter
les maladresses qui sont à l’origine d’un certain nombre de bévues, il doit également apprendre à gérer ses désirs et ses émotions, dont certaines, lorsqu’elles deviennent débordantes, peuvent être considérées par les adultes comme des comportements inopportuns ou à répréhensibles, à l’instar des colères ou des caprices.
 
Plus d'infos dans "Se faire obéir sans (forcément) punir", aux éditions Larousse.

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