Un rescapé de "l'enfer des foyers" témoigne : "La violence des adultes censés nous protéger et qui nous frappent..."

Durant son enfance, Lyes Louffok a subi la maltraitance, le rejet et les violences. Cet ancien enfant placé raconte son histoire dans son livre "Dans l'enfer des foyers". Nous l'avions interviewé à la sortie de son ouvrage en 2019. Le constat de son enfance sonne encore terriblement vrai aujourd'hui, à l'heure où un reportage de Zone Interdite remet à nouveau en lumière les dysfonctionnements de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE).

Un rescapé de "l'enfer des foyers" témoigne : "La violence des adultes censés nous protéger et qui nous frappent..."
© Lyes Louffok

Interview réalisée en 2019, remise à jour une première fois le 15 novembre 2021 à l'occasion de la diffusion par France 2 du téléfilm, et à nouveau le dimanche 16 octobre 2022 à l'occasion de l'émission "Zone interdite" sur les dysfonctionnements de l'aide sociale à l'Enfance (ASE).

Lyès Louffok raconte son histoire "Dans l'enfer des foyers"

Dans son livre "Dans l'enfer des foyers", Lyès Louffok témoigne de son enfance. Placé en pouponnière à sa naissance en raison des problèmes psychiatriques de sa mère, son père biologique ayant fui ses responsabilités durant la grossesse, Lyes Louffok se retrouve confié à Emilie, sa première famille d'accueil qui lui donne tant d'amour. Mais lorsque celle-ci annonce aux services sociaux qu'elle souhaite déménager dans le sud pour raisons professionnelles, l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) refuse que Lyes s'éloigne de sa mère biologique. Et c'est là que les problèmes commencent. Celle qu'il appelle la "grosse dame blonde" le maltraite pendant deux ans, de 4 à 6 ans. "J'ai oublié les bisous. J'apprends les coups. La méchante me frappe dès que je pleure ou hurle. Elle ne me nourrit pas trois fois par jour comme elle le devrait, comme elle est payée pour. Elle me fait dormir sur une planche en polystyrène, sans oreiller, sans doudou, sans rien", témoigne-t-il dans son livre tristement touchant et révoltant, "Dans l'enfer des foyers", aux éditions J'ai Lu. Lyes est ensuite balloté de familles d'accueil en foyers, sans jamais être informé de son départ. Il est alors placé chez Daniel, le fermier (qui a pris le temps d'égorger le mouton qu'il a vu naître et nourri au biberon avant son départ), puis dans des foyers de rupture et d'urgence dans lesquels règnent entre les jeunes la violence, le viol et la loi du plus fort… "Au total, j'ai changé huit fois de lieu d'accueil", nous confie-t-il. Aujourd'hui travailleur social et membre du Conseil National de la Protection de l'Enfance (CNPE), Lyes Louffok est le porte voix de tous les enfants placés qu'il défend avec ferveur.

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué pendant votre parcours ?

Ce qui a été le plus terrible pour moi, c'est le foyer ! Cette opacité absolue où tout est fermé et surtout la violence des adultes censés nous protéger et qui nous frappent, mais aussi ces enfants extrêmement "cabossés" qu'on fait vivre ensemble sans se soucier des conséquences que cela peut avoir. Ce qui est difficile aussi, c'est de voir que toutes les personnes externes au foyer (professeurs, médecins…) considérant que nous étions des enfants placés, donc protégés, ne se souciaient pas vraiment de ce que l'on vivait au quotidien dans cette structure. Ça m'a vraiment chamboulé. Je me souviendrai toujours d'un prof de français, lors de ma première rentrée au collège en 6e, qui m'a demandé " Et toi Lyes, qu'est ce que tu as fait pour être à La Tournelle ?". On devient alors coupable d'être placé, et presque coupable de ce que l'on peut nous faire subir ! 

Quelles sont les conséquences sur le long terme ?

"L'accompagnement en matière de santé est une catastrophe !".

Une fois adulte, il faut tout déconstruire… C'est très compliqué de s'attacher. Lorsqu'on a méprisé les adultes durant toute son enfance, on a du mal ensuite à faire confiance aux autres. Il y a donc des conséquences à la fois sur le plan professionnel, sentimental et amical. On se construit différemment des autres. Il faut se demander comment ce que l'on a vécu ne doit pas se reproduire pour les autres. Par ailleurs, l'accompagnement en matière de santé est une catastrophe. Il n'y en a pas pour les mineurs ou les jeunes majeurs dont certains devraient systématiquement être suivis et pris en charge en victimologie. D'autant que les problématiques de santé, si elles ne sont pas traitées durant l'enfance perdurent à l'âge adulte. Enfin, les jeunes majeurs sont livrés à eux-mêmes à 18 ans. La transition est brutale : l'enfant se retrouve du jour au lendemain à la rue. Il faut savoir qu'un SDF sur quatre est un ancien enfant placé, c'est dramatique ! A la maison d'arrêt de Toulon par exemple, 80% des jeunes de 18 à 24 ans étant incarcérés ont eu un parcours à l'ASE. Il faut donc être cohérent et se dire que c'est justement entre 18 et 25 ans que le gouvernement doit investir. Pendant 18 ans, à raison de 139 euros par jour en moyenne, j'ai coûté près d'un million d'euros à la société. Si c'est pour finir à la rue, c'est un beau gâchis !

La protection de l'enfance, en quelques chiffres : 

- Plus de 300 000 enfants placés en France, 53% ont entre 11 et 18 ans.

- Les filles ont 13 fois plus de risque que les autres d'avoir un enfant à 17 ans

- Les enfants placés ont 5 fois moins de chance de passer un bac général

- Un SDF sur 4 est un ancien enfant placé

- 10 milliards d'euros par an sont pourtant consacrés à la protection de l'enfance. 

"Il faudrait s'ouvrir à d'autres modes de parentalité, comme l'adoption simple ou la famille"

Il y a de nombreuses failles au sein de l'Aide Sociale à l'Enfance. J'ai vu des familles d'accueil qui ont alerté plusieurs fois les services sociaux parce qu'on ne s'entendait pas, mais ces derniers ont tout de même insisté pour que j'y reste. Quant à ma mère qui est malade psychiatrique, sous tutelle et reconnue en incapacité d'être responsable d'elle-même, elle a quand-même conservé l'autorité parentale sur un enfant. Comment définit-on alors le statut juridique d'un enfant et comment le faire évoluer pour qu'il soit le plus protecteur possible ? Je trouve dommage de ne pas s'ouvrir à d'autres modes de parentalité comme l'adoption simple, ou les autres membres de la famille, de façon à multiplier les chances pour les enfants de trouver leur bonheur chez des gens aimants. Aujourd'hui, les femmes et hommes célibataires sans enfants, ainsi que les couples homosexuels ne sont pas familles d'accueil. On pourrait aussi laisser les familles d'accueil choisir les enfants quand elles les connaissent et sont prêtes à les aimer (comme l'a proposé Agathe, la sœur d'Emilie, ndlr).

ASE : que faudrait-il changer selon vous ?

Comme le préconisait Laurence Rossignol dans son plan de lutte contre les violences faites aux enfants en 2016, il faudrait un médecin référent dans tous les hôpitaux de France afin de repérer les cas de maltraitance des enfants. Ces médecins référents seraient chargés de coordonner l'action des professionnels de santé, de les sensibiliser et d'être la personne ressource. De plus, le repérage de la maltraitance est mauvais en France. Il y a un véritable manque de contrôle dans les foyers et les familles d'accueil. Le problème, c'est que cette politique décentralisée fait que le gouvernement n'a pas son mot à dire sur ce sujet car il s'agit d'une compétence départementale, et les départements pointent du doigt le manque de moyens, et donc l'impossibilité de créer des cellules de contrôle. En outre, le recrutement des familles d'accueil est parfois fait "à la va vite" et certains passent entre les mailles du filet. Ce qui est primordial aujourd'hui, c'est de revoir le référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes, ainsi que le référentiel d'agrément des familles d'accueil. Par ailleurs, il faudrait aussi séparer les enfants par tranches d'âge afin d'éviter des rapports de force et des situations de maltraitance importantes. Idéalement, il faudrait même séparer les garçons des filles pour éviter que ces dernières deviennent des victimes sexuelles.

Quelles institutions recommandez-vous ?

Aucune ne correspond vraiment à mes attentes. On doit penser à taille humaine, dans des petites maisons, avec des familles d'accueil. Un peu comme SOS villages d'Enfants ou encore la Fondation Action Enfance, dont le directeur, Marc Chabant fait du bon boulot. Il permet aux frères et sœurs de grandir ensemble et favorise aussi la démarche participative des enfants, sans avoir peur de se confronter à ce que les jeunes peuvent dire sur le fonctionnement, et c'est intéressant. *Propos recueillis en juillet 2018.