"Mes deux filles ont suivi l'instruction en famille"

Bernadette Nozarian, est maman de deux adolescentes qui ont pratiqué l'école à la maison. Retour sur son expérience.

"Mes deux filles ont suivi l'instruction en famille"
© DURIS Guillaume - Fotolia.com

Comment en vient-on à choisir l'éducation à la maison ?

Bernadette Nozarian : "J'avais lu un article là-dessus dans un numéro de Cosmopolitan, en Hongrie, dans les années 80. Il présentait de manière objective les avis des parents et celui d'un inspecteur. Je me suis dit "Si un jour j'ai des enfants, pourquoi pas ?". Puis cela s'est inscrit dans une logique de vie : l'accouchement à la maison, l'allaitement, le co-dodo... Cela vient naturellement. Lorsque ma fille a eu 2 ans, je me suis dit que c'était trop tôt pour la mettre à l'école, alors je l'ai gardé à la maison. Je suis d'origine américaine et là-bas, on ne met pas les enfants si tôt à l'école.
Plus tard, je suis intervenue au CP pour animer des ateliers d'écritures et j'y ai emmené ma petite fille. Elle a voulu que je l'inscrive. Je l'ai mise à l'école 8 jours et ça a été terrible. Je sais que ça s'est très mal passé et elle n'a plus voulu y retourner."

Est-ce à la portée de tous ?


Bernadette Nozarian : "Je pense qu'il faut d'abord une certaine réflexion personnelle sur le sens que l'on veut donner à sa vie, les choix que l'on veut faire. Il faut aussi s'en sentir moralement capable, se dire que l'on n'a pas besoin d'être bonne en tout, que l'on peut chercher, découvrir avec l'enfant (c'est d'ailleurs la trame du Maître Ignorant, de Jacques Rancière). Du côté des enfants, je pense que cela dépend de comment est l'enfant : autonome, indépendant.... Et cela change s'il est non-scolarisé ou descolarisé, la démarche, pour lui, n'est pas la même. Dans le premier cas, il a naturellement acquis des mécanismes de confiance en lui, d'acquisition spontanée des savoirs et sa curiosité n'a pas été entravée, dans le second cas, il y a du pain sur la planche..."

Comment se passait une journée d'école à la maison chez vous ?

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Le cahier d'exercices de l'une des filles de Bernadette. © Bernadette Nozarian

Bernadette Nozarian : "Les filles se levaient à l'heure qu'elles souhaitaient. J'établissais des petits plannings sympas pour la semaine. J'avais imposé une base : français, mathématiques, histoire-géographie. Je me servais des passions de mes filles pour l'enseignement de ces matières. L'aînée étudiait beaucoup la musique, notamment avec l'aide d'un luthier. Je me basais sur les livres, je les emmenais au musée... Souvent, mes enfants allaient dans d'autres familles qui pratiquaient l'instruction à domicile. C'était une bonne manière de les sociabiliser et cela les aidait aussi pour certaines matières qui n'étaient pas mon point fort (les mathématiques notamment !)"

Quels sont les inconvénients de l'instruction en famille ?


Bernadette Nozarian : "Cela peut être l'isolement si l'on ne fait pas partie d'une association ou d'un réseau. Et surtout, concilier vie professionnelle, vie de famille, vie personnelle... car beaucoup de mamans de non-scolarisés sont des mamans solos."

Pour les enfants, n'est-ce pas trop dur de se sentir exclu d'un système ?

 


Bernadette Nozarian : "Tant qu'ils ne connaissent pas l'autre système, pas vraiment. Mais il est important de voir d'autres familles qui vivent la même chose pour que les enfants se retrouvent, s'identifient et partagent des choses ensemble. Mais au final, se pose-t-on la question inverse ? N'est-ce pas trop dur de priver tant d'enfants de la possibilité de vivre une véritable enfance, ouverte sur toute sorte de gens, pas simplement ceux de son âge et de son quartier, et non de vivre une vie comme celle des adultes ? De se lever lorsqu'on a encore sommeil ? N'est-ce pas trop dur de ne pas apprendre selon son rythme et ses centres d'intérêts ?"


Quelles sont les règles fixées par la loi ?


Bernadette Nozarian : "Pour le programme, les enfants doivent avoir acquis le socle commun de compétence à 16 ans. Il y a un contrôle pédagogique tous les ans effectués par un inspecteur qui est censé évaluer les enfants sur ce qu'ils ont appris et non sur le programme scolaire. Il y a aussi un contrôle social tous les 2 ans, qui a pour but de vérifier que les conditions dans lesquelles étudient les enfants sont salubres et que la personne qui enseigne est saine d'esprit. Peu d'inspecteurs respectent vraiment les contrôles : ils cherchent à intimider les familles."

N'est-ce pas difficile de réintégrer ensuite un cursus scolaire ?


Bernadette Nozarian : "Non, je ne crois pas. Je connais plusieurs jeunes non-scolarisés qui sont ensuite allés à l'université ou ont appris un métier. Cela s'est fait naturellement. Cela dépend du projet professionnel du jeune. En règle générale, ce que l'on peut dire, c'est que ces jeunes ont justement un projet précis, ils savent ce qu'ils veulent, ils ont appris depuis longtemps à penser par eux-mêmes et à être acteurs de leur vie, pas des marionnettes."

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