Jean-Pierre Améris : "Sortir de la honte, c'est le plus important"

Habitué au cinéma, Jean-Pierre Améris signe la fiction "Illettré", diffusée sur France 3 mardi 18 septembre à 21h. Ce film avec Kevin Azaïs, Annie Cordy et Sabrina Ouazani se penche sur un tabou qui doit à tout prix être aboli, par la communication et l'écoute, comme nous l'explique le réalisateur.

Jean-Pierre Améris : "Sortir de la honte, c'est le plus important"
© France 3

Le Journal des Femmes : Pourquoi avez-vous choisi d'aborder de thème de l'illettrisme ?
Jean-Pierre Améris : C'est un sujet invisible, un peu tabou en France, alors que 2 millions et demi de personnes sont concernées. On confond illettrisme et analphabétisme. Les illettrés sont allés à l'école, mais n'ont pas assimilé les connaissances, tandis que les analphabètes ne sont jamais allés à l'école. C'est non seulement un vrai sujet de société, mais ça correspond à mon envie de faire des films sur des gens en situation de handicap, ou renfermés, qui essayent de communiquer. C'est vraiment ce qui ce passe pour les illettrés. C'est un handicap dans la vie professionnelle, sociale et amoureuse. J'aime filmer des gens qui renaissent. Il faut réussir à sortir de la honte, qui est la même que celle des femmes battues ou des victimes de violences sexuelles. "Que vont penser les autres ? Je suis nul…" On a tous des handicaps, des faiblesses, des complexes et je trouve qu'il n'y a rien de plus beau que d'arriver à dire "je ne sais pas et je veux apprendre".

Dans le cas de Léo dans Illettré, cette honte l’entraîne jusqu'à la violence, ça prend des proportions…
Hervé Fernandez, directeur de l'agence nationale de lutte contre l'illettrisme, confirme que la violence est à chaque fois assez présente. Il n'y a rien de plus frustrant que de ne pas avoir les mots. Les illettrés, ont 500 mots à peu près à leur disposition et il n'y a rien de plus terrible. Ils n'ont pas la possibilité de dire les choses, de dire toutes la vérité et ça crée des frustrations et ça amène à la violence. L'autre violence, c'est qu'ils vivent dans la peur qu'on découvre leur secret. Si ça arrive, ils sont capables de partir d'un coup, d'envoyer tout valser, de quitter leur travail. C'est important de savoir que ça n'a rien à voir avec l'intelligence. Souvent, les illettrés développent une énergie incroyable à imaginer des stratégies pour que ça ne se sache pas.

Avez-vous rencontré des illettrés pour préparer le film ?
L'été qui a précédé le tournage, j'ai passé beaucoup de temps à l'ACPM, un centre de formation et d'apprentissage de l'écriture et de la lecture à Marseille. Toutes les scènes de formations sont inspirées de ce que j'ai vu. Les illettrés sont souvent traumatisés par l'école, ils ont peur qu'on leur redise ce qu'on leur disait lorsqu'ils étaient enfants. Pour qu'ils ne se sentent pas dévalorisés, les formatrices mettent en place des séances plus ludiques afin de leur redonner confiance. Il y a une dame, Aquila, qui apprend à 60 ans et qui a voulu être dans le film pour faire passer ce message qu'il n'y a pas de honte. C'est encourageant et c'est pour ça que je voulais faire ce film pour la télévision. J'espère pouvoir toucher des gens concernés par le sujet.

Pourquoi avoir choisi Sabrina Ouazani, Kévin Azaïs et Annie Cordy ?
J'ai toujours eu envie de tourner avec Annie Cordy. Sa propre mère était illettrée, donc c'était très émouvant. Kévin Azaïs, qu'on a découvert dans Les Combattants et dans Le sens de la fête, est un merveilleux acteur d'instinct. Je le trouve absolu, il m'a donné des frissons quand je filmais. Il est toujours dans la vérité, il a  ça en lui. Ce mélange de douceur et de violence, de colère. Souvent, les illettrés disent que c'est injuste, mais en même temps ils font tout pour que ça ne se sache pas. Ça rend fou. Face à Kevin, je voulais une actrice très solaire, pleine d'énergie et je vois ça en Sabrina Ouazani. Ce don d'elle-même qui m'évoque un peu Sandrine Bonnaire et qui donne le tournis, à l'image de son personnage plein de bonnes intentions. Elle fait des erreurs qu'on fait tous, même avec les enfants parfois. Et puis ils forment un beau couple de cinéma.

Illettré est un livre de Cécile Ladjali. Au cours de votre carrière, vous avez adapté des œuvres littéraires comme l'Homme qui rit ou Je m'appelle Elisabeth. Pour vous c'est une grande source d'inspiration ?
Les livres sont des détonateurs. Je voulais faire un film sur l'illettrisme, mais je ne trouvais pas l'histoire adéquate. Le déclic est venu quand j'ai découvert ce roman de Cécile Ladjali. Même si l'adaptation est assez libre, c'est son texte qui nous a donné la structure narrative, le récit : le garçon avec sa grand-mère, l'histoire d'amour avec l'infirmière… La moitié de mes films sont des adaptations. L'autre des scénarios originaux. Souvent, quand vous lisez un livre, vous vous dites "ça parle de moi, c'est une évidence, je veux le faire".

Illéttré, mardi 18 septembre à 21h sur France 3.