Ni Juge Ni Soumise, Anne Gruwez raconte: "L'amour comme épée, l'humour comme bouclier"

C'est dans la même veine que leur cultissime série télé documentaire "Strip Tease", que les Belges Jean Libon et Yves Hinant ont réalisé le long-métrage "Ni Juge Ni Soumise", disponible en DVD. Pendant 3 ans, leur équipe a suivi la juge d'instruction Anne Gruwez dans ses investigations et ses auditions. Nous avons rencontré cette femme de caractère et haute en couleur. Une interview détonante !

Ni Juge Ni Soumise, Anne Gruwez raconte: "L'amour comme épée, l'humour comme bouclier"
© Sony Pictures

Anne Gruwez n'a pas froid aux yeux. Dans Ni Juge Ni Soumise, cette juge d'instruction bruxelloise n'hésite pas à blaguer lors de l'exhumation de cadavre ou à remettre à sa place un criminel. En interview, c'est la même chose. Elle fait dans l'humour noir, comme lorsqu'on lui demande si elle envisage de poursuivre en tant qu'actrice : "Il est urgent qu'on me contacte. Bientôt je ne serai plus là !".
Cette magistrate, embijoutée et coquette jusqu'au bout des oreilles – elle est grande fan de strass et créoles – nous a parlé de son métier, sans se départir de son ironie caractéristique. De quoi faire le point sur une profession aussi méconnue que difficile. 

Pouvez-vous nous résumer en quoi consiste le métier de juge d'instruction ?
On trouve plusieurs catégories de juges : les juges aux affaires civiles, les juges aux affaires pénales, les juges aux affaires familiales, les juges aux enfants. Le juge d'instruction est une catégorie à part. Être juge d'instruction en Belgique n'est pas la même chose qu'en France.  Chez nous, il cumule les pouvoirs de l'enquêteur mais aussi ceux du juge des libertés et de la détention. Il autorise les actes les plus lourds comme les perquisitions, les écoutes téléphoniques et il peut aussi décider de placer sous mandat d'arrêt quelqu'un. Le juge d'instruction mène l'enquête lui-même ou par délégation tout en étant le garant de l'honnêteté des preuves recueillies. Il a la faculté de décider si quelqu'un doit être placé en détention. Il ne faut jamais abandonner, toujours douter de ce qu'on a fait et être curieux de questions dont on ne connaît pas la réponse. 

A quoi ressemble le quotidien d'un juge d'instruction ? 
Il n'y a pas de journée type. On ne sait jamais ce qui va arriver. Il existe une journée de service : tous ceux qui se sont fait prendre dans les dernières 48 heures arrivent devant le juge qui décide s'il va les placer sous mandat d'arrêt. Les autres jours, on poursuit les enquêtes qu'on a eues pendant les journées de service. Il impartit au juge d'instruction de faire la vérité. Le client idéal est celui qui vous dit : "Madame vous avez tort de me libérer, parce que je vous dis moi qu'à 12h55 je vais récidiver ". Là il n'y pas de problème, mais généralement il ne le dit pas. Les gens sont malhonnêtes (rires). 

Quel est votre parcours avant d'exercer ce métier ? 
J'ai fait le barreau, où j'ai fait du droit civil puis j'ai été conseiller de ministre. Ensuite, j'ai fait du droit administratif et constitutionnel. Je suis entrée dans la magistrature où j'ai fait du droit des saisies. J'étais donc très loin du pénal. Un jour, le président du tribunal de première instance de Bruxelles m'a demandé d'aller à la jeunesse. J'ai dit que si j'y allais, je foutrais le bordel (rires). Le président a eu peur, donc il m'a envoyé à l'instruction. Moi je n'y connaissais rien, j'ai lu un peu de droit pénal la veille. C'était horrible. 

Quelle est votre spécialité ?
Parmi les juges d'instruction, on a ceux spécialisés dans les délits à col blanc ou dans les délits terroristes. Les autres, comme moi, font le reste : cela peut aller du simple vol à l'étalage au meurtre le plus crapuleux. Nous voyons toute la misère humaine, même si je ne me permettrais pas de qualifier de misérable le type de vie choisi librement par quelqu'un. 

Comment parvenez-vous à supporter toutes ces scènes d'horreur?
C'est une question de vie ou de mort. Il n'y a pas de "stress team" pour les juges d'instruction. Si je vois un cadavre épouvantable, je ne disposerai de l'aide d'aucun psy. On rentre donc chez soi le soir avec une boule dans la gorge, puis on dort et le lendemain ça va mieux.  L'humour est un excellent moyen pour se détacher. Il existe une citation qui dit : "L'amour comme épée, l'humour comme bouclier". Et c'est vrai. J'utilise aussi un franc parler. C'est le meilleur moyen pour se faire comprendre des gens et les choses qui se comprennent bien s'acceptent plus facilement. On ne peut pas se défendre lorsqu'on ne comprend pas la question. 

Comment doit-on se comporter face aux clients et aux avocats ? 
J'essaie toujours d'être dans le respect, la politesse et la civilité. Il ne faut pas enfoncer le client, ni le mépriser. Il ne faut jamais le tutoyer et jamais hausser le ton. On peut crier sur quelqu'un seulement quand on sait qu'on va le libérer. Le fait de crier peut induire chez l'autre la peur de recommencer. Le but n'est pas d'envoyer en prison mais d'arrêter le délit. Il faut savoir prendre sur soi. Si l'autre commence à déconner et à avoir des mouvements incohérents, il faut pouvoir le calmer. Il m'est déjà arrivé qu'un client essaie de m'agresser. Dans ces moments-là, je lui crie dessus pour faire redescendre la pression. 

© Sony Pictures

Pourquoi avoir voulu faire le documentaire ? 
Ce n'est pas moi qui ai voulu, ce sont les réalisateurs qui me l'ont demandé. Cela s'est fait de manière forcée. Je n'avais pas de message à faire passer par ce film, sauf peut-être celui-ci : "Jamais de mépris, toujours du respect". Mais après, chacun y trouve ce qu'il veut. 

Vous avez eu une mention spéciale au Festival du Film de San Sebastian. Envisagez-vous de poursuivre une carrière d'actrice ? 
Il est urgent qu'on me contacte. Bientôt je ne serai plus là. C'est un appel ! 

Ni Juge Ni Soumise, de Jean Libon et Yves Hinant, en DVD le 5 septembre.