Yael Naim : "C'est comme s'il y avait l'urgence de mieux profiter du temps que l'on a"

INTERVIEW - Yael Naim se produit le 21 juillet sur la scène du Fnac Live 2016 sur le parvis de l'Hôtel de Ville. Avec son compagnon de carrière, mais également de vie David Donatien, ils viennent rencontrer le chaleureux public de ce festival de musique pour célébrer les vingt ans du label Tôt ou tard, qui les produit depuis presque dix ans. Entrevue.

Yael Naim : "C'est comme s'il y avait l'urgence de mieux profiter du temps que l'on a"
© Isabelle Chapuis

Ils se rencontrent en 2004. Au-delà du coup de foudre artistique, Yael Naim et David Donatien tombent amoureux. La complicité et la complémentarité du duo se font ressentir dans les trois derniers albums de la chanteuse : Yael Naim, She Was a Boy et Older. Par leur passion commune et viscérale de la musique, ils emportent le public au gré de leurs envies, de leur ressenti et de leurs mélodies dans leurs univers. Le talent de l'artiste franco-israélienne reflète également le travail de son conjoint, sa moitié, son tout. Une alchimie couronnée de trois Victoires de la Musique, un disque d'or et un Globe de Cristal.  Rencontre.

Le Journal des Femmes : C'est votre première fois au Fnac Live pour l'anniversaire des 20 ans de votre label Tôt ou tard, que ressentez-vous ?
Yael
: Il y a un côté émouvant de fêter les 20 ans du label Tôt ou tard. Ça fait presque dix ans que David et moi travaillons avec eux. C'est agréable. Surtout avec un album comme Older qui regarde le passé avec la sensation d'avoir avancé, vécu des choses. C'est agréable d'avoir grandi ensemble et de vivre tout ça ensemble ici à Paris.

Comment la musique est entrée dans votre vie ?
David
: Elle était déjà là quand je suis arrivé. Mes oncles étaient percussionniste et producteur et mon père était juste mélomane, mais un jour il a acheté une paire de congas. C'est arrivé dans ma chambre sans frapper et donc depuis tout petit, je fais de la musique.
Yael : Mon père aimait bien jouer de la guitare. Il faisait de la musique quand il rentrait du travail. Vers 9 ans, je connaissais 2-3 mélodies, mais ça m'ennuyait de ne pas pouvoir évoluer. Mes parents m'ont inscrite dans un cours de piano, ils ont mis toutes leurs économies pour m'acheter un piano qui était dans ma chambre. J'ai démarré avec le classique, j'en étais amoureuse.

Yael Naim et David Donatien © SADAKA EDMOND/SIPA

Comment est né l'album Older ?
David
: Il est né à un moment un peu spécial. D'habitude, Yael s'enfermait pour créer ses compositions de manière intimiste. Nous nous sommes installés dans une maison où tout était un peu en chantier, mais où il y avait un orgue farfisa. Nous nous sommes mis à jouer tous les deux. De là sont sortis quatre morceaux qui représentent la première pierre de l'album. Il y avait quelques morceaux qui existaient avant, mais j'ai l'impression que ce moment là était le vrai point de départ de cette nouvelle époque qui s'est ouverte à nous et qui a créé cet album.    
Yael : Il y a eu l'aspect musical, mais aussi émotionnel dans la création de l'album. Il est né dans un contexte de maturité et dans le fait que chacun de nous avait grandi. J'ai commencé à perdre des gens proches. Je suis devenue maman pour la première fois. Ce sont des gros basculements de vie qui ont amené des moments d'émotion très forts dans le disque. De panique parfois, comme dans les morceaux Trapped ou Coward. Mais des explosions de joie aussi comme dans Make a Child ou I Walk Until. C'est comme s'il y avait l'urgence de mieux profiter du temps que l'on a avant que tout se termine.

Vous soutenez l'association Solidarité Sida, vous avez chanté pour Amnesty International et vous avez rendu hommage aux victimes des attentats de novembre à Paris, vous considérez-vous comme des artistes engagés ?  
Yael
: Humainement, oui.   
David : Pour l'instant, nous sommes plus concernés qu'engagés. Il y a des gens qui le sont vraiment, c'est difficile à côté de ce qu'ils font de se dire "engagés". Quand on nous appelle pour des causes, on essaie d'être là. C'est le minimum que l'on puisse faire. Mais on est très touché par tout ce qu'il se passe et on aimerait s'investir de plus en plus.

Il y a plus de collaborations dans votre dernier album, Older, que dans les précédents. Est-ce une envie de renouveau et de changement ?
David
: Ça faisait longtemps que nous voulions le faire. Notre histoire s'est faite d'une manière où l'on s'est retrouvé tous les deux à travailler sans personne dans un petit appartement pendant deux ans et dès que c'est sorti, on est parti sur la tournée et sur l'album d'après. Il y a eu une sorte de course qui a fait que l'on n'a pas vraiment eu le temps de collaborer avec des gens. Cette fois, on a réussi. Older est sorti et on l'a retravaillé une nouvelle fois, ce qui nous a permis de sortir une autre version avec toutes ces collaborations. On ressentait le besoin d'échanger puisque l'on fait pratiquement tout tous les deux. Au bout d'un moment, on a envie de s'ouvrir aux autres et nous-mêmes de participer à d'autres choses. On a envie de profiter du présent, ça en fait partie aussi.

Vos chansons sont en anglais ou en hébreu, allez-vous chanter en français ?
Yael
: J'aimerais bien que ça vienne, mais j'ai fait mes études en Israël donc c'est en anglais et en hébreu. J'écris et je lis ces langues, même si je suis née à Paris. Je pourrais écrire des morceaux en français, mais comme je ne maîtrise pas à 100% la langue et de ne pas avoir baigné là-dedans, je n'ai pas le réflexe d'écrire en français. Et mon écriture n'est pas provoquée ou décidée, je ne me dis pas "il faut absolument que je m'exprime sur ce thème". C'est plus un besoin d'évacuer quelque chose, ça sort quand ça sort. Dans cette manière de travailler pour l'instant, je n'ai pas vraiment pu écrire en français, ce n'est pas encore un réflexe, mais j'aimerais vraiment avoir le déclic.

Vous êtes devenus les parents d'une petite fille en 2015. Est-ce que cet événement a modifié votre manière de composer et d'exprimer votre musique ?
David
: J'ai beau être papa depuis des années, ça fait quand même quelque chose. C'est une révolution dans notre histoire.
Yael : Ça m'a bouleversée. J'étais moi-même une femme-enfant. Je ne savais pas ce que ça allait donner d'essayer d'être responsable. Je crois que je n'avais pas envie d'une manière générale [rires]. Quand on est artiste, il y a aussi un attachement à une forme de liberté. J'ai eu un peu peur, mais une fois de l'autre côté, c'est une autre planète qui s'ouvre. J'étais contente de découvrir que malgré mes craintes, tout était naturel. L'amour que l'on ressent dépasse toutes les difficultés qui peuvent paraître énormes avant. Ça m'a donné envie d'avancer de manière plus franche. Je me suis dit que j'avais moins de temps à perdre avec des choses futiles, pas sincères. Les choix sont plus clairs dans notre tête.   

Est-ce que l'on peut dire que votre fille fait partie de cet album ?
David
: Oui, forcément. Toute notre musique est à l'image de notre vie. Le dernier album s'appelle Older parce que c'est aussi le fruit de notre vie en commun, de notre évolution et de notre expérience au sens large. Notre fille a été une grande étape, c'est un point essentiel de l'album.

Où puisez-vous l'inspiration ?
Yael
: On baigne dans la musique depuis notre enfance. C'est devenu comme un besoin de santé, d'expression très naturel. Je pense que si un jour, je m'arrête de composer et de faire de la musique, il y aura un manque énorme. Il y a des hormones de bonheur qui se dégagent. Ça fait partie de notre vie, mais c'est aussi une forme de méditation.
David : Je rejoins Yael. On a commencé enfant, c'est un mode d'expression qui fait partie de l'essence de notre existence. C'est de là que vient l'inspiration. Tout ce que l'on vit se transforme à un moment ou à un autre en musique. Ce n'est même pas conscient. Même quand il n'y a pas d'albums à faire, on fait de la musique.

La musique pour vous est-elle une échappatoire ?
David
: Ça peut aider un peu, mais j'ai l'impression qu'on a tous la même part de choses à faire. En tant qu'artiste, ce que l'on fait et ce que l'on dit est amplifié, mais on a tous quelque chose à changer. Si les gens peuvent trouver dans notre musique une forme de paix, cela nous rend heureux. Je pense que la musique n'a pas le pouvoir de changer les choses, mais elle a le devoir de le faire.
Yael : Quand j'étais enfant, je pense que la musique a envoyé des messages inconscients. J'ai vécu en Israël. Ce pays est un joyeux bazar. Tu entends toutes les opinions de toutes les directions. Je sais que nous sommes un peuple dont l'histoire est beaucoup bercée par la peur, la persécution. Grâce à la musique, j'ai découvert plein de cultures, de couleurs, de religions. Plus petite, j'ai vécu des contradictions entre certains des messages de peur de l'autre et le fait que dans la musique, tu rencontres des gens incroyables qui viennent de partout et tu développes une curiosité de voyager et d'aller vers l'autre. La musique a annulé la peur de l'autre que j'aurai pu avoir en grandissant.

Vous avez beaucoup de talent et votre public vous le rend bien. Que voudriez-vous lui dire ?
David
: Merci avant tout. Si on faisait ça et qu'il n'y avait pas le public, on n'aurait pas la même joie. On est très reconnaissant du fait qu'il y a des gens qui sont toujours là. On tient surtout à rester sincère, on ne veut pas se plier à certains médias. Le public qui nous suit est notre force. Il nous permet de garder notre indépendance artistique. On a envie de leur montrer notre reconnaissance.
Yael : On a envie de plus en plus de sentir les gens au travers des réseaux sociaux. On a envie de les voir et d'échanger avec eux. On ressent le besoin d'avoir une relation plus interactive avec le public.

Découvrez le clip de Dream in my head :