Joël Dicker : "L'écriture a toujours été au centre de mes intérêts"

Après le succès planétaire de "La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert" en 2012 et son "Livre des Baltimore" en 2015, Joël Dicker revient avec "La Disparition de Stephanie Mailer". Le jeune écrivain suisse y reprend les ingrédients de sa réussite pour nous offrir une intrigue policière bien ficelée, dense et haletante. Rencontre avec un auteur dont les livres se dévorent.

Joël Dicker : "L'écriture a toujours été au centre de mes intérêts"
© Editions de Fallois

Le Journal des femmes : Comment êtes-vous venu à l'écriture ?
Joël Dicker : J'ai toujours aimé lire. Ma mère est libraire, ça aide. C'est parce que j'aimais ça que je suis venu à l'écriture. J'ai commencé tout petit avec de courtes histoires, puis elles ont grandi. J'ai même rédigé un journal sur les animaux. L'écriture a toujours été au centre de mes intérêts.

Aujourd'hui vos histoires sont des livres de plus de 600 pages : comment travaillez-vous pour fournir une telle quantité ? 
Je suis très discipliné. Je me lève tôt et j'écris toute la journée, autant que possible. Je me considère un peu comme un sportif. C'est hyper important pour suivre un fil rouge. J'ai besoin de cette exigence quotidienne.

Dans La Disparition de Stephanie Mailer, comme dans vos romans précédents, vous multipliez les flashbacks, les personnages et les points de vue : vous n'avez pas peur de vous perdre ?
Peur oui, mais il ne faut pas se perdre. C'est toute la difficulté du roman : arriver à être fluide, à garder le lecteur avec soi. Il y a une différence entre avoir peur de se perdre et être perdu. Même si je ne sais pas où je suis, où je vais, je ne suis pas égaré. C'est une nuance très importante. En tant que premier lecteur, tant que j'arrive à suivre, c'est que tout va bien. Je me relis tout le temps : au début, au milieu, à la fin, c'est incessant. Comme je n'ai pas de plan, je découvre mon livre au fur et à mesure que je l'écris.

Cela veut-il dire que vous ne saviez pas qui était l'assassin au début de la rédaction du roman ?
Non, je ne savais pas. C'est venu comme ça, c'est un peu difficile à expliquer. C'est une sensation qui se construit peu à peu. Il n'y a pas de plan, ça ne répond à rien d 'autre qu'au plaisir et à l'envie.

"J'avais envie d'inédit : personnage féminin principal plus fort"

Vous avez choisi une femme, Anna, comme un des personnages principaux. C'est une célibattante qui travaille dans un milieu plutôt masculin et qui mène l'enquête : d'où vous est venue l'idée d'un tel personnage ?
C'est important de changer, il faut évoluer. Faire toujours pareil n'apporte pas grand-chose et à moi le premier. J'avais envie d'inédit : un personnage féminin principal plus fort. 

Ce choix a-t-il un lien avec tout ce qu'il se passe en ce moment autour des femmes ?
Non, parce que le livre était déjà écrit lorsqu'ont émergé #MeToo et #Balancetonporc. On n'a rien inventé. Tout ce qu'on découvre maintenant, ce sont des choses dont on est conscients depuis un moment. Il faut que ça cesse.

A l'inverse d'Anna, d'autres personnages sont plus classiques : Alice, l'assistante vénale qui couche avec son boss ou le maire malhonnête qui touche des pots-de-vin. Pourquoi ?
Il y a des personnages plus présents. Le maire Brown ou Alice sont parmi les rares personnages secondaires - ou moins principaux, car je n'aime pas l'idée de secondaires. On ne sait pas grand-chose d'eux alors qu'on revisite le passé d'autres protagonistes comme Anna. On passe plus de temps avec eux alors on se sent forcément un peu plus proches.  

© Editions de Fallois

Vos romans se déroulent aux Etats-Unis... Pourquoi ?
Les livres pourraient se passer n'importe où. Ils sont des histoires d'êtres humains, de familles, d'hommes et de femmes qui pourraient se dérouler en France, en Suisse ou aux Etats-Unis. J'ai une facilité avec les Etats-Unis, parce que je connais très bien ce pays. Cela me permet de mettre une distance entre moi, Joël, qui écris à Genève et le moi, le "je" du livre, qui est à 6000 kilomètres de là. Ce n'est rien d'autre qu'un décor de théâtre.

N'avez-vous pas envie d'établir votre prochain roman, s'il y en a un, ailleurs ?
Il faut me laisser un peu de temps. J'ai encore beaucoup de choses à apprendre. Je dois apprivoiser cette distance entre le moi écrivain et le moi du livre. Mais j'aimerais pouvoir un jour avoir un livre qui se situe à Genève, par exemple.

Vous dites que vous avez encore beaucoup à apprendre : vous considérez-vous toujours comme un jeune écrivain, malgré votre succès ?
Je suis encore un jeune écrivain dans ma carrière, même si j'ai beaucoup de chance avec tout ce succès. C'est seulement mon quatrième roman, il y a des gens qui sont à trente, quarante livres. J'ai 32 ans et j'ai encore beaucoup à faire. Je ne dois pas brûler ces étapes-là. 

Dans La Disparition de Stephanie Mailer, un critique littéraire du nom d'Ostrovski dit qu'il ne peut pas écrire un livre, car il ne se sent pas légitime en tant qu'écrivain : qu'est ce qui fait un bon écrivain selon vous ?
Le travail. Et oser, avoir un peu de culot. Ne pas trop se poser de questions et essayer encore et encore. Se tromper, ce n'est pas grave. Mais le travail, c'est l'élément-clé.

Existe-t-il une recette magique pour entretenir le suspense ?
C'est comme lorsqu'on raconte une histoire à table, on a envie que les gens autour de la table soient attentifs. Je ne crois pas que ce soit des conceptions artificielles, ça répond à des envies, des besoins. Plus la narration est large, plus il y a de personnages, d'affaires, d'éléments et d'histoires dans l'histoire et plus c'est facile, parce qu'il y a beaucoup de choses en suspens. Les rebondissements viennent généralement à la fin de ma journée de travail, lorsque j'ai terminé et que je laisse quelque chose en accroche.

"Romain Gary m'a beaucoup inspiré"

Y a-t-il un débat de société qui vous tient particulièrement à cœur en ce moment ?
En Suisse, on vient de voter pour le maintien du service public audiovisuel, ce qui n'était pas gagné. J'ai été assez frappé, parce qu'on est dans un drôle de monde où les gens ne veulent plus vraiment payer pour la musique, les journaux ou l'accès à l'information. On ne se rend pas compte que lorsqu'on perd cela, on perd accès à notre liberté. Ça m'inquiète de voir les journaux régresser, se vendre de moins en moins. L'information indépendante de qualité, c'est essentiel.

Quel est le roman que vous auriez aimé écrire ?
Belle du Seigneur. C'est un roman qui m'a fasciné par sa richesse et par sa narration. Il est tellement dense, tellement beau. Albert Cohen est l'un de mes écrivains préférés.

Si vous deviez donner le nom d'un homme et d'une femme qui vous inspirent...
Romain Gary m'a beaucoup inspiré. Du côté des femmes, peut-être Marguerite Duras. J'ai été très frappé par son écriture, par son travail notamment dans Le Barrage Contre le Pacifique.

Qu'est-ce que les lecteurs aiment dans vos romans selon vous ?
Il faut leur demander, mais je crois que tout le monde est friand d'une bonne histoire. Les gens ont envie de s'évader de leur quotidien que ça soit par la télévision, les séries ou la littérature. Les romans ont toujours été une façon d'échapper à sa propre vie.

La Disparition de Stephanie Mailer de Joël Dicker (Editions de Fallois), en librairies le 7 mars, au prix de 23 euros.