D'Eddy Bellegueule à Edouard Louis, histoire d'un écrivain

Edouard Louis, alias Eddy Bellegueule, s'est forgé chez les "prolos" avant d'intégrer les cercles intellos. De sa plume acérée, parfois insicive, il signe un nouveau roman, "Histoire de la violence", une tranche de vie percutante, celle d'un soir de Noël où tout a dégénéré. L'occasion de découvrir qui se cache derrière cet auteur janusien, qui a déjà vécu plusieurs vies malgré son jeune âge. Portrait.

D'Eddy Bellegueule à Edouard Louis, histoire d'un écrivain
© RAPHAEL LUCAS/SIPA

Après le polémique En finir avec Eddy Bellegueule, Edouard Louis revient avec un nouveau roman autofictionnel, Histoire de la violence, bouleversant récit d'un viol survenu un soir de Noël et tout ce qu'il a engendré. Mais qui est cet auteur qui a parfaitement su transcrire toute la violence qu'il a ressentie et observée ?
Edouard, né Eddy Bellegueule avant d'en finir avec ce patronyme en 2013, grandit dans le village d'Hallencourt, en Picardie. Il passe sa jeunesse dans un milieu social défavorisé, dans un environnement quelque peu raciste et homophobe, où ses manières éfféminées "de pédé" sont rejetées non seulement par les habitants de sa bourgade, mais aussi par sa famille. Résultat ? Une quête sexuelle identitaire difficilement menée, ponctuée d'humiliations, de violence et d'injures. Une enfance qu'il dépeint, alors âgé de 21 ans, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule.

De prolo à intello

Pour s'en sortir, Eddy doit fuir : le blondinet part pour la ville en 2007 et intègre une classe de théâtre au lycée Madeleine Michelis, à Amiens. Le fils d'ouvrier trouvé son salut dans les études. Il enchaîne avec un cursus d'histoire à l'Université de Picardie, où le philosophe Didier Eribon – avec qui il s'est depuis lié d'amitié et lui a inspiré son premier livre – le remarque. Arrivé à Paris, Eddy Bellegueule change de nom et se "tue", pour renaître en tant qu'Edouard Louis. La voie royale s'ouvre à lui : il étudie à partir de 2011 la sociologie à la prestigieuse ENS de la rue d'Ulm. Durant son cursus, il dirige l'ouvrage collectif L'Insoumission en héritage publié aux éditions PUF et dédié à Pierre Bourdieu, sociologue et philosophe dont il se fait spécialiste. En mars 2014, le normalien créé "Des mots", une nouvelle collection aux Presses Universitaires de France, "consacrée principalement à la publication d'entretiens, de courts textes ou de conférences retranscrites", comme il l'écrit sur son site. Et en septembre de la même année, il entre au Centre universitaire de recherches sur l'action publique et politique (CURAPP) de l'Université de Picardie Jules Verne, où il effectue une thèse de doctorat sur "les trajectoires des transfuges de classe".
Intellectuel résolument engagé (et enragé), Edouard Louis signe à deux reprises des manifestes polémiques avec son ami, le philosophe Geoffroy de Lagasnerie ; le premier est publié en juillet 2014 dans Libération, où il appelle au boycott de l'événement "Les Rendez-vous de l'histoire" de Blois, le second en septembre 2015 dans Le Monde, un pamphlet intitulé "Intellectuels de gauche, réengagez-vous !", critiquant l'immobilisme de l'intelligentsia socialiste face à la montée de l'extrême-droite.

En finir ou ne pas en finir ?

L'an 2014 est pour Edouard Louis l'année où il rencontre le succès avec son premier roman, En finir avec Eddy Bellegueule et celle où il doit surtout faire face à une forte exposition médiatique. En effet, si elle a été saluée par la critique et est rapidement devenue un best-seller mondial traduit dans vingt langues différentes, cette œuvre a fait couler beaucoup d'encre, en raison notamment de la véracité du récit et de la virulence avec laquelle le narrateur représente ses pairs picards et ses proches des classes populaires. Il est alors accusé de "racisme de classe" et les journalistes vont jusqu'à vérifier dans son village si tout ce qu'il a écrit est vrai... Néanmoins, à la suite de la parution du livre en janvier, l'écrivain reçoit le prix Pierre Guénin contre l'homophobie et pour l'égalité des droits, lorsque le réalisateur André Techiné s'en inspire pour le scénario du film Quand on a 17 ans, dont la sortie en salles est prévue pour 2016.
Un mois à peine après avoir envoyé son tout premier manuscrit aux maisons d'édition, arrive le drame qu'il relate dans son deuxième roman autofictionnel, Histoire de la violence. Celle de ce soir de Noël, où ce Reda croisé dans la rue l'aborde, avant de monter chez lui, dans son appartement place de la République, puis... l'insulte, l'étrangle, le viole. "Dans ce livre, il n'y a pas une ligne de fiction. La structure est fictionnelle, mais tout est vrai, y compris le prénom du garçon, ses origines", a précisé l'auteur de 23 ans à Livres Hebdo. L'auteur prolonge son projet autobiographique initié dans son premier livre et raconte à nouveau une histoire "de" et "sur" la violence qu'il a subie, de manière brute et brutale, dans ce nouvel exutoire à sa souffrance. Une chose est sûre : on n'en a pas fini avec Edouard Louis.

Histoire de la violence, aux éditions du Seuil. En librairies le 7 janvier, 18 euros.

Edouard Louis © Raphael Lucas/Sipa