50 Nuances de Grey : les dessous d'un succès

Le 4e tome de la saga phénomène Fifty Shades, intitulé "Grey", est en tête des ventes cet été. Pourquoi un tel engouement pour ce titre chez les femmes ? Le Dr Catherine Solano, médecin-sexologue nous fait part de ses conclusions.

Le quatrième tome des aventures de l'ingénue Anastasia et du playboy Christian Grey, débarqué le 28 juillet en librairie aux éditions JC Lattès, sous le titre "Grey" cartonne. Nous avions interrogé le Dr Catherine Solano, médecin-sexologue, lors de la sortie du tout premier tome. L'occasion de parler des femmes et de leurs désirs...

Avez-vous lu le livre ?
Dr Catherine Solano : C'est en cours. J'en suis à la page 110, donc je ne suis pas encore arrivée aux passages sado-maso du livre. Mais je peux déjà dire que ça sonne assez faux ! Fifty Shades of Grey est vraiment de l'univers du fantasme, de l'irréel.  C'est même caricatural à un point à peine possible : le personnage principal est très beau, très riche, il sent très bon... 

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Dr Catherine Solano © Dr Catherine Solano

Un fantasme, vous dites ?

Dr Catherine Solano : Oui, par exemple, l'auteur décrit le premier rapport sexuel du personnage principal féminin, Anastasia : elle a tout de suite beaucoup de plaisir, enchaîne deux orgasmes...  Alors qu'elle était vierge avant ce rapport ! Dans la vraie vie, le taux de femmes ayant un orgasme dès la première fois est...  de 1,5 % !
Et puis il y a cette histoire de contrat, qui doit peut-être exister dans les communautés sado-maso : mais détaillé à un point où encore une fois l'on comprend qu'on est dans le domaine du fantasme, du conte : 60 pages où les amants garantissent par exemple ne souffrir d'aucune MST : qui peut s'engager à ne pas souffrir d'herpès alors que l'on peut être porteur sain par exemple ? Personne ! 

Ce livre s'est déjà vendu à plus de 40 millions d'exemplaires, donc il plaît beaucoup aux femmes. Pourquoi, à votre avis ?

Dr Catherine Solano : Une des raisons du succès de cet ouvrage, c'est le côté sado-maso. Aujourd'hui, les femmes regardent beaucoup de films pornographiques : la femme y est souvent soumise et humiliée. Or les films créent des empreintes émotionnelles qui rendent les femmes plus réceptives à ce genre d'idées, elles y trouvent donc une certaine excitation.
Ensuite, d'une manière générale, les femmes ont une imagination moins visuelle que les hommes, elles sont en demande de rapports qui durent. Ce sont souvent les préliminaires qui plaisent aux femmes : Dans Fifty Shades of Grey, il y a de très nombreuses descriptions, le personnage de Christian Grey est attentif à un point presque pathologique !
La lecture n'a pas le même effet que les images. Quand on lit, si une image ou une scène nous déplaît, on peut "zapper", c'est-à-dire ne pas vraiment se la représenter mentalement ou l'imaginer, on laisse vagabonder notre imagination sur ce qui nous intéresse, on peut choisir, ce n'est pas aussi intrusif qu'une image que l'on nous montre et que l'on subit. 

Que nous dit cet engouement des femmes d'aujourd'hui ?
Dr Catherine Solano : Le côté soumission est intéressant à deux égards : d'abord, la femme est aujourd'hui l'égale de l'homme dans les responsabilités qu'elle peut avoir, par exemple dans le domaine du travail : le sado-masochisme peut être vu comme quelque chose qui détend, qui libère de la pression de la réussite dans tous les domaines, y compris sexuel. Ensuite, quand on vous domine, on vous fait faire des choses que vous vous êtes peut-être interdites alors que vous en aviez envie : cela autorise donc les femmes à faire des choses qu'elles ne seraient pas autorisées.  

Pourquoi parle-t-on de phénomène "Mommy porn", selon vous ?

Dr Catherine Solano : C'est plutôt à destination des femmes en général. Mais il est sûr qu'après une vie de couple de 20 ans, une routine peut s'installer, ce n'est pas la même chose qu'une femme de 18 ans qui découvre les premiers rapports sexuels. Ce livre doit donc pimenter le quotidien des femmes.
Et puis, les femmes  apprécient le côté "On tourne autour du pot", ce qui est nettement le cas dans ce livre. Enfin, il y a un phénomène de buzz, de curiosité de masse qui fait que lire ce livre est à la mode. Lire de la vraie littérature érotique, cela peut être vraiment osé. Là, on est dans le conte de fées sado-maso, la rêverie, tout est très exagéré : il est plus facile de lire un livre avec une certaine distance que lorsque les scènes décrites semblent trop réelles. Il est plus facile aussi d'aller se procurer un tel ouvrage en librairie que d'avoir à fureter dans le rayon "littérature érotique". Aux Etats-Unis, les femmes le lisent dans le métro ! Peut-être que cela permettra de démocratiser ce type d'ouvrages ?

Découvrir

Le dernier ouvrage du Dr Catherine Solano : La Mécanique Sexuelle des Hommes, 2. L'érection. Ed. Robert Laffont