Perle, orpheline débauchée née sous X

Perle, née sous X, explore tous les chemins du plaisir en quête d'une identité. Un roman tout autant érotique que littéraire.

Ce petit roman (par la taille) trainait depuis quelques semaines dans la pile de gauche de mon bureau, celle des lectures en retard. Je le considérais, le soupesais, le feuilletais parfois, mais finissais par le reposer, toujours au sommet de cet équilibre improbable qui menace de choir à la moindre occasion. Pour tout dire, j’ai longuement hésité avant de le lire. Parce que je me méfie toujours des romans dits « érotiques » qui, bien souvent, ne sont qu’une succession de clichés, de déjà vu, de convenu : de furieuses fellations, de profondes pénétrations, des orgasmes dévastateurs, des hommes très bien montés et les femmes toujours offertes. Ajoutez un plombier nu sous son bleu de travail, des infirmières à gros seins, deux ou trois scènes de femmes entre elles, une partouze, une soirée sado-maso et le tour est joué… L’érotisme est un art difficile, dans la vie comme dans les livres. Un geste déplacé, un mot mal placé, et le fragile édifice s’écroule instantanément. À l’heure d’internet et de la multitude de sites pornographiques en accès direct, la littérature érotique fait figure de résistante. Là où la première donne dans la facilité, la seconde se doit d’être exigeante. Ne serait-ce que par respect vis-à-vis des auteurs qui bravèrent la censure et payèrent parfois de leur vie la transgression de l’ordre moral, respect aussi vis-à-vis de ceux qui ont donné ses lettres de noblesse à ce genre littéraire. Donc je le devinais, je le savais là. J’avais peur d’être déçu. Finalement je l’ai lu ; d’une traite. Perle, qui donne son nom au roman, est jeune orpheline, née sous X, en quête d’identité. Son identité. Elle explore alors tous les chemins du plaisir et se lance très tôt dans une vie de débauche, expérimente tout ce qui peut l’être sans jamais éprouver le moindre émoi amoureux. Elle a tout lu, l’enfer littéraire fut son paradis, tout vu, tout vécu. Jusqu’au jour où, lassée par « toute cette ripaille de chair à point trop goulûment ingurgitée, sans réelle fantaisie », elle prend conscience que son imagination et ses sens « aspiraient à la subtilité ». Elle largue tout, son travail, ses amants, ses perversions et son quotidien sans joie excessive pour s’installer en province, près de la mer, dans la Brière. Sa ferme résolution de rester abstinente durera ce que durent les roses. « Le sevrage fut brutal et douloureux, la nature exècre le vide. » Les autochtones profiteront donc des largesses sexuelles de notre héroïne qui sait être très généreuse. Jusqu’à ce qu’elle rencontre Alanik, un homme du cru, proche de la terre, un taiseux, avec lequel elle finira par trouver la sérénité et l'amour. Anne Bert a pris le risque de la littérature. Car même les mots les plus crus savent rester pudiques ; le récit est envoutant parce que porté par une langue fluide, imagée, efficace. Et, plus qu’un roman érotique, elle a composé une pastorale, un roman au sens le plus noble du terme. Ce n’est pas la chair et son utilisation qui rendent un texte à la fois littéraire et érotique, mais la pensée, l’esprit, le style, la personnalité de l’auteur, le but poursuivi, les messages subliminaux qui jaillissent entre les lignes. On le sait bien, la beauté n’est pas dans l’objet, mais dans le regard. Et celui d’Anne Bert sait particulièrement bien en dessiner les contours. PERLE, Anne Bert, Hors collection, coll. « L’instant érotique », 200 pages, 14,50 €