On a causé amour sur une causeuse avec Cécile de France et Edouard Baer

Cécile de France et Edouard Baer se donnent la réplique (et en français classique, s'il vous plaît) dans "Mademoiselle de Joncquières", remarquable film d'époque sur fond de vengeance, à découvrir en salles le 12 septembre. Confidences croisées.

On a causé amour sur une causeuse avec Cécile de France et Edouard Baer
© Pyramide Distribution

On ne badine pas avec l'amour, à en croire Alfred de Musset. Et ce n'est pas Madame de la Pommeraye, héroïne du film Mademoiselle de Joncquières, qui dira le contraire. Pour son premier long-métrage d'époque, Emmanuel Mouret a choisi Cécile de France et sa fraîcheur pour incarner cette dernière. Le pitch ? Après l'avoir séduite, le marquis des Arcis, libertin reconnu, (personnage qui bénéficie de l'éloquence d'Edouard Baer) se lasse de leur relation. Profondément blessée, Madame de la Pommeraye élabore un plan machiavélique pour se venger, avec la complicité de Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz) et de sa mère. Une liaison on ne peut plus dangereuse...
On a conversé avec Cécile de France et Edouard Baer dans les salons feutrés et résolument classiques l'hôtel Lancaster, à Paris. Rencontre.

Le Journal des Femmes : Pourquoi avez-vous accepté ces rôles ?
Cécile de France
: Ce n'etait pas une évidence pour Emmanuel Mouret. J'ai eu beaucoup de rôles de "femme sympathique" ou "saine", très loin du personnage sans scrupule et cruel qu'est Madame de la Pommeraye. On a fait une lecture avec Edouard – c'était presque la première fois que l'on se voyait – et ça a bien matché. C'est ce qui a décidé Emmanuel. Edouard avait déjà le rôle du marquis.

Edouard Baer : Parce que les autres ont dit "non" (rires). Je ne veux pas savoir pourquoi on me choisit, ça m'énerve toujours. Ça m'agace que l'on me mette dans une case. Il y a des choses qui nous échappent sur nos personnes et on n'a pas forcément envie de jouer des caricatures de nous-même. C'est quand on ne me propose pas un rôle que je me dis : "Pourquoi pas moi ?" C'est donc naturel que l'on me propose tous les premiers rôles dans le cinéma français, voire à l'international (rires).

Quel était votre plus grand challenge sur ce tournage ?
C.D.F. :
Ça a été de faire que le texte soit accessible, audible, savoureux. Sur le papier c'est très beau, mais notre mission était de le rendre digeste pour que ça puisse résonner en chacun des spectateurs.

E.B. : Oui, que le texte soit dit par le personnage et non par le scénario. Les costumes, le XVIIIe siècle, ça fait vite Comédie-Française de 1954. Et nous aussi face à cela, en tant que spectateur, on a envie de se barrer. C'est formidable en tant qu'acteur de rendre les choses aussi naturelles.

C.D.F. : Décrire les sentiments amoureux d'une manière aussi belle, c'est très rare au cinéma, peut-être moins au théâtre. D'avoir la chance de pouvoir le faire avec cette sincérité, cette intelligence, cette vie, c'est un plus. On a, outre ce très beau texte, l'interprétation à laquelle on est habitués dans le cinéma contemporain.

E.B. : C'est plus courant dans le cinéma anglais ou américain d'arriver à faire des films en costumes où les gens jouent des choses hard. En France, quand on le fait, on est un peu engoncé dans son costume. Pierre-Jean Larroque [le costumier du film, ndlr] est un génie : les tenues sont d'une beauté incroyable. On ne se sent pas déguisés du tout et on peut bouger dedans.

Le corset et la crinoline, ça vous a plu ?
E.B. :
J'ai refusé (rires).

C.D.F. : Petite fille, je rêvais de porter ce genre de tenue. J'étais en extase totale en me regardant dans le miroir. Je ne l'avais jamais fait, c'était une grande première. Et je m'en suis servi : je n'avais pas cette raideur qu'avaient les femmes de l'époque. Et Madame de la Pommeraye vit intérieurement un cloisonnement évident. Elle est enfermée dans sa douleur, aspirée dans sa folie. Le corset et tous ces trucs encombrants m'aidaient beaucoup à jouer cette artificialité. C'était comme un personnage dans son propre théâtre d'apparence.

Avez-vous des points communs avec vos personnages ?
E.B :
 Oui sûrement, sinon on n'arriverait pas à les jouer, mais je n'arriverais pas à dire quoi.

C.D.F. : J'espère ne pas être aussi machiavélique que Madame la Pommeraye. Je suis toujours dans une distance avec mon personnage, même si j'ai un lien fraternel avec lui. Je ne vais jamais chercher en moi. Il y a comme quelque chose d'animal. Tous les êtres humains sont pétris de contradictions comme la marquise l'est. On se reconnait tous en elle.

E.B : Comme ces personnages, on aimerait que la vie se déroule d'une certaine façon. Or, la meilleure définition de la vie est : "Les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu." Il y a une très belle phrase de Depardieu qui dit que c'est là que l'homme devient intéressant : quand il fait tout pour éviter quelque chose et que ça finit par arriver. Comme le marquis, j'aimerais que les choses soient légères, que l'on puisse s'aimer, que tout soit joyeux. On fait tout pour éviter de souffrir alors que c'est la finalité de la vie. Et c'est en fonction de notre réaction qu'on se découvre. Madame de la Pommeraye comprend à ce moment-là la femme qu'elle est.

Avez-vous l'âme vengeresse comme la marquise ?
E.B :
C'est très féminin (rires). Ce n'est pas l'âme qui se venge, c'est l'ego. L'humiliation amène la vengeance, pas la blessure ou la séparation. La gifle fait plus de mal qu'un coup de poing, on s'en rappelle davantage. On imagine bien ce que ça pouvait impliquer socialement à l'époque. Ça devait cancaner : les gens mélangent rumeur et honneur. Il faut tenir son rang tout le temps, ne jamais montrer que l'on s'ouvre dans ces milieux-là. Ils craignaient le qu'en-dira-t-on.

C.D.F. : La marquise est démunie. En voulant se couper de ses émotions, de l'expression spontanée de ses sentiments, elle est la première à en souffrir. Tous ces paradoxes font qu'on se retrouve en elle. Plus je grandis, plus je me dis que ce qu'il y a de plus important, c'est le respect. Le respect de la vie, sous toutes ses formes, de l'autre, de son conjoint, de la nature, de tout.

Madame de la Pommeraye élabore un plan machiavélique pour surmonter son chagrin d'amour. Que feriez-vous ?
C.D.F. :
Je le laisserais dans sa merde (rires). Je n'ai pas un tempérament belliqueux, je prendrais sur moi et je me dirais qu'il souffrira bien.

E.B : Ce n'est pas comparable pour moi, car il y a un rapport à la société donc on ne se rend pas compte du tout : c'est que ça ricane. Tout le monde avait prévu la séparation sauf elle. Ce sont des gens qui ont consacré toute leur vie à leur posture et qui ont une vision de l'amour qui va droit dans le mur. Dès que le marquis commence à s'intéresser à autre chose, elle se sent trahie. Elle a été élevée dans une idée de soumission. Elle est dans une folie qui n'est pas de sa faute, mais celle de sa classe sociale. L'oisiveté mène à la démence. A cette époque, on passe son temps à se promener, on commente ses sentiments ou on cancane les uns sur les autres. C'est quand même une société malade.

Jusqu'où êtes vous allés pour séduire quelqu'un ?
C.D.F. :
Je suis très maladroite, voire nulle. 

E.B : C'est après la séduction que c'est beau. C'est quand c'est acquis que ça arrive. Ça commence quand les contes de fée finissent. Ça devient passionnant quand ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. La conquête, monter au balcon, etc... C'est grotesque, c'est amusant, c'est un cinéma que l'on se joue à soi-même pour le raconter, pour être dans le film. Ce qui est beau, c'est ce qui vient après. Ces choses de salle de bains, de cuisine, de chiottes : c'est extraordinaire. Parce que c'est indicible et que la vie est belle là. 

C.D.F. : C'est beau, ce que tu dis.

Avez-vous déjà fait une fixette obsessionnelle ?
E.B :
Oui, beaucoup, et très tôt. je faisais semblant de passer devant la maison de ma cible, bien avant le téléphone portable....

C.D.F. : J'aime bien cette idée. Je vois mes enfants adolescents avec leur montée d'hormones, Je sais qu'ils vont souffrir.

E.B : Ils y croient à fond. Tu crois qu'ils vont en crever et ça ne sert à rien de leur dire que cette expérience est nulle, car il vaut mieux qu'ils vivent cela. Mais c'est compliqué.

C.D.F. : Ça va être fort et en même temps, c'est la vie. C'est en ça qu'Emmanuel Mouret est un amoureux des conflits, de l'amour sacré. Pour lui c'est très important. Il observe tout ça avec un peu de passion. C'est bien d'être entre les mains d'un réalisateur qui est amoureux de l'amour. Il a une vie rêvée.

Découvrez la bande-annonce de Mademoiselle de Joncquières, d'Emmanuel Mouret. En salles le 12 septembre.