Laura Smet : "J'ai été élevée par des parents incroyables"

Laura Smet envisage l'avenir avec sagesse. Sa passion, ses talents, ses envies, c'est avec le cinéma qu'elle les vit. D'une rare délicatesse, à l'écoute et apaisée la fille de Nathalie Baye et Johnny Hallyday nous subjugue... et nous rassure aussi. Confidences.

Laura Smet : "J'ai été élevée par des parents incroyables"
© LaurentVu/SIPA
1915. A la ferme Pradier, les femmes ont pris la relève des hommes partis au front. Travaillant sans relâche, leur vie est rythmée entre le dur labeur et le retour des hommes en permission. Dans Les Gardiennes (en salles le 6 décembre), les actrices magistrales et sans froufrous donnent le meilleur. Pour sa première partition commune au cinéma, le tandem Nathalie Baye-Laura Smet nous transporte. Paysannes épatantes, mère et fille sont sublimes dans cette fresque envoûtante signée Xavier Beauvois. Et c'est aussi une jeune femme généreuse et forte que nous rencontrons, fin novembre, dans l'hôtel parisien qui nous protège de la grisaille et du froid, Sourire immense, regard azur, silhouette gracile et posture bienveillante, Laura Smet est un heureux mélange de douceur et d'énergie... Les mots lui viennent facilement, à l'instar de sa sincérité. Merveilleuse.

Vous jouez le rôle de Solange dans le film Les Gardiennes. Pouvez-vous nous présenter ce personnage ?
Laura Smet : C'est une fille courageuse qui rêve de liberté, de partir en ville, de s'échapper... Pour moi, c'est un cheval sauvage que sa famille a dompté et qui se consacre aux travaux de la ferme par obligation vis-à-vis de sa mère. Droite comme un "I", Solange est le personnage le plus moderne de l'histoire. Sans ployer sous le poids des responsabilités, elle assume une famille recomposée et reconnaît qu'elle ne peut pas avoir d'enfant. A cette époque-là, les femmes stériles étaient des pestiférées. C'est une personne pleine de vie, attachante, fragile aussi, mais qui intériorise ses émotions. A cette époque, les gens ne se touchaient pas, ne se parlaient pas. Moi je suis le contraire de ça : très tactile, j'ai besoin de dire les choses, de prononcer "je t'aime".

Ce film suit le rythme très lent des saisons. Est-ce que prendre son temps est quelque chose qui vous est familier ?
A Paris, je suis contrainte à cette frénésie, mais je vais souvent au Cap Ferret chez des amis. J'arrive en pile électrique et ils m'obligent à ralentir. C'est important et agréable de revenir à l'essentiel. Dans Les Gardiennes, tout se passe dans le regard, dans les gestes, c'est très contemplatif. Pendant la Grande Guerre, imaginez qu'on écrivait des lettres, qu'on attendait des mois avec l'angoisse de la mort pour avoir des nouvelles de ses frères, de son mari, de son père… A l'inverse, les infos vont trop vite sur les réseaux sociaux et l'on privilégie les mauvaises nouvelles. La logique du bad buzz, je déteste cela.

Savez-vous profiter de l'instant présent, ne "rien" faire ?
Je peux rester une journée entière sans ordinateur, sans téléphone portable, sans télévision et rêvasser, laisser libre cours à mon imaginaire. C'est très précieux, j'ai beaucoup de chance de savourer ces moments. Je m'ennuie plus entourée de pleins de gens que toute seule chez moi avec mon chien, vraiment ! 

Vous nous parlez de votre animal... Est-ce que ce fut facile de rentrer en contact avec la terre, avec le bétail ?
Complètement. Je me sens dix fois mieux dans la nature que dans la ville. Je suis portée sur la spiritualité, je suis croyante, mais selon moi Dieu n'est pas une image, c'est notre environnement. Je protège la nature, je me ressource dans des lieux remplis de vert, j'ai besoin de faire une balade à cheval dans la forêt pour respirer. C'est le grand air qui me donne ma force.

Vous êtes  l'incarnation d'une féminité contemporaine. Il est bluffant de voir avec quelle légitimité vous apprivoisez le passé et sa lourde charge historique.
Le costume et les charrettes font tout ! Plus sérieusement, on a travaillé en amont pour appréhender les bêtes. Ce sont des animaux énormes, imprévisibles, maladroits. Il ne faut pas recevoir un coup de cornes. Labourer les champs, c'était difficile, très physique. Quand ma mère tombe, elle ne fait pas semblant… On a bossé le geste agricole aussi, haché chaque grain de blé comme de l'or, sans gâcher. Le gaspillage actuel est une obscénité.

Quels sont vos souvenirs de tournage ?
Au bout de trois jours, on a compris que le scénario était un outil comme le tracteur et les répliques, des ustensiles. On arrivait sur le plateau sans savoir ce qu'on allait faire. Ce fut une aventure humaine. J'ai grandi dans la Creuse, ma mère avait une maison de campagne là-bas. J'y ai passé toute ma petite enfance. Retrouver ces terres, ma maman, Xavier Beauvois que je connais depuis l'âge de 13 ans, il y a avait quelque chose de chaleureux. C'était une expérience conviviale car nous logions dans un gîte rural où nous faisions notre cuisine. C'est l'un des tournages les plus heureux que j'ai connus.                 

Xavier Beauvois loue votre capacité de concentration. Est-ce votre façon d'aborder le métier ?
Il y a des acteurs qui ont besoin de beaucoup déconner avant une prise, de rire et d'exorciser leur trac. Moi, c'est dans le silence que je me prépare à tourner une scène. Je m'isole, j'écoute de la musique et je me mets dans mon monde. Cette attitude discrète, presque d'introspection, c'est un comportement que je partage avec ma maman. On a toutes les deux une très forte conscience professionnelle et l'on se donne à cent pour cent.

Nathalie Baye joue votre mère à l'écran, une façon de "couper le cordon", expliquez nous cette déclaration... 
C'est une grande chance d'avoir un membre de sa famille qui partage la même passion, formidable qu'un si beau film grave pour toujours notre relation. Mes enfants et mes petits-enfants, quand je ne serai plus de ce monde, le verront. Paradoxalement, ce tournage a consolidé notre individualité parce que le rapport affectif, ou d'autorité n'existe plus. La famille, on oublie. C'était Hortense et Solange. A aucun moment entre "action" et "coupé", je n'ai vu ma maman, seulement une actrice, pire : une matriarche schizophrène !

"Les Gardiennes", en salles le 6 décembre © Pathé Distribution

Quel est le trait principal de votre caractère ?
Perfectionniste.

Votre pire défaut ?
La paresse. 

Qu'est-ce que vous avez réussi de mieux jusqu'à aujourd'hui ?
Ne jamais baisser les bras, toujours y croire.  

Qu'est-ce qui vous stresse ?
J'ai peur de ne pas être à la hauteur de mon public. Je me souviens sur le film Les Corps Impatients de Xavier Giannoli, j'avais cette insouciance totale du débutant, aucune conscience des pièges, des gens néfastes, malveillants. Au début, on aborde le métier des étoiles plein les yeux. Avec le recul, viennent les angoisses...

Un projet à partager ?
Le cinéma, c'est ma passion, ma raison de vivre, d'être heureuse. J'ai envie de passer à la réalisation. Le court-métrage, c'est pour très bientôt et je suis en train d'écrire un scénario en ce moment.

Et votre sens de la dérision, d'où vient-il ?
J'ai été élevée par des parents incroyables qui ne se prennent pas au sérieux. Je pense que l'éducation est vraiment primordiale. On m'a appris cette distance, inculqué cette valeur, cet humour, cette capacité à rire de soi.

Ressentez-vous une forme de fierté face à la reconnaissance de la profession, du public… ?
Je suis fière, pas satisfaite. Je me remets toujours en question. Je me cherche parce que je veux devenir encore meilleure, durer longtemps. Pour donner, il faut creuser, voir ce que l'on peut encore dégager de nouveau, de différent.

Dans ce film, on vous voit croquer des pommes, ramasser de la paille… Est-ce que vous avez des plaisirs simples ?
J'ai des joies basées sur le contact humain : être avec des amis, rire, retrouver l'homme que j'aime chaque soir, voir ma famille…

Est-ce que vous avez un plaisir coupable ?
Le shopping (rires) ! J'adore les vêtements. Et le chocolat !

Est-ce qu'il y a quelque chose que vous ne savez vraiment pas faire ?
Oui et il n'y en a pas qu'une. (Rires) Je ne suis pas du tout pragmatique, je n'arrive pas à prévoir les choses, à anticiper, à m'organiser. Je ne sais absolument pas coudre, c'est une catastrophe. Je suis nulle aux fourneaux. Le ménage, c'est compliqué. Je suis assez bordélique…

Ranger, c'est trier, faire des choix, renoncer à certaines choses…
C'est mon rapport à l'ordre qui est complexe, ambivalent. D'un seul coup, une mouche me pique, il faut que tout soit à sa place, que rien ne dépasse. Si quelqu'un laisse traîner un truc, je hurle, alors que cela faisait des mois que je négligeais mes affaires…

"Les Gardiennes", en salles le 6 décembre © Pathé Distribution

A l'inverse, pourquoi dit-on que vous êtes douée de vos mains ?
Le dessin

Laura, à quand remonte votre dernier coup de soleil ?
Cela fait trop longtemps, je ne m'en souviens pas.

Votre dernier coup d'éclat ?
Franchement, le compliment que vous m'avez fait en arrivant a ensoleillé ma journée. 

Un coup de blues ?
En musique, quand j'écoute des chansons tristes.

Un coup de cœur à partager ?
120 Battements par Minute de Robin Campillo.