Christian Duguay : "Montrer le film à Joseph Joffo a été la plus belle récompense"

INTERVIEW - Dans "Un Sac de Billes", au cinéma le 18 janvier, Christian Duguay adapte le roman culte de Joseph Joffo. Un pari ambitieux que nous avons évoqué avec le réalisateur et ses deux jeunes comédiens, Dorian Le Clech et Batyste Fleurial. Rencontre.

Christian Duguay : "Montrer le film à Joseph Joffo a été la plus belle récompense"
© BENAROCH/SIPA

Publié en 1973, le roman de Joseph Joffo, Un Sac de Billes, a acquis avec le temps le statut d'oeuvre culte. L'auteur y raconte son enfance, en 1942, dans la France occupée par les Nazis et comment, avec son frère aîné, Maurice, il a traversé le pays, déjouant mille dangers pour gagner le sud et la zone libre. 

Adapté une première fois en 1975 par Jacques Doillon, Un Sac de Billes ressort au cinéma le 18 janvier dans une nouvelle version, signée Christian Duguay (Planète Hurlante, L'Art de la Guerre, Jappeloup, Belle et Sébastien : l'aventure continue). Avec beaucoup d'émotions, le réalisateur nous emmène sur les routes de France en compagnie de deux jeunes enfants, confrontés pour la première fois à la folie des hommes. Le cinéaste et son équipe ont vu plus de 200 apprentis comédiens avant de dénicher les perles rares. Dorian Le Clech, 12 ans, et Batyste Fleurial, 17 ans, trouvent ici leur premier rôle au cinéma, Et on leur en souhaite beaucoup d'autres.

Pourquoi avoir eu envie d'adapter à nouveau le roman de Joseph Joffo ?
Christian Duguay : On m'a approché pour me demander si ça m'intéressait. Je n'avais pas lu le livre parce que quand j'étais au primaire, dans les années 60, il n'était pas sorti. Mais j'ai vu le livre dans la chambre de mes enfants et je savais qu'on leur avait demandé de le lire à l'école. J'ai découvert l'univers de Joseph Joffo, son frère, leur périple, cette aventure incroyable qui leur est arrivée. Raconter cette histoire par le prisme des enfants amène aussi un souffle important, de façon à ne pas se retrouver avec un film trop noir malgré son sujet très sérieux.  Ce qui m'a aussi interpellé, c'est la figure du père, ce qu'il représente, le legs de la famille. Je ne voulais surtout pas trahir l'oeuvre. Je me suis basé sur plein de scènes, mais j'en ai aussi édulcoré pour rester dans l'axe des enfants.

Aviez-vous vu le film de Jacques Doillon avant d'être lié à ce projet ?
Oui et j'y ai vu une interprétation de certains passages que j'avais lu dans le livre, mais qui ne m'ont pas touchés. Ce n'est pas un film qui m'a particulièrement ému. Ce qui m'a rassuré, c'est que Joseph [Joffo, ndlr] m'a dit que ce n'était pas le film qui représentait son histoire. La projection qui a été déterminante pour moi quand j'ai terminé le film, ça a été de le montrer à Joseph Joffo, à sa famille et de voir sa réaction à la fin, qui était magnifique. Ça a été la plus belle récompense.

Comment s'est passée la rencontre avec Joseph Joffo ?
J'ai été obnubilé par l'homme, sa générosité, sa disponibilité et je comprenais toute la pression qu'il pouvait avoir de voir une adaptation cinématographique qui resterait assez fidèle à l'oeuvre. Je pouvais comprendre les appréhensions, mais, malgré tout ça, il est resté très disponible et a soutenu les axes que j'avais voulu prendre.

Est-il venu sur le tournage ?
Il est venu, sans interférer parce que j'avais quand même mis les pendules à l'heure et bien indiqué qu'on ne refaisait pas le livre; que c'était une adaptation, mais qu'en même temps, je ne voulais pas trahir cette oeuvre. Quand il a vu quelques scènes, j'ai tout de suite senti qu'il s'était reconnu. Et ça pour moi, c'était une joie.

[La conversation est interrompue par l'arrivée de Dorian Le Clech et Batyste Fleurial, interprètes de Joseph et de Maurice Joffo]

Pensez-vous qu'une période aussi sombre puisse se reproduire aujourd'hui ?
Malheureusement, oui, c'est très actuel. Quand on regarde ce qui se passe un peu partout... La ségrégation, les séparations... C'est un vrai avertissement. Le plus important est de parler des dangers de la montée du mal, le plus terrible serait de ne rien faire. Ce qu'a dit Meryl Streep aux Golden Globes est très percutant. Elle a invité les gens à s'affirmer, a encouragé la presse à parler ouvertement. C'est la chose la plus actuelle à dire. Le racisme est latent, il est un peu partout et il ne faut pas le laisser étendre ses tentacules parce qu'il va y avoir une vraie épidémie.

© Gaumont Distribution

Dorian et Batyste, comment s'est passé le casting pour vous ?
Dorian Le Clech : J'ai commencé à lire le livre quand j'ai passé le casting, parce que je ne le connaissais pas. Le casting était par étape et en duo. C'est comme des éliminatoires dans le foot. A la fin, il y a la finale. Le dernier tour était avec Batyste et moi. On a joué une scène du film. Et on a gagné.
Christian Duguay : Je les ai vu chacun de leur côté. On en a parlé avec ma directrice de casting et on s'est dit que ça serait bien de les mettre ensemble. Il y a eu une complicité directe entre les deux.
Batyste Fleurial : On s'est retrouvé tous les deux avec Dorian, devant Christian et on a dû faire la scène de la claque. Une fois qu'on était pris, on a commencé à travailler le texte avec notre coach. Pendant ces semaines de répétition, avec Dorian on a passé beaucoup de temps ensemble. On était logé au même endroit, on s'occupait ensemble, on mangeait ensemble. Pendant presque 3 mois, on était tout le temps ensemble donc en fin de compte, c'était comme mon petit frère. Et on a encore cette complicité. Ca n'a pas changé.

Que saviez-vous de l'histoire des juifs, de la Seconde Guerre mondiale avant de tourner le film ?
Batyste Fleurial : Je l'ai étudié en cours. En 4e et 3e, on parle de la Première et de la Seconde Guerres mondiales, mais les profs nous parlent globalement de ce qui s'est passé. Grâce au film, on peut voir la réalité et c'est là qu'on comprend. C'est vraiment là où on ressent des choses, sinon c'est dur de s'imaginer ça. Quand un prof nous dit qu'il y a eu ça ou ça, c'est dur de comprendre. Quand j'avais des questions, je les posais à mon coach et à Christian.

Etiez-vous stressés par le fait de tenir les premiers rôles dans l'adaptation d'un livre aussi connu ?
Batyste Fleurial : Je n'avais pas réalisé et je ne réalise pas encore. Une fois sur le tournage, on a peur de décevoir et de ne pas être à la hauteur de ce que Christian attend. Il y a quand même une forme de petite pression, mais il ne nous la fait pas ressentir. Sur le plateau, on était tout de suite mis à l'aise. On oublie, on se met à travailler et ça devient naturel.
Dorian Le Clech : Non, je sais que l'ai fait, mais est-ce que je m'en rends compte ? Je ne sais pas... Je n'ai pas ressenti le stress pendant le tournage, mais oui, il y a eu des moments où le stress était un peu plus présent sur les scènes d'émotion par exemple.

Qu'avez-vous appris en travaillant avec Christian, Patrick Bruel ou Elsa Zylberstein ?
Batyste Fleurial : Ils étaient là pour nous, ils nous donnaient des conseils. Même Patrick et Elsa, qui sont de grands acteurs, nous ont tout de suite mis à l'aise. Quand on les voit arriver, on est intimidés, mais ils nous ont fait comprendre qu'on allait passer de bons moments, que ça ne servait à rien de stresser.

Dirige-t-on différemment des comédiens adultes et enfants ?
Christian Duguay : Il y a une confiance qui s'est installée entre nous. C'est en travaillant avec Batyste et Dorian que l'idée de la fin m'est venue. C'était tellement fort ce qu'il se passait entre ces deux frères que cette scène finale était très importante et cristallisait le travail fait depuis le début. C'est à vous de répondre, mais vous saviez si une scène fonctionnait ou si vous aviez fait une bonne prise ?
Dorian Le Clech : Oui, quelques fois, tu demandais une 2e ou une 3e prise après la bonne pour voir si on pouvait aller plus loin et une fois que l'émotion redescendait, tu disais stop.
Christian Duguay : Je savais qu'on était aller chercher la bonne intention, ou ils me donnaient des fois un autre registre. Ils étaient tous les deux très réceptifs à mes directions. Ça a été essentiel.

Quelle a été la scène la plus difficile à tourner ?
Dorian Le Clech : Ce sont les scènes d'émotion qui sont les plus dures.
Christian Duguay : On tournait tous les jours, il faut être concentré, on tourne parfois dans le froid, sous la pluie, il faut avoir de la patience... Mais jamais je ne les ai entendu râler. Ils ont toujours été très dispos, même si dans leurs têtes ils se disaient "oh, il va encore faire une prise". Ça vous est arrivé ?
Batyste Fleurial : Peut-être... (rires). Ce n'est pas que c'est difficile, mais c'est fatigant. Provoquer les émotions, les répéter, les travailler, ça fatigue.

Cette expérience a confirmé que vous vouliez faire du cinéma ?  
Batyste Fleurial : Ah oui oui !
Dorian Le Cleh : Oui, moi je ne suis pas fatigué !

© Gaumont Distribution