Pan Nalin : "Plus qu'aux hommes, ce sont aux mères indiennes de faire bouger les choses"

INTERVIEW - Avec "Déesses indiennes en colère", en salles le 27 juillet, Pan Nalin signe un troisième long-métrage puissant et universel, dans lequel il met à l'honneur sept femmes indiennes modernes cherchant à s'émanciper d'une société patriarcale. Rencontre avec un homme qui aime les femmes.

Pan Nalin : "Plus qu'aux hommes, ce sont aux mères indiennes de faire bouger les choses"

Après Samsara et La Vallée des Fleurs, Pan Nalin revient avec Déesses indiennes en colère, une comédie dramatique qui suit sept amies en villégiature à Goa, en Inde. Des femmes indépendantes et insouciantes, évoluant dans une société misogyne et traditionnelle où l'égalité des sexe semble utopique. Dans ce long-métrage, considéré comme "le premier film indien centré sur des femmes", le réalisateur aborde des thématiques sociétales importantes, qui résonnent d'autant plus dans un pays comme l'Inde, où la condition féminine est malmenée. Lors de notre entretien avec Pan Nalin, ce dernier s'est montré aussi enjoué qu'étonné du succès rencontré par son dernier film, comme s'il n'avait pas conscience de la portée universelle de ce véritable hymne à la femme, dont il nous a parlé. Entretien.

Pan Nalin © Ballesteros/SIPA

Le Journal des Femmes : Comment avez-vous atterri dans le 7e art ?
Pan Nalin :
Je suis un réalisateur autodidacte. Je suis fasciné par le cinéma depuis mon plus jeune âge. Un jour, je suis arrivé à Bombay, capitale de Bollywood. J'y ai servi du thé et du café sur les tournages, j'ai aidé sur des scénarios... J'ai aussi un peu écrit pour la télévision, ce qui a été une bonne source de revenus. Cela m'a permis d'acheter du matériel et de tourner mes premiers courts-métrages. J'ai ensuite voulu faire des longs, mais c'est compliqué d'avoir des financements en Inde, en particulier lorsque vous ne souhaitez pas faire du Bollywood. Comme j'aime voyager, je me suis lancé dans les documentaires. J'ai tourné mon premier film en 2001, Samsara, suivi du reportage Aryuveda. Depuis, j'essaye de faire ce que j'aime le plus : raconter les histoires que je veux.

Comment est venue l'idée de Déesses indiennes en colère ?
C'est un projet qui a débuté il y a 5 ou 6 ans. J'ai d'abord dit à des amies réalisatrices qu'elles devraient le faire. Elles se plaignaient souvent des mauvais rôles qu'avaient les femmes dans les films de Bollywood : elles sont là pour faire joli et être sexy. De plus, personne n'a jamais parlé des Indiennes modernes qui vivent en ville. La plupart des réalisateurs indiens choisiront une héroïne venant d'un village. On pense que les femmes urbaines n'ont pas de problème, on ne parle pas d'elles car la société indienne les considère comme des occidentales. Dans les Bollywoods, on ne montre jamais de groupe de filles, mais ceux sur l'amitié masculine cartonnent au box-office. Ça m'a énervé et je me suis dit qu'en tant qu'homme, je devais faire un film sur les femmes, avec des femmes. En Occident, il y a de nombreux films sur des bande de filles, mais en Inde, c'est une première. Les gens n'avaient jamais vu ça, même au 21e siècle.

Comment avez-vous écrit le scénario ?
On a fait des recherches, puis esquissé les différents personnages, mais on n'avait pas écrit tout le script. Lors des auditions, on a demandé aux femmes de participer, de nous raconter leurs problèmes. Petit à petit, le film a pris forme, c'est devenu très organique et réel. Plus je rencontrais des femmes, plus je tombais amoureux de cette histoire. Comme dans le film, parfois les femmes sont frustrées au travail, parfois les directrices doivent gérer leur boulot et leurs enfants. Ce qui arrive au personnage de Pamela est un problème typique en Inde : des étudiantes brillantes arrêtent tout parce qu'elles sont mariées de force et ne peuvent réaliser leurs rêves. Il y a beaucoup de problèmes simples et intéressants, qui ne sont pas particulièrement excitants, mais qui concernent beaucoup d'Indiennes et qui en disent long sur la société actuelle.

Avez-vous rencontré des difficultés pour financer le film ?
Bien sûr, on a dû se battre pour le faire. Les distributeurs ne croyaient pas qu'un film sur des femmes puisse marcher au box-office. Pourtant, il a bien démarré lors de sa sortie... En Inde, les gens ont des idées préconçues : les femmes doivent toujours être belles. C'est le premier film dans lequel les femmes sont au naturel. Elles ont des peaux qui transpirent et des boutons ! On a souhaité que les actrices restent telles qu'elles sont : on leur a dit de porter ce qu'elles mettent au quotidien, de parler comme elles le font d'habitude, de manière à toucher toutes les classes de la société. 

"On a été censurés, on a reçu des menaces de mort, on nous a traités de blasphémateurs."

Comment Déesses indiennes en colère a-t-il été reçu en Inde ?   
Le public indien a adoré le film. On a été surpris, on avait un peu peur quand il est sorti. On a été censurés, on a reçu des menaces de mort, on nous a traités de blasphémateurs parce qu'on utilisait l'image des déesses pour des femmes qui boivent et fument. En même temps, quand on allait dans les cinémas, des grosses stars de Bollywood voulaient le voir et en faisaient de bonnes critiques. On est allés interviewer notre public pour avoir leurs réactions et la plupart étaient très positives. On a eu 500 projections et un bon retour des médias. Les gens nous ont vus comme les initiateurs de changements dans la société : un film dédié aux femmes a enfin réussi à cartonner au box-office. Ça a même ouvert des débats sur la condition des femmes.

Vous êtes un homme qui a fait un film sur les femmes. Êtes-vous féministe ?
 Je ne suis pas vraiment féministe. Je suis juste attiré par les histoires qui me touchent profondément. Dans le film, le but n'est pas de taper sur la gent masculine, mais de provoquer une réaction. On fait du "male bashing" en Inde, alors que ça ne devrait pas juste être ça, ça ne va nulle part, le problème vient d'ailleurs et notamment des mères de famille. C'est culturel : l'homme est prioritaire et la femme ne proteste pas. C'est inconscient, comme en Chine. Plus qu'aux hommes, ce sont aux mères de faire bouger les choses. C'est à elles d'apprendre à leurs enfants, et notamment aux garçons, l'égalité entre les sexes. Si elles s'y mettent maintenant, dans 20 ans il y aura déjà des hommes qui respecteront les femmes. Dans tous les magazines que je lis, c'est de la faute des hommes. Ça l'est, mais il ne faut pas oublier que ça vient aussi de leur éducation.

Vous abordez plusieurs problèmes sociétaux, dont certains sont particulièrement graves. Pourquoi avoir traité ces sujets en particulier ?
On avait envie de rester fidèles aux personnages. Chacune des filles porte deux ou trois problèmes en elle, ce qui fait beaucoup, mais c'est ainsi que la vie est faite ! On a tout de même dû faire une sélection, pour qu'ils correspondent bien aux personnages.

On passe du film girly au thriller, en passant par la comédie. Pourquoi ce mélange des genres ?
Ça été inspiré par au moins 20 histoires différentes de femmes, notamment celle de la jeune femme qui a été violée par plusieurs hommes dans un bus. Un soir, en rentrant du cinéma, elle est montée dans le véhicule et elle est morte. Tout peut basculer d'un jour à l'autre, tout va vite, on peut passer des rires aux larmes en un clin d'oeil. On n'avait pas forcément conscience de ce mélange, on voulait juste que cela paraisse réel. Il y a tellement d'histoires de changements extrêmes et le film devait refléter cette réalité. C'est aussi révélateur de la société indienne, qui est elle-même composée d'extrêmes.

Regardez la bande-annonce de Déesses indiennes en colère, en salles le 27 juillet :